Pendant plus de deux heures et demies, il est revenu sur ses débuts à Nantes, sur sa relation spéciale avec Raynald Denoueix, sa vision du football, du jeu à la Nantaise, sur ses souvenirs de la Jonelière, jusqu’aux conditions de son départ et sur la fin de sa carrière comme joueur professionnel. Il a également partagé son avis sincère sur le football, sur l’actualité du sport roi au Cameroun ou encore sur le FC Nantes d’aujourd’hui comme sur ses perspectives. 

Une interview tellement riche et intéressante que nous avons décidé de la publier en trois parties. En voici la première, qui raconte les premiers pas de Salomon Olembé à Nantes, son arrivée au club, sa progression, ses débuts avec l’équipe professionnelle et tente surtout de répondre à la question fatidique qui a jalonné toute sa carrière : celle de sa position sur le terrain.

Bonjour Salomon, comment ça va ? Que devenez-vous ?

Bonjour à vous, j’en profite pour saluer tous les supporters et sympathisants du FC Nantes, tous les Nantais et bien sûr tous les membres et adhérents de la Maison Jaune. Que vous dire ? Salomon Olembe se porte bien. Je vis à Yaoundé au Cameroun et j’étais récemment team manager de l’équipe nationale camerounaise (2019-2022), une expérience très belle et très enrichissante.

Vous êtes né à Yaoundé et nous sommes actuellement à Yaoundé. Pourquoi être revenu vivre au Cameroun après votre carrière de joueur ?

L’objectif était de revenir auprès des miens, rattraper la vie que je n’avais pas eue avec ma famille. Comme la plupart de mes camarades, je suis arrivé en Europe très jeune, pour moi au FC Nantes à 15 ans. Ceux qui ont fait notre éducation à ce moment-là c’étaient nos entraîneurs, nos "encadreurs" ou le staff médical (l’agent Alain Bonafous, Sadek Boukhalfa, le Dr Bryant, Dr Elkouri, Philippe Daguillon, Collette Ravalec, Edith, Sylvie Poulmarch …) avec nos familles d’accueil aussi. Je suis rentré pour retrouver ma famille, retrouver mes racines africaines. Pour mes parents et beaux-parents aussi. Pour leur permettre de voir grandir et connaître leur petits-enfants. Mes enfants ont reçu les bénédictions de leurs grands-parents, c’était très important pour moi.

En quoi consistait votre rôle de team manager auprès des Lions indomptables ?

La Fédération de football camerounaise (Fecafoot) sortait d’une période de normalisation après une mise sous tutelle par la FIFA. La génération 2000-2002 à laquelle j’appartiens, double championne d’Afrique et médaillée d’Or olympique, voulait participer à cette reconstruction. Par ailleurs, au Cameroun, ce poste est prioritairement réservé aux anciens joueurs de l’équipe nationale. Quand l’opportunité s’est présentée, j’ai intégré le staff de l’équipe nationale alors entraînée par Clarence Seedorf (sélectionneur de 2018 à 2019). Je fonctionnais un peu à l’anglaise, comme un manager général.

"Nantes pour moi c’était vraiment la grande équipe" 

Team manager au Cameroun c’est un poste de directeur administratif. Il s’agit d’organiser, de planifier, de coordonner tout ce qui touche de près ou de loin la vie de la sélection : préparer les regroupements, les voyages, les hébergements, les matchs, les déplacements. Toute la logistique nécessaire avant, pendant et après les périodes de stage et même la partie sensible du retour administratif des binationaux, passeports et autres (ie : au Cameroun, la double nationalité est interdite par la loi). Ça englobe bien sûr aussi les relations avec les clubs. J’avais des liens avec le FC Nantes pour Castelletto et Ganago pour leurs convocations, les plannings de déplacement, les indisponibilités etc. il fallait beaucoup échanger pour être synchro. L’avantage avec Nantes c’est que je connaissais tout le monde. Bonjour d’ailleurs au Dr Salun et au kine Chantebel.

