Depuis plusieurs saisons, le championnat français est considéré comme un championnat de passage mais l’année 2020 s’apparente à une saison blanche. Habituellement, le trading représente 25 % du budget. Face à ce tableau inquiétant, une nouvelle difficulté apparaît concernant le retrait de plusieurs sponsors. A Nantes, cela ressemble même à une véritable hécatombe : après Synergie et Manitou… qui sont des sponsors importants, nous apprenons le départ de Maisons Pierre.

 

La crise sanitaire révèle l’instabilité des clubs

En quelques semaines, nous venons de vivre plusieurs événements qui témoignent de l’instabilité des clubs. Il y a d’abord eu l’envahissement de la Commanderie à Marseille. Un peu plus tard l’annonce selon laquelle Saint Etienne était à vendre. C’est ensuite King Street le propriétaire de Bordeaux qui jette l’éponge. Enfin, tout récemment le risque du dépôt de bilan pour le Nîmes Olympique et Angers qui cherche un repreneur. Soyons clair, la crise sanitaire ne vient qu’accélérer l’entropie d’un modèle économique qui affiche ses limites depuis plusieurs années. En effet, quelle économie peut survivre à une situation où les coûts augmentent deux fois plus vite que les recettes ? Une telle réalité n’est plus tenable car il faudra bien, à un moment ou un autre, rembourser les prêts consentis par l’Etat.

En matière de spéculation, le football français a sans doute atteint son apogée. L’échec de King Street à Bordeaux va calmer, pendant quelques temps, les ardeurs des investisseurs étrangers. Nul doute que cet organisme connaissait mieux la réputation du vin de la région que le monde du foot et l’histoire des Girondins.  Après deux ans et demi, ce fond d’investissement décide de stopper l’aventure après avoir investi plus de 80 millions d’euros. Incroyable scénario : durant cette période, les supporters bordelais n’auront jamais vu le visage du patron de King Street. Fait intéressant, plusieurs projets de reprise sont à l’étude et ils ont tous, en commun, la volonté de s’appuyer sur un socle de partenaires économiques locaux et sur les groupes de supporters. La lucidité est enfin de retour !

 

L’ancrage au territoire : garant de la stabilité…

La crise sanitaire s’avère un puissant révélateur de l’instabilité économique. Elle accroît les différences entre les clubs qui sont bien gérés et les autres. L’Olympique Lyonnais incarne, depuis plusieurs années, à travers son président Jean Michel Aulas une cohérence stratégique qui se décline à plusieurs niveaux : le projet sportif, les équipements, les partenariats économiques, la politique de formation. Tous ces ingrédients sont là pour faire grandir le club. Certes, la Direction a fait le choix d’ouvrir son capital à un investisseur chinois (IDG Capital Partners) mais il le fait seulement à hauteur de 20 %. C’est un moyen pour agir, pas une dépendance. D’autres clubs comme le RC de Lens ou le FC Metz font aussi preuve d’une grande pertinence dans leurs choix stratégiques. A chaque fois, il y a cette volonté de jouer la carte de l’international tout en prenant appui sur le local. L’un ne peut pas se faire sans l’autre. La quille qui maintient le bateau à flot, c’est le territoire…

Au FC Nantes, le mal profond qui ronge le club depuis plus d’une décennie c’est l’incapacité de son président à savoir collaborer efficacement avec les différentes composantes du territoire qu’ils soient partenaires économiques, élus et collectivités locales, groupes de supporters. Certes, il est plus délicat de construire des synergies fructueuses de Paris ou de Bruxelles mais la distance n’est pas une explication suffisante. Tout comme celle de ne pas vouloir désigner sur place un Directeur Général digne de ce nom. Ni même de concevoir un véritable plan de développement.

Joseph Ourghourlian l’actuel président du RC Lens est parvenu à créer une dynamique territoriale en moins de 2 ans tout en résidant à Londres. Il a reconnu avoir fait évoluer son approche managériale en apprenant à aimer ce club. Le management requiert des compétences, du temps… mais aussi l’aptitude à fédérer les bonnes volontés. Le marketing ne peut à lui seul compenser l’absence de lien social.

