Quel regard portes-tu sur le FC Nantes ?  Aujourd’hui, est-ce que ce club peut encore prétendre jouer les premières places et obtenir des titres ?

On ne sera plus jamais champion. Lorsque j’ai récupéré les pros, en 1997, j’ai souvent entendu ces mots. Certains ne se gênaient pas pour le dire devant moi. D’autres, et ils étaient sans doute plus nombreux le faisaient hors de ma présence. Si nous avons été capables d’être champion en 2001, je ne vois aucune raison pour que le club ne soit plus en mesure de le refaire, à nouveau. 
 

Toutefois, aujourd’hui nous ne sommes plus tout à fait dans la même réalité économique. Un entraîneur ne dispose plus du même temps pour construire une équipe...

La réalité économique écrase le sportif, mais on dit que l’art naît de la contrainte et meurt de la liberté, alors !!!! En 1997, c’était le départ de Japhet N’Doram et de Claude Makelele,  mais aussi ceux de Eddy Capron et Christophe Pignol. Et depuis, des années c’était la même situation. Le club devait vendre au moins deux joueurs de talent pour être en capacité de recruter. Coco ne pouvait s’y faire. On veut toujours progresser !!!. Maintenir l’équilibre était plutôt devenu la règle. Quand on est sur un fil, attention !!!. Bordeaux, le Matra Racing et Marseille disposaient de moyens conséquents et Nantes n’était pas, sur ce plan, en mesure de rivaliser. Certes, à l’époque le mercato d’hiver n’existait pas. La stabilité des effectifs existe de moins en moins, le temps encore moins… Le prochain match, c’est parfois déjà l’urgence et l’obligation de gagner, sinon c’est la crise. On n’a pas le droit de perdre. 

 

Comment analyses-tu les évolutions du football ?

Actuellement, rares sont les équipes qui peuvent toujours prendre l’initiative du jeu, AVEC ou SANS le ballon. On constate une assez grande variété dans les organisations. L’évolution du jeu passe par le profil des joueurs choisis (quel que soit le poste) : exemple du ou des milieux devant la défense, plus organisateur que récupérateur. Le gardien devient aussi de plus en plus un joueur de champ supplémentaire (et cela ira en s’accentuant !). Assez souvent, on constate une grande anticipation sur la perte du ballon ce qui nuit à la qualité de l’action offensive parce que l’on privilégie le fait d’être bien en place. Pour surprendre l’adversaire, il faut accepter d’être surpris.

L’évolution du jeu s’exprime aussi à travers le nombre d’actions à haute intensité. Le niveau physique s’améliore sans cesse, moins d’espace, moins de temps, donc la tête doit fonctionner encore plus vite, sinon on ne joue pas juste ! Si la voiture va plus vite, il faut que le conducteur soit encore meilleur ! Aujourd’hui, pour simplifier, on peut dire que le plus gros problème à résoudre c’est de créer de l’espace (pour fermer beaucoup y parvienne !!!).

Sur un autre plan, je constate la place importance prise par les médias dans le football, jusqu’à en oublier le terrain, le match. Pour preuve, le moment où l’on vend le plus de quotidiens sportifs… c’est pendant le mercato. La communication est devenue capitale. Paradoxalement, dans un tel contexte, les joueurs et entraîneurs ne souhaitent plus trop s’exprimer sur le fond. C’est compréhensible. Certains commentateurs sont parfois plus dans l’affrontement personnel que dans l’analyse du match. Sans oublier que les réseaux sociaux amplifient cette tendance. C’est l’excès qui attire. Cela peut, d’ailleurs, devenir une stratégie pour exister, tellement la concurrence est vive.

 

Aujourd’hui, tu penses que le football est devenu un spectacle ?

Le football n’est pas un spectacle. C’est de la compétition. Tout peut se passer sur un terrain et l’on peut même voir Barcelone prendre 8 buts face au Bayern. Dans un spectacle, on travaille, on répète. A 98 %, on verra ce qui est prévu. Un match reste imprévisible malgré tous les entraînements. Dans la compétition, tout peut arriver : le meilleur comme le pire… Beaucoup de choses échappent à l’entraîneur, aux joueurs, aux arbitres. Et c’est ce qui en fait l’intérêt, et la difficulté.

 

Parlons du FC Nantes : est-ce que dans l’approche de Christian Gourcuff tu retrouves, aujourd’hui, une conception du football qui est proche de la tienne et de celle qui a fait la grandeur du club ?

Concernant la grandeur du club, il faut d’abord parler des joueurs. L’enjeu pour moi, c’est le futur et pas le passé. L’important c’est de savoir que Christian Gourcuff a un projet de jeu. Un projet de jeu qu’il maîtrise bien et qu’il sait transmettre à ses joueurs. L’important, c’est le prochain match et les suivants. Comment on va faire pour les gagner.

 

Certains supporters regrettent de ne plus te voir dans le football dans un poste d’entraîneur ou de consultant ?...

Aujourd’hui, j’ai 72 ans et pour moi c’est la retraite. Etre entraîneur à haut niveau, c’est extrêmement éprouvant. J’ai apprécié d’être consultant car on peut découvrir d’autres aspects du football que lorsque tu es entraîneur. Connaître les médias, l’ambiance autour d’un match, être parmi les supporters. Avec le recul, j’ai appris beaucoup. Consultant, j’ai fait cela un peu par hasard. Alexandre Ruiz m’avait sollicité au départ pour commenter un match du Barça (2005) et puis après les événements se sont enchaînés. Mon dernier match c’était à Wembley en 2011 : finale de la Ligue des Champions entre le Barça et Manchester United. Superbe sur le terrain et en dehors.

 

Pour finir cette interview, nous avons été sollicité par des supporters qui voulaient savoir si la médaille de champion était toujours chez toi. Est-ce que tu peux nous raconter comment les choses se sont déroulées ?...

Pendant la période de confinement, j’ai été sollicité par un supporter du FC Nantes (il se reconnaîtra) pour me présenter l’initiative prise par Cyril Dumoulin, le gardien de but du HBC Nantes. J’étais enthousiaste à l’idée de m’associer à cette action au profit du personnel soignant mais je n’étais plus en mesure d’offrir le moindre maillot, le stock était épuisé. Voilà, pourquoi j’ai pensé à la médaille car, pour les nantais, c’était ce que j’avais de plus symbolique à offrir. Trois jours après, j’ai appris que des supporters s’étaient regroupés pour remporter l’enchère afin que je garde la médaille. J’étais à la fois surpris par ce geste mais aussi un peu perturbé. Sur le plan éthique, le fait de donner et de reprendre… cela me rendait mal à l’aise. Il m’a été alors adressé, par courriel, de nombreux témoignages de supporters expliquant leur acte et c’est pour cela que j’ai finalement accepté de la conserver. La médaille est toujours dans mon bureau, à la même place. Je profite de l’occasion pour exprimer toute l’admiration que je porte à ces supporters qui aiment si profondément leur club. Le football a besoin d’eux, et de leur passion.