Vous dites que ça s’est bien passé, alors pourquoi être parti ?

C’était une décision collégiale, prise avec le nouveau président de la fédération, Samuel Eto’o, mon ancien coéquipier, mon frère d’arme. Suite à la volonté de choisir un entraîneur camerounais, Rigobert Song est arrivé, avec un nouveau staff. Je suis parti en très bons termes. Je suis même resté un peu en coulisses pour préparer la passation avec le team manager suivant. Nous avons fait une très bonne transition, en préparant ensemble la double confrontation contre l’Algérie et cette qualification héroïque pour la coupe du monde 2022, grâce au magnifique but de Karl Toko Ekambi.

Pour revenir à votre période nantaise : vous arrivez à Nantes jeune, à 15 ans, est-ce qu’on peut dire que vous êtes formé au club ?

Pas totalement, mais à la sortie du centre, oui je suis un pur produit nantais. En fait, avant le centre de formation de Nantes, j’étais pensionnaire de l’école de football des Brasseries du Cameroun (qui a formé Eto’o, Song, Geremi, Womé, Djemba, Ateba, Ganago, Aboubakar ou plus récemment Baleba…). C’est le poumon de la formation camerounaise. Nantes c’était l’étage au-dessus pour moi. Aux Brasseries j’ai acquis des valeurs et une certaine discipline, mais à Nantes on m’a inculqué des principes de jeu, la tactique, la fluidité, la compréhension et l’intelligence de jeu… le jeu à la Nantaise quoi (rires).

Comment êtes-vous repéré par le FC Nantes ?

J’avais participé au Tournoi de Montaigu avec l’équipe des Brasseries, qui représentait le Cameroun. Le FC Nantes avait la priorité sur le choix des joueurs, compte tenu de son partenariat. Nantes a alors choisi deux joueurs : André Ottou et moi pour intégrer le centre de formation. A noter que, le premier Camerounais à intégrer le centre de formation du FCN venant des Brasseries, c’était monsieur Patrick Suffo.

Vous êtes connu pour avoir été un joueur très polyvalent mais quel était votre poste au départ ?

Au moment du tournoi de Montaigu, je jouais arrière gauche et même défenseur central. Nantes cherchait des arrières latéraux. Guy Hillon, le maestro du recrutement, et le staff technique du centre ont pu démontrer leur grand savoir-faire. Le club cherchait des joueurs avec des profils spécifiques : techniques, collectifs, capable de jouer avec les autres, de lire le jeu, de jouer avec et sans ballon. Mais tout ça, pour moi, c’était du chinois quand j’avais 15 ans (rires).

Vous connaissiez le FC Nantes avant d’arriver au centre de formation ?

Honnêtement pas trop. Un peu Japhet N’Doram, le jeu à la nantaise, mais je n’avais pas Nantes dans mon vécu quotidien au Cameroun. Nantes pour moi c’était vraiment la grande équipe, les titres, le jeu, les grands joueurs. Mais dans mon quotidien chez moi je ne vivais pas avec Nantes. La vérité c’est que je connaissais le football allemand. Tout simplement parce que la CRTV (1ere chaîne nationale du Cameroun) avait des accords avec un opérateur, Transtel Cologne, qui diffusait le championnat allemand tous les samedis, un peu comme "Jour de foot" sur Canal+. Et puis, mon quartier, Messa city, à Yaoundé, c’était le temple du volley-ball camerounais. Il a vu passer tous les grands volleyeurs du Cameroun. Des joueurs comme Éric Ngapeth par exemple, le père d’Earwin, ou encore Gérard Sadey, Alain Denguessi etc. J’ai donc vraiment grandi avec le volley dans mon enfance.

