Contexte

Nous sommes le 19 mars 2002. En ce temps, on est encore tous sous le choc du 11 septembre 2001, on ne sait toujours pas si Chirac et Jospin vont se présenter, l’extrême droite au second tour des présidentielles, ce n’est pas imaginable. Les Guignols de l’Info font fureur avec la marionnette de Ben Laden, et surtout on attend avec impatience la deuxième étoile pour la coupe du Monde en Corée du Sud et au Japon qui commencera dès le 31 mai, car les bleus ont les deux meilleurs joueurs du moment : Zidane, et Pirès…au sommet de son football –avant qu’une modeste blessure ne vienne tout péter. Pokémon est toujours à la mode sur Game Boy, la Play Station 2 règne en maître sur le marché des jeux-vidéos, FIFA 2002 se joue au rythme the « it’s the music applejuice » de Gorillaz et Star Wars épisode II est déjà annoncé comme épique.

Côté foot, et côté Loire, Nantes, depuis le limogeage de Raynald Denoueix, le premier de l’histoire du club, a totalement changé ses priorités de saison avec son nouvel entraîneur, l’ancien génial attaquant Angel Marcos. Pour l’argentin, faire la parade en Champion’s league, c’est sympa, mais le maintien, c’est mieux, surtout pour un champion en titre qui, en quelque mois, a démontré une totale incapacité à assumer ce statut. D’autant que si le FCNA a su créer l’exploit en première phase de poules de Champion’s League en terminant premier de son groupe devant la Lazio de Rome, Galatasaray et le PSV Eindoven, avec notamment deux belles fessées données au PSV (4-1) et au Stadio Olympico de Rome (3-1), la seconde phase, c’est l’atomisation assurée pour les canaris : Manchester United, Bayern de Munich, Boavista Porto.

Hormis le match héroïque, quasi-gagné à la Beaujoire contre Manchester qui se termine sur un pénalty égalisateur de Ruud Van Nistelroy à la dernière minute, Nantes ne va pas du tout, mais alors pas du tout briller dans cette phase et va terminer bon dernier. Qu’importe, côté Ligue 1 (ou plutôt D1 à l’époque), Nantes va beaucoup mieux. Il reste alors un dernier match à jouer, et Angel Marcos, qui mène un groupe qui a retrouvé toute son énergie depuis l’hiver, ne veux pas fatiguer ses titulaires.

Dans l’antre du football bavarois et allemand

Le décor de ce match est sublime : l’Olympiastadion de Munich, un stade mythique, connu, et reconnu de tous. Il fut celui des Jeux Olympiques de 1972, de la victoire de la Mannschaft de Beckenbauer face aux hollandais de Cruijff au mondial de 1974, et il fut aussi le lieu d’un des concerts les plus épiques de l’histoire de la musique, avec Michael Jackson et son History Tour en 1995. Mais c’est bien entendu et surtout la maison du grand Bayern de Munich, quatre ans avant le déménagement dans l’Allianz Arena.

En face des nantais, Linke, Kuffour, Jeremies, Effenberg, Hargreaves, Tarnat, sur le banc, on retrouve Bixente Lizarazu, Salihamidzic, et le tout entraîné par le grand Ottmar Hitzfeld et surtout mené par le grand, l’immense, Oliver « King » Kahn dans les buts. Le Bayern est le vivier principal de la Nationalmannschaft qui s’apprête à aller en finale de la coupe du monde. Et en face, qui va aller défier les bavarois ? Ni plus ni moins que Willy Grondin, Jean-Hugues Bilayi-Ateba, Yves Deroff, Loic Paillères, Charles Devineau, Goran Rubil, Hassan Ahamada et quelques petits jeunes ou des recrues de dernières minutes comme Mauro Cetto, Shiva Star N’Zigou, et Jérémy Toulalan, qui n’a jamais caché son amour pour le Bayern d’ailleurs. Angel Marcos emmène avec lui Nestor Fabbri et Marama Vahirua, qui ne joueront pas. Et il propose pour la première fois au 3e gardien Sébastien Pauvert, de prendre le rôle de goal remplaçant….ah au fait, on oubliait, c’est même pas Angel Marcos qui est sur le banc. Le coach nantais a laissé exceptionnellement sa place à l’éternel adjoint George Eo !

