Chaque semaine, L'Équipe publie dans sa rubrique "Parole d'ex" l'interview d’un ancien joueur. Beaucoup de Nantais y sont passés, beaucoup aussi ont loué l’ingéniosité de Jean-Claude Suaudeau.

L’autre jour est arrivé le tour de René Girard. Ancien Nantais lui-aussi, on pardonne aisément à ceux qui l’auraient oublié puisque son bref passage, durant l’automne 2016, fut tout, sauf mémorable. Il avait signé un contrat de deux ans, il resta en place quelques mois, une déroute face à Lyon lui étant fatale dès décembre alors que les Canaris pointaient à l’avant-dernière place.  Il fut  invité à laisser son banc à Sergio Conceiçao.

Un architecte contre un destructeur

Bon, on ne va certes pas condamner un technicien qui n’a pas fait long feu sous le règne de Kita, c’est arrivé à d’autres et il faut bien admettre que choisir René Girard, entraîneur aux antipodes du football à la Nantaise, constituait dès le départ une pure hérésie, une sorte de répétition de l’intronisation tout aussi farfelue et hérétique de Gernot Rohr. Une preuve, peut-être, du fossé qui sépare le jeu qui a fait la gloire des Jaunes des humeurs et des décisions présidentielles. Il est même plausible de penser que l’embauche de Girard n’était pas totalement innocente, qu’elle équivalait à enfoncer un peu plus les clous fermant le cercueil de nos illusions.

Mais, ce qui nous interpelle et même nous gêne dans ladite interview, c’est la façon dont l’ancien milieu de terrain de Bordeaux a présenté ses rapports avec Coco Suaudeau.

Il nous dit que tous deux ne pouvaient pas s’encadrer et on ne le démentira certes pas. On hésite en revanche à le suivre quand il prétend que Suaudeau a mené l’opposition contre lui. On suppose en effet que ce dernier avait vraiment d’autres chats à fouetter, en 2016, que mettre son nez dans la mauvaise cuisine concoctée par Girard et qu’il y avait longtemps qu’il savait que son influence auprès des têtes pensantes du club était nulle.

Girard a creusé sa tombe tout seul, comme un grand, et s’il est vrai qu’il n’a jamais été admis à Nantes, c’est bien sûr parce que son passif avec les Canaris était trop lourd, qu’il les avait trop combattus, à sa manière, laquelle était rugueuse, musclée, et qu’il incarnait un football-repoussoir pour qui, justement, a admiré le jeu de Suaudeau.

Désolé pour les apôtres de la violence

Ces deux hommes ne se situaient assurément pas sur la même longueur d’ondes, à la fois footballistiques, philosophiques et humaines. Suaudeau était un architecte, un ingénieur, Girard était un destructeur. "Un jour, il m’a traité de tueur" se plaint ce dernier. C’est ma foi fort possible et il est probable qu’il ne fut pas le seul. Il devrait toutefois se rappeler que pour sa part il lui était arrivé de surnommer l’un des plus grands entraîneurs de l’histoire du football français de "nain jaune". Ce n’était pas très classe.

Cela pourtant n’est rien comparé à ce qui suit dans l’interview. Girard affirme qu’après un match à Lescure, lorsque Suaudeau l’a aperçu "il a filé dans le car et vite fermé la porte". Il ajoute : "Si je l’attrape, je sais pas si je lui file pas une droite". Ce penchant pour régler un différend avec les poings lui semble relever de la normalité et ne fait aucunement tiquer son gentil intervieweur. En outre, c’est clair, Girard veut nous faire croire que Suaudeau s’était comporté comme un poltron sous prétexte qu’il n’avait pas voulu en découdre. Pour Girard, la force physique prédomine donc sur l’intelligence car on peut penser que Coco avait, par sa réaction, évité un affrontement qui aurait vite tourné à la bêtise.

Cette interview est parue le dimanche 3 décembre. Dans la même édition, le quotidien de sport relatait l’affrontement qui, la veille, s’était achevé par un coup de couteau mortel. On peut fermer les yeux et n’y voir aucun rapport. On peut aussi penser que les chantres du football physique, des méthodes douteuses consistant à user de toutes les tricheries et irrégularités pour annihiler l’adversaire contribuent, eux-aussi, à pourrir le climat malsain qui règne autour du football en France où le culte du résultat à tout prix est poussé à l’extrême. Entre le jeu préconisé par Suaudeau et celui que pratiquait Girard, le choix est vite fait. Désolé pour les apôtres de la violence, du football-combat, du football-guerre.