“Si vous étiez bon, le coach Suaudeau le savait forcément”

Quand même, avec Onze Mondial et les cartes Panini j’avais des images de joueurs d’autres clubs. Grâce à ça, je connaissais Cantona, Papin, Rudi Voller, ou encore le lyonnais Cavegol (Alain Caveglia). D’ailleurs quand Caveglia a signé à Nantes (mercato hivernal de la saison 1999-2000) ça lui a fait tout drôle quand je lui ai dit que j’avais son poster photo dans ma chambre. Il pensait que je venais de la région nantaise comme les autres jeunes du centre, alors que mon histoire était un peu différente (rires).

Cela doit être quand même très difficile de tout quitter à 15 ans, de partir de son pays, loin de sa famille. Surtout pour la pluie, le froid. Comment se passe la transition à cette période pour vous ?

La neige et l’hiver aussi ! (rires). On ne connaît pas ça au Cameroun. Mais on est jeune, on est porté par le rêve, le voyage, l’émerveillement, on ne se pose pas ces questions quand on arrive. On y pensait surtout pendant les périodes de vacances, quand les jeunes du coin rentraient dans leurs familles, tandis que ceux qui venaient de loin (du Cameroun mais aussi de Nouméa, de Tahiti…), nous nous retrouvions seuls, loin des nôtres. Là, on sentait vraiment le poids de la distance. Heureusement, la communauté camerounaise de Nantes était très soudée. Je me souviens de Ludovic Babillon, Pierre Talla, le coiffeur Alain, Nadine la coiffeuse, Felix de la Fnac, etc. Ils nous ont beaucoup accompagnés. Ils passaient au centre pour nous rendre visite, nous faire sortir au centre-ville, au restaurant, etc. Éric Bourget, entraîneur à La Roche-sur-Yon, qui collaborait avec l’école de foot des Brasseries, restait aussi proche des stagiaires du FCN. Il jouait comme un rôle de père de famille. J’allais souvent chez lui en week-end ou en vacances avec sa famille. Puis j’avais surtout mon cousin Jean-Pierre Amor et la famille Mainguet, ma famille adoptive à la Chapelle sur Erdre. Tous m’ont aidé et permis de diluer un peu le poids de la solitude et de ne pas trop sentir l’absence de ma famille.

Vous arrivez à Nantes en 1995, Raynald Denoueix est alors directeur du centre de formation, Jean-Claude Suaudeau est entraîneur de l’équipe professionnelle, quels souvenirs en gardez-vous ?

Moi, quand j’arrive, je joue avec les U15 et mon entraîneur c’est Jean Claude Baudoin, un bonhomme exceptionnel. Mais Nantes, c’était particulier, à l’époque en tout cas. Tous les lundis les coachs se réunissaient au restaurant du club, à la Jonelière, et débriefaient autour d’un café, sur tout : des résultats des poussins jusqu’à la réserve et les pros. Ils étaient au courant de tout ce qui était exceptionnel ou anormal, de tout ce qui sortait de l’ordinaire chez les jeunes. Les bons joueurs étaient connus et suivis par l’entraîneur des professionnels dès leur plus jeune âge. C’était la particularité de Nantes. Si vous étiez bon, le Coach Suaudeau le savait forcément.

"Coco leur répondait : Salomon il a déjà tout pigé” 

D’ailleurs mon histoire avec Suaudeau est un peu spéciale. Ma chambre au centre donnait côté Erdre (le fleuve). Quand le coach Coco faisait son footing, il passait devant ma chambre, un peu avant le repas du soir. Il m’interpellait souvent et nous avions des échanges sur plein de sujets et surtout sur le football. Il avait pris l’habitude de me faire analyser le match du week-end des pros, mes idoles de l’époque. Je ne vous cache pas qu’au début c’est difficile de critiquer ses idoles. Et puis, petit à petit j’ai appris à porter un regard sur la globalité du jeu, sur les décisions à prendre sur le terrain, sur les responsabilités, sur le leadership, sur le rôle de chacun des joueurs pendant un match. Quand j’ai commencé à m'entraîner avec les pros, certains m’ont alors demandé si j’avais acheté un dictionnaire car le vocabulaire, les idées, l’intelligence du coach, tout ça sortait tout droit de son petit Larousse (rires). Et Coco leur répondait souvent "Salomon il a déjà tout pigé" (rires). Denoueix, lui c’était le père. Pas besoin de parler, il me comprenait comme son propre fils. On avait juste à se regarder pour se comprendre. Il m’a couvé du début à la fin. Il m’a transmis des valeurs immenses. Mon respect pour lui est grand et qui dit respect, dit aussi amour. J’ai juste envie de lui dire merci car au-delà du football, il a fait de moi un homme. Bon, il m’a quand même aussi appris à aimer ce métier, à se bouger le cul comme il aimait nous le répéter. Il m’a inculqué la science du jeu, la stratégie, à savoir utiliser mes armes sur le terrain, le collectif, et surtout ce qui était le plus cher pour lui : les fameux principes de jeu.