Nantes est donc face au Bayern sans son coach, sans Landreau, Quint, Ziani, Da Rocha, Moldovan, Yepes, Dalmat, André, Delhommeau. Bref, vous l’aurez compris, on a envoyé l’équipe B finir le travail et on ne garde que Nicolas Gillet, capitaine d’un soir et Sylvain Armand, et on ne fera entrer Laspalles et Berson qu’en cours de match. Nantes avait pris une rouste 5-1 face à Manchester à Old Trafford, mais avait su tenir un peu face au Bayern à la Beaujoire (0-1). Avec un tel groupe, on imagine que le FCNA va passer à la casserole.

Les nantais contiennent les munichois

La casserole, on l’attend tous, mais en réalité, Munich, champion en titre, est déjà qualifié et n’entend pas trop non plus forcer contre ces nantais qui n’ont rien de menaçant. D’autant qu’il n’y a que 23 000 spectateurs dans ce stade de 70 000 places. Et cela donne finalement une opportunité d’avoir un match qui n’ira pas tant que ça à sens unique. Bien au contraire !

Même si dans les premières minutes, on sent le déficit de qualité entre les deux équipes : Nantes essaie de ne pas se faire chiper la balle, et manque de précision dans ses passes, même celles en retrait sur Grondin. Grondin justement, bien que mis à mal par les attaques munichoises, le chétif mais néanmoins sous-estimé éternel remplaçant de « Mika » assure le coup à l’image de cette sortie aérienne sur un coup-franc des rouges et blancs, en plein mêlée ! Munich ne se presse pas pour cette première mi-temps et fait tourner patiemment. Les espaces ne sont pas trop complexes à trouver sur les côtés, mais Nantes repousse, encore, encore, sans trop de stress. Ils s’essaient même à quelques contres, mais que la défense munichoise et/ou le grand Kahn maîtrisent sans trop de risque. Mais on rêve, ou ces nantais tiennent le coup ?

Ils tiennent, mais on commence à avoir un peu froid dans la vaste arène, ça manque d’action, alors que dans les tribunes on montre même une banderole se plaignant du prix des billets (18 euros. Oui oui, en 2002 la Champion’s league tu l’avais à 18 euros). Et c’est Nantes qui avant la mi-temps, manque de peu de lancer Ahamada devant Kahn, puis c’est Toulalan qui place une belle frappe à ras de terre, bien capté. Mi-temps et Nantes n’a pas particulièrement tremblé face au grand Bayern !

Ahamada ouvre le score ! Mais Munich lui répond.

Au retour des vestiaires, ça a l’air d’aller très  bien pour Nantes ! Toulalan montre quelques bribes de son futur talent et Ahamada se retrouve souvent taclé illégalement par les défenseurs bavarois pour stopper ses courses. Sauf que, sur une récupération près de la surface nantaise, Sylvain Armand voit cette fois l’avant-centre canari bien parti. Il lui transmet une longue passe au sol. Ahamada rate son contrôle et la balle passe entre ses jambes, mais cela lui permet au final de passer devant Kuffour qui veut éviter de le crocheter en dernier défenseur ! Ahamada cependant s’excentre trop sur la droite une fois la balle en pieds, mais croise malgré tout une petite balle rebondissant qui touche la main droite de Kahn. Sauf que…cette balle prend totalement à contre-pied Kahn et Kuffour ! Et le ballon roule tranquillement…dans le but : Nantes 1, Bayern Munich 0. Vous avez bien lu. Et vu le scénario du but, ça rigole pas mal sur le banc entre Eo, Daguillon et Budzinski.  

