Deuxièmes du championnat l’année passée, à trois points de Bordeaux, les Canaris disputent donc la coupe UEFA lors de la saison 1985-1986. Depuis leur grande épopée en C2, qui les avaient amenés en demi-finale face à Valence cinq ans plus tôt, les Jaunes-et-Verts sont retombés dans leurs travers en coupe d'europe. Éliminés en huitièmes de finale de la coupe des clubs champions en 1980 par l’Inter Milan, les Nantais restent sur deux éliminations lors du premier tour sur la scène européenne, face au KSC Lokeren et au Rapid Vienne. 

L’été 85 est riche en émotions à Nantes. Il est d’abord tragique lorsque Seth Adonkor et Jean-Michel Labejof décèdent lors d’un accident de voiture. Puis il devient mouvementé lorsqu'il s’agit de compenser les départs de Maxime Bossis, Fabrice Poullain et Michel Bibard. Budzynski doit s’activer et fait venir Yvon Le Roux, Vincent Bracigliano et Jorge Burruchaga. Des changements dans le groupe mais qui auront le mérite de provoquer un nouvel élan chez les Canaris. À l’aube de la saison 1985-1986, la Cité des Ducs n’a pas oublié les exploits d’il y a cinq ans en Coupe des Coupes et rêve d’une nouvelle épopée. 

 

Un hors piste vite corrigé

Dix-neuf ans après leur premier déplacement en Islande, les Canaris doivent y retourner lors du premier tour de la coupe UEFA. Cette fois ils n’y affrontent pas le KR Reykjavik mais bien l’autre club de la capitale, le Valur Reykjavik. Les Nantais, guidés par Jean-Claude Suaudeau, se rendent sereins en Islande, trop même. Devant 2000 spectateurs, les Canaris se font surprendre par des Islandais volontaires et motivés à bloc. La première mi-temps est compliquée pour les Nantais qui rentrent aux vestiaires en tenant le match nul. Mais juste après la pause, les hommes de Suaudeau se font punir par l’attaquant Thorbjörnsson. Sous pression, les Canaris réagissent vite et José Touré remet les deux équipes à égalité. En toute fin de match, le bateau nantais coule lorsque Thorbjörnsson, encore lui, donne l’ultime avantage à son club qui arrache la victoire 2-1. “Nantes à l’eau” titre le lendemain L'ÉQUIPE. La défaite est historique, il s’agit de la toute première d’un club français face à un club islandais en coupe d’Europe. 

Le spectre des récentes éliminations humiliantes face à de modestes équipes européennes refait surface. Mais cette fois, les Canaris ont bien retenu la leçon et ont soif de revanche deux semaines plus tard dans une Beaujoire qui vit ses premiers émois européens. Bien plus sérieuse et appliquée, l’équipe de Suaudeau déroule son football. Loïc Amisse, auteur d’un doublé, et José Touré permettent à Nantes de signer une victoire retentissante 3-0, synonyme de qualification pour les seizièmes de finale. 

 

Retrouvailles yougoslaves

C’est un vieil ennemi qui croise à nouveau le chemin des Canaris lors des seizièmes de finale. En effet, Nantes est opposé au Partizan Belgrade, contre lequel il avait disputé son tout premier match en Coupe d’Europe, il y a 20 ans. Le match aller ne s'annonce pas comme une partie de plaisir : tous les clubs français avaient alors perdu en terre yougoslave en Coupe d’Europe. La tâche qui attend les Nantais est difficile, surtout dans un stade dans lequel s'amassent 50000 spectateurs réputés pour leur tempérament bouillant, parfois violent. Rares sont les supporters nantais qui ont osé le déplacement. Sur le terrain, le Partizan prend rapidement le jeu à son compte. Le Roux détourne dans son propre but un coup franc tiré par Vucicevic au bout de 10 minutes. Mais il en faut plus pour faire douter les Nantais. Extrêmement séduisants, notamment au milieu de terrain où José Touré surnage, les Canaris étouffent les Yougoslaves. À l’heure de jeu, Nantes est récompensé grâce à une sublime reprise de volée de Vahid Halilhodzic sur un centre de Loïc Amisse. Second poteau Vahid. Le but est entièrement mérité et les Nantais repartent avec un match nul 1-1 convaincant qui leur laisse espérer une qualification pour les huitièmes. 