 

La légitimité : incarner la communauté de destin…

Aujourd’hui, à Nantes il n’existe pas de débat sur qui détient juridiquement le club. En la matière, la loi ne prête à aucune confusion. Personne d’ailleurs ne conteste à Waldemar Kita son droit de propriété. Toutefois, être propriétaire cela confère des droits… mais aussi quelques devoirs. En premier lieu, celui de respecter l’histoire, l’identité et les valeurs du club. C’est-à-dire impliquer dans une dynamique collective tous les acteurs qui peuvent contribuer à sa raison d’être.

Ce qui pose problème au FC Nantes c’est l’absence de légitimité de la Direction à incarner cette « Communauté de Destin » qui devrait naturellement relier dans la maison jaune les dirigeants, les élus, les partenaires locaux et les supporters.

Cette communauté de destin qui donne sens à la volonté d’être solidaire dans les bons et les mauvais moments. Faute d’exister, cette communauté se fracture aujourd’hui avec le départ des sponsors. Comment expliquer que Synergie qui fait partie de l’histoire du club décide de ne pas poursuivre un partenariat qui dure pourtant depuis plus de 40 ans ?... Il ne s’agit pas de critiquer de tels choix mais d’en comprendre le fondement.

Est-il utile de rappeler la résistance manifestée, depuis plusieurs années, contre la gouvernance du club par certains groupes de supporters. Depuis quelques mois, cette contestation prend une nouvelle ampleur. Les supporters ne revendiquent aucune reconnaissance, juste le droit de voir respecter leur club de cœur.   

 

La place des supporters : la question est posée…

Chacun ne doit-il pas rester à sa place ?... Est-il acceptable que les supporters fassent de l’ingérence dans le fonctionnement interne du club ? Les avis sont partagés mais certains estiment dangereux que la gestion d’un club professionnel puisse se faire sans contrôle, ni contre-pouvoir.

Face à cette question, Christian Bromberger auteur de plusieurs ouvrages sur le Football pense légitime que les supporters revendiquent une appartenance symbolique. La propriété ne peut pas occulter le sentiment d’appartenance. Bien au contraire. Christophe Bouchet (ex-président de l’Olympique de Marseille) parle lui de « Bien Commun Affectif ».  Quant à Alain Cayzac (ex-actionnaire du PSG) il va jusqu’à dire que le club est un service public « c’est une grosse PME avec l’aura d’une multinationale mais c’est aussi un service public qui se doit d’apporter du plaisir aux supporters. Et quand il n’y a pas ce plaisir, cela devient alors un problème, car, en face, nous n’avons pas des simples clients mais de véritables passionnés qui portent le club dans leur cœur. Ils ne s’en iront pas ailleurs… comme le ferait un client lambda. L’attachement est exceptionnellement fort ».

Nous savons tous que les supporters restent plus longtemps que les joueurs, entraîneurs et dirigeants et qu’ils sont l’âme du club.  Il y a quelques années le PSG a été dans l’obligation de composer avec les groupes de supporters et de remettre en cause sa stratégie élitiste. Sans ferveur populaire, le spectacle n’avait plus la même saveur.

Les supporters sont des partenaires, pas des clients. Malgré un marketing de qualité et des tarifs attractifs, beaucoup de supporters nantais ont fait le choix, ces dernières années, de ne pas renouveler leur abonnement.

 

La responsabilisation globale du club

Un club de football professionnel n’est pas une entreprise comme une autre. Sa responsabilité est économique, sociale et sociétale. Il ne peut se satisfaire d’être seulement une industrie du spectacle.

Son mode de gouvernance doit avoir le souci du développement durable comme c’était le cas lors de la période glorieuse du FC Nantes. Comment est-il possible de savoir où l’on veut aller si on se refuse de savoir d’où l’on vient.

Son mode de gouvernance doit être ouvert sur son écosystème. Le club appartient à son territoire. La zone d’attractivité de la métropole nantaise c’est plus d’un million de personnes et quelques milliers d’entreprises.

ll devient urgent que le FC Nantes s’inscrive de nouveau dans cette logique qui est la marque de fabrique des plus grands clubs.  Il devient urgent que le FC Nantes puisse se reconstruire sur un projet qui fédère autour de lui tous les passionnés de ce club.