Est-ce que tu te souviens à quel moment, et de quelle manière, tu te retrouves à prendre les commandes de l’équipe professionnelle ?

Je me souviens très bien. A l’issue de la saison 1997, j’ai été sollicité par René Ruello (président du Stade Rennais) pour prendre en charge les pros. La compétition c’était, pour moi, un peu plus compliqué. Toutefois, cela faisait déjà 16 ans que j’étais au Centre. La formation j’étais prêt à y passer ma vie mais, en même temps, pas hostile à l’idée de vivre une autre expérience. J’ai évoqué cette sollicitation à Jean-Claude Suaudeau et au président Toumelin qui ont dit NON. Coco m’a proposé de venir avec le staff des pros, sans poste défini, m’occuper des pros et je suis parti, quelques jours plus tard, faire la préparation en Autriche. Il était en retrait pendant le stage. Au retour, un matin Coco m’a demandé si j’étais prêt. Prêt à quoi ?... Il m’a dit « les joueurs arrivent dans une heure, je vais venir avec toi et les informer que tu prends en charge l’équipe pro ». C’était une vraie surprise pour moi. Je n’avais pas vu venir le coup ! Six jours avant le début du championnat !!!  Il avait certainement averti le président. Le démarrage a été compliqué car nous avons perdu les trois premiers matchs. Coco a vu que je mettais trop l’accent sur les résultats dans ma communication. Il m’a dit de me concentrer sur le jeu comme je le faisais au Centre de formation. Il avait raison : le succès est une conséquence et non pas un but. Ce n’est pas de moi, mais d’un certain Gustave Flaubert. Avec Coco, les échanges se sont poursuivis, après ma nomination, mais forcément d’une manière différente sur la forme mais pas sur le fond.  Dans ce métier, il faut savoir écouter, mais jamais perdre de vue que c’est l’entraîneur qui prend les décisions et qui en assume ensuite les conséquences.    

 

Quelles sont, pour toi, avec le recul, les principales compétences d’un entraineur pro confronté à la compétition de haut niveau et à la gestion des ego et ambitions personnelles ?...

L’image qui me vient c’est l’atomium à Bruxelles avec le noyau et les électrons autour. L’entraîneur il est « entre » les joueurs. Notre rôle consiste à faire qu’ils soient toujours soudés. Qu’ils aient le plaisir de se comprendre, avec une vraie complicité sur le terrain. L’entraîneur crée un état d’esprit au service du collectif. Pour cela, les joueurs doivent être bien dans leur tête. Avoir les qualités mentales pour s’accrocher et aider les autres. Pour cela, l’entraîneur doit s’investir dans les relations individuelles. Avec Georges Eo, et tout le staff, nous faisions cela, conscients de l’importance de communiquer avec chacun d’entre eux. Personnellement, avec le recul j’aurais dû en faire beaucoup plus. Aujourd’hui, un entraîneur s’appuie sur un préparateur mental. Nous avions l’aide du doc (Fabrice Bryand) et de son staff médical pour nous soutenir dans ce registre si important. Toutes les personnes qui entourent les joueurs au club ont une grande importance.

En second lieu, l’entraîneur pro doit être capable de dégager une base dans le jeu, à travers des principes, et dans le choix des joueurs. Les principes doivent être immuables, même si tu modifies l’organisation. Je constate que les grands entraîneurs s’appuient toujours sur le même noyau de joueurs. Jurgen Klopp à Liverpool s’appuie sur des joueurs cadres et il fait très peu de changement : les joueurs ont besoin de repères stables. La dimension collective prime sur tout : il faut de la complémentarité dans tous les domaines. C’est la cohérence qui permet d’avancer ensemble !

 

Et la pression médiatique, est-ce qu’elle ne vient pas rendre encore un peu plus complexe l’exercice de ce métier puisque chacun (joueur, agent, média, supporter) se sent légitime pour émettre un avis ?...

On peut vite basculer dans le « je » avant le « jeu » !!! D’où l’importance d’être bien entouré. Que le club ait une politique bien définie et connue de tous.