Vous avez bien lu, mais profitez-en parce que ça ne va pas durer. On est en face du champion d’Europe, chez lui. Et clairement, être mené à la maison par une bande d’inconnus avec des numéros 31, 34, 29, 35, 27 et le gardien remplaçant, c’est pas quelque chose qu’on tolère longtemps en Bavière. Il ne faudra ainsi pas moins de quatre minutes pour que sur un centre trop élevé pour Grondin, Jeremies vienne piquer une tête par-dessus Ateba. Nantes 1, Bayern Munich 1.

Grondin arrête un pénalty !

Sauf que même avec cette réaction d’orgueil et la domination qui suit par les munichois, et bien ces petits nantais bouchent toujours autant les angles et maintiennent un léger pressing qui font reculer le Bayern ! Mais Angel Marcos a donné une mission à George Eo : ce match, on doit ne pas trop s’y investir. Eo applique la consigne : sortie de Ahamada qui faisait pourtant du mal aux défenseurs munichois, et entrée de Shiva Star N’Zigou. Pour ceux qui connaissent pas, c’est bien cet attaquant qui portait le numéro 3 et qui devait être la relève de Moldovan à partir de 2004.

Le pressing agressif des nantais ne peut cependant rien faire lorsque Salihamidzic, entré en jeu à la mi-temps, parvient à se défaire de Deroff, avant que ce dernier ne veuille rattraper son coup, mais en fauchant l’attaquant munichois dans la surface : pénalty incontestable et Salihamidzic lève les bras, enfin, le calvaire est fini face à ces inconnus ! C’est Pizzarro qui se présente face à Grondin. Sauf que l’italien frappe en force, mais trop au centre ! Grondin plonge vite et bien et repousse la frappe ! Toujours 1-1 et Nantes, après une heure de jeu, malmène énormément le Bayern qui s’agace.

Munich met fin aux doutes…avec une victoire pleine de doutes.

Hélas, tout a une fin, et ce petit exploit nantais va également s’arrêter. Et comme contre Manchester, c’est dans les dernières minutes que Nantes va laisser filer l’exploit. Sur un long centre un peu lancé au hasard, Pizarro prend le dessus sur la défense centrale des canaris et parvient à placer la balle sur la droite de Grondin. L’italien jubile et fait des signes de baisers au public…mais on sent une pointe de dépit dans cette célébration, il aura en effet fallu attendre 87 minutes pour voir enfin le Bayern de Munich être devant dans ce match.

On s’arrêtera là, Nantes, avec son effectif de réserve, n’a pas forcément dominé, mais a rapidement mis en place un pressing bien organisé et a su se montrer incisif, dangereux et, même si son seul but était un peu foireux, a su montré qu’ils pouvaient regarder le grand Bayern les yeux dans les yeux, même avec une bande de jeunots inexpérimentés, autant en Champion’s league qu’en D1. Ce match, c’est l’histoire d’un groupe improbable, dans un match avec un scénario improbable : Nantes qui mène au score, stoppe un pénalty, et ne cède qu’à 3 minutes de la fin du temps réglementaire face à l’une des meilleures équipes du monde, au cours d’une saison où ils termineront 10e de leur championnat. Bref, c’est l’histoire d’un Nantes-Bayern qui a failli provoquer un tremblement de terre dans le monde du foot.

Pour l’anecdote :

C’est le dernier match à ce jour du FC Nantes en Champion’s League. Et c’est en toute logique, le dernier match que le FC Nantes joue avec son fameux maillot vert Le Coq Sportif spécialement.

Willy Grondin portera un maillot de gardien noir et gris, dont le modèle était en vente à la boutique du FC Nantes. Ce sera pourtant la seule fois que ce maillot sera porté sur un terrain par un membre de l’effectif. Mickaël Landreau ne portera jamais ce maillot, lui préférant un simple uniforme noir.

C’est le tout premier match européen de Jérémy Toulalan, avec son numéro 34, et c’est contre son club de cœur ! Le Bayern de Munich.

C’est évidemment et également le tout premier, et unique, match européen du FC Nantes mené par George Eo, l’éternel numéro 2 du FCN, qui n’aura les reines du groupe pro hélas que bien plus tard, pour trop peu de temps et au pire moment.