Vous commencez quand même très tôt avec les professionnels (dès 17 ans, saison 1997-1998). Vous aviez déjà conscience, à ce moment-là, que vous aviez une place particulière ?

Oui, on le sait quand on se fait surclasser et qu’on est à l’aise, on se rend compte que ça va. Bon, j’ai aussi bénéficié d’un concours de circonstances. Au début de la saison 1996-1997, je suis surclassé accidentellement, à cause des distances avec l’école, je me retrouve à souvent m’entrainer avec la N3 (3e équipe). Surtout comme sparring-partner, en complément d’effectifs au début (rires). Pour moi ce sera vraiment le déclic, car à partir de ce moment-là le club s’est dit : "OK, il peut". Quand on est surclassé on ne joue pas à sa place, on joue partout. Aux entraînements, je jouais donc souvent défenseur central malgré mon petit gabarit. Ça correspondait à la volonté du club de construire le jeu par l’arrière, ce dont j’étais capable, ne pas paniquer devant le premier pressing, avoir l’aisance technique, cette faculté à éliminer le premier joueur par un dribble ou une bonne passe. La saison 1996-1997 donc, en N3, je commence comme défenseur central avec un certain Mickaël Landreau dans les buts, avant qu’il ne monte en pro. C’est la saison où Landreau passe directement de la 3ème à la 1ere équipe après son match à Bastia. Tous les gardiens sont blessés, Landreau joue, arrête un penalty et devient le gardien titulaire, et aujourd’hui encore c’est notre titulaire pour nous (rires). Sacré Micka.

Comment se passe la signature de votre premier contrat professionnel au FC Nantes ?

C’était un contexte particulier. J’avais un contrat aspirant et j’étais convoité par des clubs italiens. Avec l’arrêt Bosman, les clubs étrangers pouvaient m’engager. Un manager italien a alors prévenu le club que des gros clubs italiens me voulaient, mais que selon eux je devais rester à Nantes pour continuer à progresser. J’ai signé donc rapidement professionnel alors que la logique au FCN c’était d’abord de faire ses classes, d’arriver en réserve puis de faire ses preuves avec les pros. J’étais sorti de ce schéma-là, sans le demander vraiment, sur les traces de Landreau en quelque sorte. Je pense que le staff, les coachs  - Gilles Albert, Amisse, Denoueix, Eo, Suaudeau, accompagnés des deux fantastiques du recrutement : Hillion Guy et Robert Budzynski - ont voulu prendre ce risque, de me faire confiance. C’était prématuré mais ils savaient que c’était possible, surtout avec les expériences Deschamps, Touré ou Landreau. Avant de me faire signer, le club m’a quand même testé pour se rassurer. Je suis passé de la 3e équipe à la réserve pour un match, où j’ai joué ailier gauche. C’est après ce match qu’on m’a annoncé que j’allais signer professionnel. 

“Ma maman, quand elle a vu mon salaire, elle a cru que c’était une arnaque”

Dernier point : il fallait l’aval de mes parents car j’étais mineur. Je suis donc retourné au Cameroun, accompagné de Guy Hillion. Au départ, ma maman était surtout inquiète, car pour elle, la ligne de mire c’était surtout le bac. Mon père, lui, était aux anges, un de ses rêves se réalisait, lui amoureux du football et ancien gardien de but pendant ses années de lycée. Conseillés par un voisin (Albert Etotoké, ancien président de la Fecafoot) mes parents ont finalement accepté de me laisser signer pro.

