Le 31 décembre de cette saison 2019/2020 qui s'élancera le 9 août prochain, le FCN va probablement conclure la pire décennie de son existence. Ironie du sort, le voisin rennais vient quant à lui de réaliser sa plus belle saison. Mais pour expliquer ces années de galère, il n'est point judicieux de superposer un miroir avec la politique sportive développée par le néo-rival ces dix mêmes années. Le Stade Rennais vient tout juste de dépoussiérer sa vitrine, laissons-lui ses reflets de braise quand bien même il va se chauffer une seconde saison de suite en Europe. Non, à Nantes, si cette dernière décennie s'est coloriée de « Rouge et noir », ce n'est pas tant qu'elle se serait hasardeusement inspirée de la bande à Pinault, mais bien parce qu'elle s'est nourrie du paradoxe « Rouge et noir », celui exposé par Stendhal au premier tiers du XIXe siècle, à travers son personnage Julien Sorel. Un homme ambitieux, orgueilleux, avec une certaine définition de la séduction et qui a misé sur le hasard pour prendre des décisions lourdes de conséquences. Une description familière dira-t-on du côté d'une bonne frange des supporters...

La décennie 2010, une vierge farouche

Dans tout sport, il est anachronique de vouloir comparer les époques sans contextualiser une performance. Est-il judicieux de reprocher à la famille Kita, propriétaire du FCN depuis la première rétrogradation de son histoire, en 2007, de ne pas avoir complété l'un des palmarès les plus fournis du foot français alors qu'un club dispose depuis 2011 de moyens financiers jamais atteints sur notre territoire ? Est-il honnête de ne pas accorder au père et au fils, tant décriés depuis leur arrivée sur les bords de l'Erdre, cette circonstance atténuante ; celle d'un mastodonte qui a raflé six titres de champions de France, autant de Coupes de la Ligue et cinq Coupes de France lors des dix dernières saisons ?

Le problème n'est pas tant de ne pas avoir « conclu », liminaire finalité aux yeux de Jean-Claude Dusse, sinon celui de ne jamais s'en être donné les moyens. Sur cette période étudiée ici, dix-sept clubs ont offert à leurs supporters une finale dans une compétition nationale. Parmi eux, Evian Thonon Gaillard, Guingamp, Auxerre, Bastia, Quevilly et même... les Vendéens des Herbiers. La quasi-majorité des clubs historiques ont été au moins une fois au rendez-vous (Paris, Lyon, Marseille, Saint-Etienne, Bordeaux, Strasbourg, Lille...) Nantes, parallèlement, a brillé par son absence. L'équipe a bien accédé à plusieurs reprises au dernier carré mais n'a jamais permis au peuple bicolore d'y croire vraiment. Le seul frisson est probablement cette demi-finale dans le « vétuste » stade de la Beaujoire face au PSG en 2014, avec cette égalisation du Capitaine Olivier Veigneau qui permit un soir de 4 février de croire in-extremis à une prolongation. Et c'est à peu près tout.

 

Face à Madame de Rênal qui ose une once de pitié à son égard, Julien Sorel, qui s'arrache pour ne laisser poindre aucune fêlure dans sa fierté, rétorque : « Je suis petit, madame, mais je suis loin d'être bas ». C'est hélas une expression antinomique qui conviendrait d'employer ces temps-ci pour un club qui n'avait plus laissé vierge son palmarès sur toute une décade depuis les années 50. L'institution FCN, une belle en devenir à cette époque, en était à ses premiers balbutiements et impressionnait davantage par la qualité de sa pelouse que par ses performances sur gazon. Soixante-dix ans plus tard, cette institution se rapproche de cette femme nue et terriblement attirante dans la baignoire de Shining, mais dont la peau flétrit horriblement à la vitesse de la lumière et qui finit par répugner Jack Nicholson. C'est un FC Nantes devenu méconnaissable au regard de ses historiques contemplateurs. La belle en devenir est tout au mieux une belle endormie, et ses récentes contre-performances n'ont qu'accompagné en toute logique des erreurs et des errances dans l'intendance qui est la sienne depuis maintenant une petite vingtaine d'années.