À la Beaujoire, les Canaris sont en confiance et, dans la continuité du match aller, laissent briller leur football. Spectaculaire et redoutablement efficace, le jeu nantais illumine une belle soirée européenne. Burruchaga, Amisse (x2) et Bracigliano, auteur d’un but incroyable, dribblant l’entière défense yougoslave, scellent une victoire sans appel. Encore une fois, le milieu de terrain nantais, organisé autour de José Touré et du jeune Debotté, a brillé de créativité et de technique. Le jeune Der Zakarian (22 ans), s’affirme de plus en plus dans la défense nantaise. La nette victoire 4-0 est un signal fort pour l’Europe : il faudra compter sur Nantes cette année.  

 

Nantes inarrêtable

En huitièmes de finale, Nantes hérite d’un adversaire d'un tout autre niveau : le Spartak Moscou. Meilleure attaque du championnat soviétique et vivier d’internationaux, le Spartak fait presque figure d’épouvantail. À Tbilissi, lors du match aller, Nantes fait le dos rond en première période. Les occasions sont pour les rouges et, bousculés, les hommes de Saudeau s’en sortent une nouvelle fois grâce à leur collectif. Chacun des onze joueurs fait les efforts pour ses compagnons. Les Canaris s’épaulent et signent une bien meilleure seconde mi-temps à l’image de Der Zakarian, éblouissant. Dans un rôle pratiquement de libéro, il impressionne et musèle l’attaque russe aux côtés de son compère Le Roux.

À un quart d’heure de la fin, un centre nantais est détourné par la main d’un défenseur russe. L’arbitre hésite puis siffle le pénalty évident. Entré en jeu douze minutes auparavant, c’est le jeune breton de 23 ans Pierre Morice qui se présente devant Rinat Dassaev, “l’araignée”. Le portier soviétique est considéré alors comme le meilleur gardien au monde et beaucoup voient en lui le digne successeur du ballon d’or Lev Yachine dont il a hérité un des surnoms. Pas de quoi impressionner le jeune Morice, qui pourtant “manque de confiance en lui”, selon Robert Budzynski. Le breton s’élance et prend Dassaev à contre-pied. Il s’agira de l’unique but de la rencontre. Solidaires de bout en bout, les Jaunes-et-Verts signent une précieuse victoire 1-0 au goût d’exploit. Encore une fois, Nantes est l’exception du “mal français”, qui veut que les équipes tricolores ne réussissent pas à l’extérieur. 

Le Spartak n’a toutefois pas dit son dernier mot. Lors du match retour, les soviétiques mettent au supplice les Nantais, qui tiennent le coup une nouvelle fois grâce à leur courage et leur solidarité. S'ils n'encaissent pas de but en première période, les Canaris craquent peu après l’heure de jeu. Sur une contre-attaque éclair , Tchervenkov se joue habilement de la défense nantaise et envoie un missile dans la lucarne droite du vétéran Bertrand-Demanes. Tout est à refaire pour Nantes qui voit le Spartak revenir à sa hauteur. Poussés par 40000 spectateurs, les Canaris ne baissent pas les bras et deux minutes après l’ouverture du score soviétique, Morice trouve, sur un long coup franc, José Touré qui pousse la balle de la tête dans les filets de Dassaev et laisse la Beaujoire exulter. L'égalisation nantaise passe mal chez les soviétiques et la fin de match est tendue. Les joueurs du Spartak sont nerveux et le défenseur Boubnov est expulsé à trois minutes de la fin. Suaudeau en profite pour faire entrer un certain Didier Deschamps, qui dispute ainsi son tout premier match européen. Nantes tient le nul 1-1 et ainsi sa qualification pour les quarts de finale.

 

Nantes face à son meilleur ennemi.

Le tirage au sort des quarts de finale a ravivé de vifs souvenirs à Nantes. Les Canaris croiseront la route de l’Inter Milan qui les avait éliminés de la Coupe des clubs champions, cinq ans plus tôt. La double opposition avait laissé un goût d'injustice, tant les Canaris avaient été frustrés par le jeu italien.  Nantes - Inter c’est avant tout une opposition de style. Le flamboyant “jeu à la nantaise”, avide de créativité face au catenaccio italien, physique, dur à l’âme et vicieux au possible. Les deux sont des parfait opposés, comme deux faces d’une même pièce. L'opposition est particulièrement attendue dans les rangs nantais et risque bien de provoquer des étincelles.

