La température est déjà très élevée en cette fin de matinée du 10 juillet à Saly Portudal, station balnéaire réputée du Sénégal. Et le chemin de sable qui mène à l’Académie semble ne jamais en finir. Située à l’écart du gros village et de la route bitumée, l’Académie n’est que modestement signalée par des panneaux déjà fatigués. Pourtant, le nom du site qui accueille le complexe n’est pas inconnu des Sénégalais. S’y trouve l’ancienne résidence de Bruno Metsu qui mena en 2002 l’équipe nationale du Sénégal en quarts de finale de la Coupe du Monde. Le premier grand fait d’armes des Lions de la Teranga. Après une mémorable victoire contre l’équipe de France championne du monde et ce but de Pape Bouba Diop. Deux héros du football sénégalais malheureusement disparus aujourd’hui.

"Cette envie folle de transmettre ma passion"

Le contact s’est fait il y a déjà plusieurs semaines avec Alioune. Par WhatsApp. Simple, cordial. Et je suis impatient de rencontrer cet ancien canari de ma génération, vainqueur avec le FCN de deux coupes de France en 1999 et 2000 puis champion de France en 2001. Un nantais baroudeur passé ensuite notamment par Manchester City et le PSG. Le PSG, justement qui l’a sollicité il y a quelques années pour intégrer l’Académie du Paris Saint-Germain. Une invitation difficile à refuser pour ce petit gars du "neuf trois", qui n’a pas oublié ses racines partagées entre le Sénégal et le Mali, ni son passage au PSG. Un PSG plus que jamais au centre de l’actualité et dont le maillot floqué du nom des "stars" a remplacé les maillots de Barcelone et du Real dans le coeur des petits sénégalais.

Je ne m’y suis pas trompé non plus. Hasard du calendrier. Le PSG vient de se qualifier brillamment pour la finale de la Coupe du Monde des Clubs contre Chelsea. Un 4 à 0 contre l’Inter Miami, un 4 à 0 contre le Real. Un tarif maison pas sans rappeler celui des nantais version 94-95. Le PSG, pas vraiment "mon kiffe" comme diraient les jeunes, sauf pour cette équipe version Luis Enrique. Une équipe et un jeu vraiment séduisants, jusqu’à convaincre Coco Suaudeau me confiant en octobre 2024 lors d’une discussion qu’il voyait cette équipe aller loin et peut-être battre le record d’invincibilité de la saison 94-95. Visionnaire encore.

"Salut la Maison Jaune ! Ah ma Maison Jaune, ça fait plaisir !". Du fond du terrain où il coordonne un stage d’été, Alioune n’a pas tardé à deviner que j’étais le toubab* nantais attendu, bien aidé il est vrai par le port d’un tee-shirt jaune et vert signé "On est Nantes".

Les yeux et le sourire ne mentent pas. La poignée de main est vigoureuse. Il y a du plaisir aux deux Nantais à se retrouver dans ce petit bout d’Afrique. Du haut de ses 46 ans, Alioune Touré n’a rien perdu de la silhouette athlétique qu’on lui connaissait. Pas un gramme en trop pour celui à qui les supporters parisiens chantaient "Alioune Touré, c’est le sprinteur du PSG, sous les 10 secondes il va passer et aux JO il va aller… oh oh, Alioune Touré la la la la la…". Un sprinter hors classe avec un 100 mètres proche des 10 secondes. Un sprinter qui disait de lui-même : "J’allais vite, mais il fallait que j’apprenne à maîtriser cette vitesse… Le changement de rythme, de direction, le travail d’appuis. Apprendre à accélérer, à décélérer comme une voiture". Le temps a passé et seuls les cheveux blancs et la barbe blanche nous rappellent l’un à l’autre que les années ont passé. Mais la passion est bien là, partagée.

Alioune, alors parisien ou nantais ?

(Rires). Si l’on parle de football et de ce que j’ai appris et compris du football et si l’on parle du coeur, c’est nantais. J’ai commencé le football à 7 ans en région parisienne inscrit par mon père. Puis trois ans plus tard, je suis tombé dedans, emporté par une passion dévorante. A 13 ans, mes parents ont reçu une convocation pour les sélections de l’INF. Au départ, on était plusieurs centaines. Ils en ont sélectionné 25. Et sur les 25 de notre promo, on est 15 à être devenus pros. Nicolas Anelka, Louis Saha, Philippe Christanval, Sébastien Piocelle, Yves Deroff, etc. On a passé 3 ans ensemble (1992-1995). Puis je suis parti à Nantes à l’âge de 15 ans. Alors si c’est vrai que j’ai appris la technique à Clairefontaine, c’est véritablement au FC Nantes où j’ai passé 6 ans (1995-2001) que j’ai appris à jouer au football.