C’est quand même un décalage énorme par rapport à la génération actuelle, où on a l’impression que les parents font tout pour que les enfants signent un contrat au plus vite.

Oui c’est totalement décalé. Ma maman ne comprenait pas trop le monde du football, Elle a vu le salaire elle a cru que c’était une arnaque (rires). Les autres autour étaient aux anges, ma mère non. Elle demandait juste "Mais il va réussir à passer son bac ?" c’était le plus important pour elle. Finalement je ne l’ai même pas passé, car la période d’examen coïncidait avec la préparation de la Coupe du monde 1998.

Que s’est-il passé ?

Quand je reviens de la Coupe du monde 1998, je joue titulaire avec Nantes, on programme une date en septembre mais je ne peux pas, en novembre encore je ne peux pas et puis le directeur de l’école l’INES (institut de l’élite sportive, devenu le CENS) monsieur Michel Tronson m’appelle et me dit "Tu n’as plus rien à faire ici, tu es venu pour jouer au football, tu es déjà pro, tu as un métier, tu ne dois pas te disperser. Soit le meilleur" . Et je me suis donné à 200% pour le football.

Finalement, comment se fait votre intégration dans le groupe professionnel ?

Après la signature du contrat professionnel en avril 1997, je m’entraine avec les pros. Il devait rester quelques matchs de championnat, dans un climat assez relax. Je ne prenais la place de personne et puis à Nantes c’était très codé pour les jeunes. C’était respectueux, on te donne ta place, on t’aide, on t’encourage. Cette transition-là m’a permis de ne pas stresser, d’avoir les bons conseils des plus anciens. Ils m’ont pris comme leur petit frère. J’ai été super bien accueilli par le capitaine Jean Michel Ferri (qui m’a même offert une montre Eden Park !) et par tout le reste du groupe (Guyot, Le Dizet, Decroix, Selimi, Makelele, N'Doram, Gourvennec…). A Nantes ce n’était pas étrange qu’un jeune arrive si tôt. Il y avait tout pour ne pas s’enflammer et bien s’intégrer.

Comment passez vous alors du jeune inoffensif à celui qui prend la place des autres ?

Déjà j’ai toujours été habitué à prendre la place des autres (rires). J’ai toujours eu l’esprit de compétition. Le fait de jouer libéro en équipe 3 alors qu’il y avait des joueurs de métier c’était déjà une épreuve. Être polyvalent m’a permis de naviguer. Mais quand je passe en pro je ne prends la place de personne, la formule est claire, à chaque début de saison les compteurs sont remis à zéro, je me suis nourri de ça. 

“En pro le plus important c’est de se faire une place”

On peut quand même ajouter le rôle de la sélection car je suis appelé en sélection nationale B en Octobre 1997. Le sélectionneur, Jean Manga Onguéné, souhaitait incorporer des jeunes joueurs pro de clubs européens. C’était une révolution à l’époque. Aujourd’hui on parle beaucoup des binationaux, mais lui était en avance. Il profite d’un tournoi à Haïti sans les tauliers de la sélection. Son discours c’était "Les meilleurs du stage rejoindront l’équipe A pour affronter l’Angleterre à Wembley en novembre 1997" . Je fais un bon tournoi, je marque mon premier but avec les Lions Indomptables contre la Martinique. Finalement, je suis sélectionné pour le match à Wembley. Je rentre pour les douze dernières minutes, seulement douze minutes, au poste d’ailier gauche. De retour à Nantes, les dirigeants et le coach me convoquent dans le bureau de Bud. Ils me félicitent et je ressors avec ce conseil magique : "Ce que tu as fait pendant ce match tu dois le refaire plus souvent ici". Tout un programme, que j’ai bien appliqué (rires). En seulement douez minutes ils avaient vu des choses spéciales que je n'imaginais pas à l’époque.