L’hiver a laissé des traces chez les Canaris, bien moins fringants et en difficulté en championnat. De l’autre côté, l’Inter a grandi. Financièrement et sportivement, les Interistes jouent maintenant dans une toute autre cour que les Canaris. Du point de vue économique, les clubs français sont en retard et tardent à se moderniser. À San Siro, lors du match aller, les Italiens donnent la leçon aux Nantais. Alessandro Altobelli, Marco Tardelli et Karl-Heinz Rummenigge percent tour à tour la défense nantaise et permettent à l’Inter de signer une victoire nette et sans bavure, 3-0. La différence de niveau entre les deux formations était bien trop importante pour que les Nantais puissent espérer quoique ce soit. “Ce sera mission impossible” titre, défaitiste, L'ÉQUIPE. C’était sous-estimer ce FC Nantes-là. 

 la Beaujoire, les Canaris se transcendent dans un match qui restera légendaire dans la mémoire jaune-et-verte. Le match aller a eu don d’énerver les joueurs de Suaudeau, trop justes, trop impuissants face à une équipe milanaise, très juste, trop puissante. William Ayache, qui avait pris le bouillon à San Siro, est transfiguré sur le sol de la Beaujoire. Le latéral le sait, c’est sa dernière saison à Nantes. Alors le natif d’Alger motive constamment ses troupes, montre une débauche d’énergie incroyable et donne à ce match une belle saveur de revanche.

Sur coup franc, Der Zakarian ouvre le score de la tête à la neuvième minute. L’Inter ne panique pas malgré l’intensité de jeu proposée par les Nantais et égalise même à l’aide d’un but incroyable du poison Altobelli. Déjà buteur à l’aller, l’avant-centre italien marque d’un retourné dans la surface. Alors que l’on pourrait penser les espoirs nantais envolés, ceux-ci se jettent sur les cages de Zenga avec deux fois plus de hargne face à des Milanais débordés. Halilhodzic sur pénalty puis Le Roux, qui reprend une frappe lointaine repoussée par Zenga, redonnent l’avantage aux nantais. À la pause, les hommes de Suaudeau mènent 3-1, une véritable prouesse qui ravive la flamme de l’espoir.

Mais les Italiens ont plus d’un tour dans leur sac. Et quand le jeu ne vient pas, place à l’anti-jeu. Simulations, coups en douce, tout est mis en œuvre pour faire sortir les Nantais de leur match. Et ça marche, la jeune équipe nantaise craque. L’ailier italien Pietro Fanna se jette sur Ayache dans un véritable attentat. Furieux, Der Zakarian laisse parler ses nerfs et frappe le joueur de l’Inter. Le Nantais est expulsé tandis que Fanna reste sur le terrain malgré son geste dangereux.

En infériorité numérique, tout se complique pour les Nantais qui perdent dans la même minute José Touré, pièce maîtresse du milieu, sur blessure. Souvent visé par les tacles italiens, les ligaments de son genou gauche cèdent lorsque le génialissime milieu retombe après avoir tenté de disputer un ballon aérien. Le “brésilien” doit tristement quitter la pelouse pour ce qui sera son dernier match sous les couleurs nantaises. Double coup dur qui se transforme ensuite en triple coup dur pour Nantes lorsque Brady convertit un penalty et enterre les espoirs de la Beaujoire. L’Inter enfonce même le clou en toute fin de match, grâce à l’inévitable Altobelli. A deux doigts de créer l’exploit, Nantes est tombé dans le piège italien et concède le match nul 3-3. Trop naïfs, trop purs pour répondre au défi du catenaccio italien. Cinq ans après, le même gout amer de l'injustice et de la frustration est dans toutes les bouches nantaises. 

 

Le football français retiendra de ce match une nouvelle fois la leçon de la suprématie italienne. La pièce retombe toujours du côté italien. C'est à se demander si elle ne serait pas parfois truquée. Le match retour du FC Nantes contre l’Inter Milan est d’autant plus fort symboliquement que les Canaris étaient à deux doigts de faire chuter leur adversaire. Ils quittent néanmoins la compétition la tête haute avec la preuve que, face à la modernisation du football, le jeu à la nantaise aura encore son mot à dire.