Qu’est-ce que tu veux dire par "appris à jouer" ?

Le football, ce n’est pas un jeu individuel. Tu peux avoir un niveau technique très bon mais si tu ne les exprimes pas avec les autres, à quoi ça sert ? A Nantes, j’ai appris à jouer un football technique collectif. Un football en mouvement ou l’on joue les uns pour les autres avec cet esprit de sacrifice. Un jeu qui nécessite beaucoup d’intensité et beaucoup d’efforts. L’intensité, c’est la vérité. C’était dur au niveau physique, exigeant. En arrivant de l’INF, j’ai du faire un gros travail d’aérobie : c’était compliqué. Mais quand on court avec le ballon, c’est quand même plus plaisant que de courir après le ballon. Avec Coco (Jean-Claude Suaudeau), on était acteurs et pas consommateurs des entrainements. Il nous stimulait et nous obligeait à réfléchir et à proposer aussi. Cela chamboulait dans la tête. Mais cela ouvrait l’intelligence. Il fallait aller vite dans la prise d’informations et dans la prise de décision. Le foot de Coco était moderne. A Nantes, c’était 4 ou 5 échanges pour marquer. Il fallait que cela soit rapide, électrique. Un jeu de transition (On est en 1995). Il fallait des joueurs explosifs. L’objectif, c’était d‘avoir le ballon, de créer et libérer de l’espace, les interactions avec les partenaires. Coco, c’était un artiste, un créateur. Il s’appuyait sur des joueurs comme Japhet (N’Doram) mais aussi Jocelyn (Gourvennec) et d’autres pour inspirer leurs coéquipiers à jouer, tenter.

"Comme l’alchimiste de Paulo Coelho"

J’ai gardé en moi cet esprit nantais, tout ce que nous ont transmis chacun à leur manière, les Coco, Raynald (Denoueix) mais aussi Loic (Amisse) et Georges (Eo). Toute cette période, c’est aussi une sacrée bande de copains, une génération fantastique -celle de 1994-95- avec Japhet, Patrice (Loko), Claude (Makélélé) qui a été mon mentor et qui m’a appris à devenir professionnel dans la partie invisible du métier, comme la gestion du stress dans les vestiaires. C’était une aventure humaine incroyable. Avec une authenticité de jeu. Notre force, c’était aussi le temps, la durée. Quand on joue ensemble pendant 5 à 6 ans, cela créer des automatismes. On joue limite sans se regarder. Cela crée un jeu fluide avec un temps d’avance sur les adversaires.

Qu’est-ce qui t’a poussé à diriger aujourd’hui l’Académie du PSG au Sénégal ?

Il y a des raisons multiples mais cohérentes. A entrainer déjà, c’est en 2012. Un soir, je suis chez moi à Paris, Nico Anelka, alors en Chine, m’appelle : "Je viens de reprendre l’équipe (Shanghai Shenhua), ils me proposent d’être entraîneur-joueur, tu fais quoi toi ?" Je venais de finir ma formation de préparateur mental. "Ça tombe bien, je cherche un coach adjoint" (…) "Tu as rendez-vous à l’Ambassade de Chine". Moi : "Mais qu’est ce que je vais faire ?" Lui : "Mais t’inquiète pas, tu as connu plein de grands entraineurs". Une semaine plus tard je récupère mon visa, et je pars le rejoindre. De retour en France, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur (licence UEFA A) et suis devenu consultant pour le championnat chinois. Mais cela a été le déclic dans le désir de partager. J’en avais envie. Mais je n’osais pas franchir le pas. Le plaisir, la passion du football ne m’a jamais quitté. Cette envie folle de partager, de transmettre tout ce que j’ai appris. De ma formation nantaise évidemment, mais aussi de toutes les expériences que j’ai vécues comme joueurs auprès de grands joueurs et de grands entraineurs, comme Kevin Keegan, Luis Fernandez, Vahid Halilhodzic, Jorge Jesus, qui a été champion du Brésil avec CR Flamengo en 2019/2020. Je me sens légitime à transmettre des expériences vécues dans des championnats très différents, français, anglais, portugais, grec, quatarien. Il y a chez moi aussi cette passion d’apprendre. Je me considère toujours en apprentissage. Je continue à progresser des endroits où je passe, des joueurs que je rencontre. Un entraineur pour moi, c’est un chercheur. La vérité du football n’appartient plus à l’Angleterre et au Brésil. Il n’y a plus de petites équipes. Il faut aller voir ce qui se fait ailleurs. Je suis allé au Mali, en Chine, au Costa-Rica pour observer. Je me sens un peu comme l’alchimiste de Paulo Coelho. J’aime apprendre du terrain. Je suis plus pratique que théorique. La vérité sort toujours du terrain.