Noir, c'est noir, le FCN dans le rouge

Si la statistique des dix-sept clubs français qui ont acquis le droit, entre 2010 et 2019, de disputer un match couperet pour l'obtention d'un trophée, est causante – au passage, Rennes en jouera un cinquième lors du prochain trophée des champions –, que dire en décortiquant les archives des dix derniers championnats engageant les tuniques jaune et verte.

Franck Kita, commentant la seconde remontée de Nantes en Ligue 1, fixait l'objectif de maintenir le navire dans le top 10 dans les cinq années suivantes. En six exercices, il s'est hissé dans 50% des cas dans la première moitié du tableau – en tenant compte du classement sportif pour la saison 2013-2014 et non administratif –. Pas de quoi se pavoiser. Pas de quoi rougir non plus. Ce qui est inquiétant à la lecture des chiffres, c'est que le club, qui n'a jamais été en mesure de remporter un trophée, n'a guère effleuré une compétition européenne par le biais du championnat. En 2016-2017, les hommes de Conceiçao se sont maintenus au septième rang, le plus haut depuis 2003-2004. Pourtant, ils ont été distancés de huit points par son devancier, l'ennemi bordelais, éliminé sans gloire au troisième tour des qualifications de la C3 par... Videoton. En Gironde, on en rigole encore. À contrario, le spectre d'une descente n'a jamais non plus ombré dans les grandes largeurs un club traumatisé par deux camouflets consécutifs dans l'élite. Il y a bien eu des crises sportives – sous Girard et Cardoso – mais Nantes a toujours su se mettre aux abris à plusieurs journées du terme.

Ainsi, c'est la pâleur de saisons inodores et sirupeuses qui a progressivement amené ce climat délétère à la Jonelière, un sentiment d'échec sur toute la ligne. Et le ressenti est bien plus consommé quand la jalousie – en rouge et noir – vient compléter une mixture qui n'a jamais été au goût d'un public qui fuit progressivement le stade. Les abonnements s'amincissent de saison en saison même si l'affluence a connu une première recrudescence depuis quatre ans lors de cet exercice 2017-2018 (hausse moyenne de 6% d'une année sur l'autre.)

Les années 20, fin de la piquette ?

Pour autant, le sportif n'est même pas le premier facteur de colère et de rogne qui résonne depuis des années dans une enceinte théâtre de beaucoup de succès nantais et nationaux depuis trente-cinq ans. Si la Brigade Loire multiplie les appels à la démission, c'est parce qu'elle juge que la direction baffoue l'ADN du FCN, qu'elle éparpille façon puzzle une identité émiétée par des relents de modernisme et de changements à tout-va.

C'est en ce sens que cette décennie « Kitanesque » en consommation d'entraîneurs, onze sur les dix dernières années, symbolise un paradoxe permanant et brouille la visibilité d'un projet bien précaire aux yeux de beaucoup. Julien Sorel s'est empêtré entre son admiration pour Napoléon et le clergé ; les Kita entre leurs envies de grandeur, de démesure – sans parler d'anatomie – pour gager une dimension nouvelle grâce à des infrastructures chatoyantes, et leur mutisme religieux dans le progrès sportif du club : en cause, une politique profondément instable et un recrutement qui s'est jaugé à travers une partie de roulette. Noir ou rouge. Rouge ou noir. C'est même une roulette russe qu'ont engagé les Kita en s'apprêtant à vendre le club au printemps à un fonds d'investissement qui s'est avéré dilettant et de nature périlleuse pour la pérénité de l'octuple champion de France.

Les années 2010 se referment, laissons les années 20 prospérer, elles pourraient bonifier des Kita cueillis froidement dans le vignoble nantais. Après tout, Julien Sorel était un homme romantique et sentimental. Qui sait si la greffe ne prendra pas un jour entre l'ensemble des supporters et celui pour qui « avoir un beau sexe » (appeal) est si important.