Bon, Salomon, c’était quoi votre vrai poste ?

Je pense que j’ai joué à tous les postes. Sauf gardien, Landreau était trop fort (rires). C’est une bonne question à poser au coach Denoueix. Posez-lui la question : comment on décide du positionnement d’un joueur sur le terrain ? En pro le plus important c’est de se faire une place. On a des qualités mais les coachs ont toujours leur vision, avec leur analyse, qui peut être opposée à ce que nous on peut ressentir. Quand j’arrive en pro, je rentre vraiment en bout de banc, quand l‘équipe est devant au score et qu’il faut verrouiller. Milieu gauche ou droit, 3 à 10 minutes par match, pas plus. On sert à faire gagner du temps, à casser le rythme de l’adversaire en fin de match (rires), on fait ses classes. Je me souviens d’un match contre le PSG, je rentre autour de la 90e minute et Anelka me chambre parce que je ne touche pas un ballon avant le coup de sifflet final (rires). Mais c’est aussi comme ça que le métier rentre.

Être polyvalent me permettait de toujours jouer pendant les oppositions aux entraînements. C’était pratique, jouer tout le temps, donc progresser sans frustration. Au début à l'entraînement je jouais beaucoup milieu offensif mais assez vite il s’est passé quelque chose qui m’a beaucoup marqué. C’est aussi un message pour les plus jeunes, l’histoire parle pour elle : Denoueix savait que je n’aimais pas jouer arrière gauche, tout le club le savait. J’aimais dribbler, percuter, entre nous on disait casser des reins, aller de l’avant. A chaque fois qu’on me mettait arrière gauche je boudais, je jouais au con, je montais devant l’allier etc. Mais un jour après un stage, avant le début de la saison 1998-1999, le coach Denoueix et le staff (il devait y avoir Guy Hillion, le coach Amisse de la N3, le coach Gilles de la N2 et le très important coach adjoint Georges Eo) me convoquent dans le bureau et me montrent un tableau avec tous les joueurs de l’effectif, regroupés par poste. Alors Denoueix me dit "Voilà : si tu joues arrière gauche, tu peux être titulaire et faire une belle saison, sinon je ne peux pas te garantir une place de titulaire" . Sur le coup ils pensent que je vais dire non. A ce moment-là je vis encore au centre (c’est un choix du club pour éviter que je me disperse - car c’est Nantes hein, à Nantes on tient toujours son enfant, on vérifie que tu ne pètes pas les plombs, on te protège). Bref je sors du bureau sans rien dire. Ils sont convaincus que je vais m’énerver, faire quelque chose de pas correct car ils savent qu’ils m’ont piqué.

Donc je marche jusqu’à ma chambre puis je reviens au bureau et je leur dis : "Ok, je vais jouer arrière gauche" . Là sur le coup je vois vraiment leurs yeux briller, ils étaient tellement heureux pour moi. Ils ont compris ce jour-là que j’étais capable de me mettre au service du collectif, de jouer pour l’équipe sans me soucier de ma personne. Ils m’ont vraiment félicité car ça allait bien au-delà de la simple question de mon poste. J’ai donc joué toute la saison titulaire comme arrière gauche (saison 1998-1999) alors qu’avec le Cameroun, je jouais milieu offensif. Ce choix, qui était contesté par le public nantais et par certains en interne, fut très vite conforté par mon premier but en première division, contre Strasbourg : victoire 1 but à zéro lors de la deuxième journée de championnat à la Beaujoire, le temple des merveilles. Pour conclure cette histoire de poste, je veux dire que l’intelligence du joueur ouvre beaucoup de possibilités, et à Nantes c’était appliqué et respecté depuis des lustres. Dans ma génération à Nantes, la polyvalence c’était aussi une marque de fabrique du jeu à la Nantaise version Denoueix. Les Savinaud, Da Rocha, Devineau, Macé, Ziani étaient tous des joueurs polyvalents.