Alors pourquoi le PSG ?

Tout d’abord, cela a été le deuxième club où j’ai le plus duré. Après plus de 6 ans à Nantes, je suis parti à Manchester City recruté par Kevin Keegan. On a été champion. Mais cela avait été une année blanche pour moi. On est en 2002, je suis en vacances au Sénégal. Et là, mon agent -Pape Diouf- m’appelle et me dit :" Luis Fernandez te veut avec lui à Paris". J’avais encore 2 ans avec Manchester et je ne voulais pas quitter comme cela. Finalement, Pape me convainc. Et je signe pour 5 ans à Paris. En même temps qu’un certain Ronaldinho. Là-bas sous la direction de Luis, mais aussi de Vahid, j’ai beaucoup appris et j’ai vécu des choses exceptionnelles. Aussi en 2021, quand à l’occasion lors de vacances familiales au Sénégal, la directrice administrative de l’Académie du PSG, Valérie Raphoz -une fille super - me lance : "Alioune, est- ce que cela te dirait t’apporter ton expérience ici ?", je n’ai pas mis longtemps à réfléchir et je me suis dit que c’était le moment d’y aller et aussi de rendre ce que j’avais appris.

Le Sénégal, ce sont mes racines. M’y investir fait sens. Après le Brésil et l’Ile de France, le continent africain est le troisième vivier de joueurs aujourd’hui. Il y a des talents énormes, des forts potentiels, des prédispositions athlétiques incroyables en termes de puissance, de vitesse, de détente. Il y a aussi la technique, cette culture du football de rue, du football de sable, du petit au grand terrain, de ce football sans arbitres ni coachs. Du jeu sur un espace réduit, du jeu rapide, créatif. Avec des joueurs audacieux, imprévisibles, des électrons libres qui aiment la liberté.

"Le Sénégal est une vraie terre de football"

Avec les victoires en CAN des U17 (2023), U20 (2023), et de la génération Sadio Mané (2021), il n’y a pas de doute, le Sénégal est une vraie terre de Football, et le PSG n’a pas voulu à l’instar d’autres académies manquer l’occasion d’y construire quelque chose. Car malgré les bons résultats et le travail de la Fédération, le football sénégalais manque de moyens et de structuration notamment pour le football amateurs. Il y a bien une compétition annuelle qu’on appelle "Navetanes" qui se joue en septembre lors de la saison des pluies mais qui concerne essentiellement les juniors seniors. Tout cela reste assez informel surtout quand on s’écarte de Dakar. Et il n’y a pas de championnat pour les petites catégories. Il reste beaucoup de chantiers à mener pour structurer, former, détecter…

Ma motivation est aussi sociale. Je sais d’où je viens. C’est aussi pour cela que je suis venu au Sénégal. Il n’y a pas que le projet sportif mais aussi le développement humain, social. La plupart des jeunes viennent de quartiers défavorisés. Beaucoup laissent l’école dans un système éducatif qui ne laissent pas de seconde chance. Il y a trop de gamins qui n’aspirent qu’à "voyager" dans les pirogues pour atteindre ce qu’ils pensent être l’Eldorado. Le foot, c’est la 3eme école de la vie. C’est pour cela aussi que notre Académie travaille. Moi je suis coach, mais aussi éducateur, grand frere, tonton. Si un gamin sort de chez nous avec un bagage scolaire et de bonnes valeurs, à défaut d’avoir réussi à devenir professionnel, c’est déjà une satisfaction. Cela me rapproche aussi ce que j’ai vécu avec Michel Tronson à la Jonelière et l’école qu’il avait mise en place avec le triple projet.

Alioune, tu peux nous présenter ton académie, ce que vous y faites ?

Le PSG Academy Sénégal est piloté par Benjamin Houri qui est le Directeur Technique des PSG Academy Monde. Il coordonne la pédagogie et la méthodologie en lien avec le centre de formation et l’équipe professionnelle. Et nous allons chaque année suivre un stage au Campus du PSG en France. A Saly où nous sommes depuis 5 ans, c’est un projet un peu pilote. Nous sommes la seule académie du PSG en Afrique. Et d’ailleurs nous ne recrutons pas seulement sur le Sénégal. Dans le groupe élite qui se compose de 30 joueurs, nous avons 60% de joueurs sénégalais, et les autres sont gambiens, ivoiriens et maliens. Nous faisons des détections à la fois au Sénégal, y compris dans les régions les plus éloignées de Dakar comme à Tambacounda. Et nous nous déplaçons 3 fois par an à l’extérieur comme par exemple au Mali, en Côte d’Ivoire.