A partir du moment où tu as une ligne directrice, je pense que les choses deviennent plus faciles à vivre. Les avis s’expriment mais tu es moins balloté, car tu sais où tu veux aller. A Nantes, la pression n’avait rien de comparable à celle que j’ai vécu en Espagne. Là-bas, tous les entraînements étaient filmés par 2 ou 3 télévisions locales.  Lorsque tu reviens de déplacement à 3 heures du matin il y a plusieurs médias qui sont présents. L’avantage que j’avais à San Sebastian, c’est que je ne comprenais pas tout et que, par conséquent, je lisais très peu la presse. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux cela prend tout de suite une autre dimension. L’entraîneur doit pouvoir se préserver, et ce n’est pas toujours facile. Il y a de très mauvais moments. Par ailleurs, il faut dire que je n’ai jamais recherché à communiquer avec la presse au-delà des sollicitations incontournables. Je n’avais pas de réseaux. C’était peut-être une erreur mais je n’ai pas de regret !

 

Le titre de 2001 doit rester un grand souvenir pour toi. L’effectif n’était pas le plus prestigieux et pourtant l’équipe a été très performante. Comment expliques-tu aujourd’hui cette réussite ?

C’est très difficile à expliquer. Je pourrais trouver des arguments et on pourrait m’en objecter d’autres qui seraient tout aussi valables. Il y a tellement de paramètres à prendre en compte. L'entraîneur ne peut pas tout maîtriser. Pourquoi, nous gagnons cette année-là alors que la saison précédente on se sauve seulement, au Havre, lors de la dernière journée. Quand tout se joue sur un match, il faut être fort dans sa tête. L’année du titre, les joueurs étaient conscients qu’il faudrait s’accrocher et repartir avec les mêmes joueurs ou presque. Est-ce une explication ?... Les arrivées de Viorel Moldovan, Stéphane Ziani, Sylvain Armand, Nicolas Laspalles ont-t-elles été déterminantes ? Pour un club moyen comme le nôtre, un ou deux joueurs peuvent te permettre de passer un cap, et le départ de 2 joueurs peut avoir l’effet inverse. C’est tellement complexe le jeu : il est dans la tête des joueurs. C’est pour cela que je parlais préalablement d’’état d’esprit et de l’importance du mental. Le mental qui fait que tu es bien ou pas bien. Qui fait que tactiquement tu es en confiance, et donc que tu prends les bonnes décisions, tu exécutes bien, tu as de l’énergie. Tout est lié dans une performance et c’est vraiment complexe à décrypter. Les blessures jouent aussi un rôle important. La réussite dans une compétition sportive, c’est quelque chose de très fragile.

 

Peut-on évoquer maintenant un sujet moins agréable, à savoir ton départ du club. Peux-tu nous dire comment tu as vécu ce licenciement alors que tu venais de gagner, quelques mois avant, le titre de champion de France ?...

Très mal !!!!! Nous sommes passés d’un FC Nantes qui était un club où l’activité première tournait autour du foot à tout à fait autre chose. Dassault que je sache n’est pas vraiment dans le football. La dimension économique, politique et médiatique est devenue plus essentielle que le sportif. L’argent est un moyen, quand est-ce que cela devient un objectif ? Avec Jean-Luc Gripond, j’ai compris dès la première réunion que nous n’étions pas sur la même longueur d’onde. Moi j’étais que dans le foot. J’avais la tête trop dans le guidon avec mes ballons et mes chasubles. Dès le départ, j’ai compris que je n’étais pas dans le projet des repreneurs. Mon licenciement n’a pas été une surprise car il était inéluctable. De plus, nous étions mal classés donc j’ai été logiquement viré.

 

Ensuite, tu as la chance de vivre une très belle aventure avec la Real Sociedad. Vous avez été vice-champion d’Espagne en 2003, à seulement 2 points du Real de Madrid. Cette année-là tu as été élu meilleur entraîneur de la Liga....

J’ai été appelé par les dirigeants de ce club seulement une semaine après mon limogeage officiel. Nous avons échangé une première fois à Bordeaux puis une seconde et ensuite je suis descendu un mois plus tard avec mon épouse pour aller voir un match au milieu des supporters. Le couple qui nous a accueillis était charmant. Là-bas, j’ai rencontré des gens agréables et passionnés. Je ne soupçonnais pas l’importance que le football pouvait avoir pour les basques. Il y a une dimension politique qui n’existe pas en France. L’autonomie de la région est très importante : éducation, fiscalité, sport, culture, langue. Le club est l’étendard de l’identité de la région. La mentalité de travail était exceptionnelle. La reconnaissance des siens de même ! Il y avait de très bons joueurs qui arrivaient à leur plénitude. Nous avions la chance de ne jouer que sur un seul tableau. Dans ma carrière, je dois évidemment beaucoup au FC Nantes, mais à la Réal Sociedad aussi.