"Suaudeau et Denoueix n’ont rien écrit, c’est tellement dommage"

On sélectionne une dizaine de joueurs par an. Il faut être ambitieux mais aussi sérieux et ne pas mentir aux jeunes. Devenir professionnel, ce n’est pas un parcours facile. Nous avons la chance ou plutôt la fierté, car c’est le résultat du travail de sortir une dizaine de jeunes chaque année. Et je peux dire que nous sommes l’une des meilleures académies présentes sur le sol sénégalais. Quand un jeune a la chance de pouvoir gagner sa vie avec le football, c’est une grande joie. Leur permettre de sortir avec un diplôme est aussi une grande satisfaction. Outre le groupe élite, nous avons une école de Foot et un sport études. Les enfants arrivent vers l’âge de 13-14 ans et nous les accompagnons jusqu’au BAC. Et parce que la compétition est essentielle pour progresser, nous avons organisé en juillet dernier la 4ème édition du championnat PSG Academy Sénégal. Cela a été une grande réussite, tant sur le plan de l'organisation, que du niveau de la compétition, avec une participation record de 52 équipes, toutes catégories confondues (U13, U15, U17 et U20). Il y a de plus en plus d’équipes à participer. Y compris Génération Foot qui est un club de foot réputé au Sénégal qui a notamment formé Sadio Mané et qui possède une académie partenaire avec le FC Metz. Cette année on a été médaillé d'or en U20 pour la première fois. Un vrai moment de bonheur.. Le plus important, c'est donner du temps de jeu à tout le monde. Et tant qu'on donne du sourire et de la joie à ces jeunes joueurs, je pense que le pari est déjà réussi.

Dernière question Alioune. Que ressens-tu aujourd’hui et quelles sont tes aspirations ?

Je suis très heureux. Transmettre, c’est un don de soi. Mon inspiration, notre inspiration c’est de proposer du beau jeu. De leur expliquer c’est quoi le beau jeu. Autant dire que l’esprit nantais a toute sa place. Et de faire tout cela dans la bonne humeur, en trouvant du plaisir. On n’apprend pas, on ne progresse pas sans plaisir. Je suis très fier de travailler pour la PSG Academy. Le PSG d’aujourd’hui, c’est le football total. Du beau jeu, du jeu en mouvement, beaucoup d’efforts. Luis Enrique priorise le travail collectif plutôt que le travail individuel avec des stars. La star du PSG aujourd’hui, c’est l’équipe. Et cette saison 2024-2025 est tout simplement exceptionnelle. L’effet PSG, c’est magnifique : je suis dans la place to be.

J’ai évidemment envie de poursuivre ce travail avec le PSG en terre africaine. Mais je ne m’interdis rien. Travailler comme coach avec l’Equipe du Sénégal serait un challenge fabuleux également si l’on me le proposait. J’ai aussi envie d’écrire -le jour où ne pourrai plus courir- (rires) un ouvrage pédagogique pour transmettre tout ce que j’ai appris du beau foot, de ce foot total comme je l’ai connu aux FC Nantes. Jean-Claude Suaudeau et Raynald n’ont rien écrit. C’est tellement dommage.


Le témoignage de Valérie Raphoz, directrice administrative du PSG Academy sur le travail d’Alioune Touré. (Par Mathieu Faye)

"J’ai la chance d'être très bien accompagnée par coach Alioune Touré qui donne tous les jours, du matin jusqu'au au soir pour toutes ces équipes, son staff, pour les joueurs. Afin de partager tout ce qu'il a fait, son expérience en tant que joueur pro, son expérience en tant qu'entraîneur éducateur. Sa référence, comme il le dit tous les jours, c'est la transmission. On s'est entendu depuis le premier jour et aujourd'hui, on sait que c'est plus qu'une équipe, c'est une famille. Et cette famille, on veut la faire grandir et on veut continuer dans la transmission et on espère que le PSG continuera dans ce sens là au Sénégal, parce que vraiment c'est un plaisir et un honneur d'être ici. Aujourd'hui, on est très fiers. Depuis qu'on est arrivés, en 4 ans, on a transféré 12 à 13 joueurs et rien que sur ce mercato d'été, on va être au même chiffre. Tout ça, c'est grâce au travail de notre directeur sportif Alioune Touré et je ne cesserai jamais de le remercier. On va tout donner pour continuer à faire préserver le football sénégalais et aussi de la sous-région, parce que le football africain mérite sa place".


(1) Toubab : nom donné au Sénégal aux occidentaux à la peau blanche.