Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions vous arrivez au FC Nantes à 17 ans ?

Jean-Michel Fouché et André Castel sont blessés et le club doit recruter en urgence un nouveau portier. Il fallait une signature avant le 1er novembre pour que le contrat soit homologué par la Fédération. Pascal Delhumeau et Dominique Dropsy sont sollicités dans un premier temps mais ils ne donnent pas leur accord. Bernard Blanchet et Gaby De Michèle évoquent mon nom à José Arribas car ils m’avaient vu briller au Parc des Princes avec l’équipe de France junior en lever de rideau d’un match international. Je suis arrivé à Nantes le 3 novembre 1969 et 2 jours plus tard je jouais contre l’Olympique de Marseille de Josip Skoblar et Roger Magnusson. Une victoire 2 buts à 1. Le week-end précédent je jouais encore avec Pauillac en division de district.

Lors de votre arrivée au club, les premiers contacts avec José Arribas sont particuliers…

Nous attendions à la gare et Paul Courtin m’a gentiment proposé de faire un tour jusqu’à la boulangerie la plus proche pour m’offrir un gâteau. J’avais choisi une religieuse. J’ai eu à peine le temps d’engouffrer la première bouchée que j’ai entendu quelqu’un taper sur la vitre de la boutique. C’était Monsieur Arribas qui, par geste, me faisait part de sa vive désapprobation. Paul m’a alors expliqué qu’il fallait s’attendre à devoir payer très cher ce manquement à la discipline. Lors du voyage, plusieurs joueurs sont venus me voir pour me confirmer l’intransigeance du coach. J’étais très inquiet, redoutant une sanction exemplaire. À l’arrivée à Nantes, j’ai été m’excuser auprès de Monsieur Arribas. Il m’a regardé avec beaucoup de gravité pour me dire « D’accord, je passe l’éponge pour cette fois-ci mais je vous attends demain à 10 heures précises pour l’entraînement ». Autour de moi, tous les joueurs étaient morts de rire. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je venais de vivre mon bizutage. José était capable de plaisanter tout en gardant un air sérieux.

Dans le domaine de la relation, quel souvenir gardez-vous de José Arribas ?

Pour moi d’abord c’était Monsieur Arribas. Je l’ai toujours appelé ainsi par respect. C’était aussi un peu mon papa. Il n’avait pas besoin d’être strict car nous étions responsables. J’avais une chambre dans une maison rue Georges Sand où logeait aussi Dominique Marchetti et Georges Eo. À côté, il y avait celle de Madame Fredi chez qui nous partagions nos repas avec Gardon, Audiger, Contassot et Delanoë. Il n’y avait aucune surveillance de la part du club comme cela pouvait se faire ailleurs. C’était l’école de la confiance et de la responsabilisation.

En matière de discipline, José était strict avec vous ?

Il était exigeant mais les règles étaient acceptées par tous.  Avec lui, il y avait toujours possibilité de négocier. J’ai en mémoire un déplacement à Munich pour un match amical contre le Bayern de Müller, Beckenbauer et Overath. Après le match, il y avait un repas en commun. Les Allemands avaient de la bière à table alors que ce n’était pas le cas pour nous. Gaby De Michèle et Bernard Blanchet ont été voir le coach pour lui dire « cela fait 20 ans que l’on boit de l’eau et nous n’avons rien gagné… alors qu’eux ils boivent et ils ont tout gagné ». Il a donné son accord pour boire une bière en rappelant que, dès le lendemain, cela serait le retour à l’eau minérale.

Les déplacements étaient longs à l’époque. José savait très bien que nous n’allions pas nous coucher immédiatement lorsque nous étions en transit à Paris. Nous connaissions un restaurant près d’Europe 1 qui servait des fruits de mer jusqu’à 3 heures du matin. Il n’y avait jamais d’abus. D’ailleurs, s’il y avait un match trois jours après, personne ne sortait. Au club, je n’ai jamais vu un joueur se laisser aller à faire n’importe quoi.

Lorsque nous partagions un repas en commun hors d’une compétition il y avait du vin sur la table. On pouvait se servir mais interdiction de servir son voisin. José partait du principe que lorsque tu sers les autres tu les obliges à boire. Au grand désarroi de mon épouse, j’ai longtemps gardé cette habitude à la maison.

Ce n’était pas trop compliqué d’intégrer les principes du jeu à la nantaise ?

Les principes sont assez simples à comprendre et José était un excellent pédagogue. Il avait une belle image pour traduire sa vision du football : celle de la main ouverte ou fermée. Lorsqu’on a le ballon, c’est la main ouverte et l’équipe se déploie pour démultiplier les espaces. À l’inverse lorsqu’on perd le ballon, c’est la main fermée et il faut se regrouper pour réduire les distances. Le jeu sans ballon c’est le principe de base avec l’obligation de se démarquer pour donner plusieurs options au partenaire. À Procé, nous faisions des parties de basket pour travailler cette capacité à se démarquer et à jouer dans les espaces. Il était interdit de balancer les ballons par-dessus. Il y avait des variantes. Parfois, il fallait jouer en marchant. Compte-tenu de ma taille j’avais la charge de marquer Roger Lemerre et c’était pas simple car il donnait pas mal de coups.

Les gardiens de buts avaient-ils un entraînement spécifique ?

Je participais à l’entraînement collectif avec José puis, dans le prolongement, Zaetta assurait une séance spécifique pour les gardiens. C’était assez novateur à l’époque. La préparation physique c’était le domaine de Jean-Claude Suaudeau. Il venait d’arrêter sa carrière pro mais sa condition physique était incroyable. Une fois par semaine il organisait « Le Monaco » dans le Parc de Procé et cela ne rigolait pas. Ce parcours sinueux était très sélectif. À titre personnel, j’ai mis plus de deux ans pour être capable d’être au niveau des autres. Au début, j’explosais dès les premières rampes. Le jour où j’ai été capable de finir parmi eux ils m’ont tous applaudi. C’était pour moi une belle récompense.

Le jeu à la nantaise, c’était quoi le secret de la réussite ?

Le jeu à la nantaise découle de la capacité à courir et à se démarquer car il faut être toujours plusieurs pour écarter une défense. L’intelligence de jeu c’est ensuite de faire le bon choix. L’appel doit se faire au bon moment, la passe se réaliser dans la course avec le bon timing. Il faut donc savoir concilier l’espace et la vitesse. Je me souviens de match à Marcel-Saupin où j’étais au spectacle adossé à mon poteau. Le jeu coulait de source. C’était simple. Avec l’impression que les joueurs adverses devenaient des plots. Vincent Bracigliano lorsqu’il est arrivé à Nantes m’a raconté le désarroi qui pouvait être celui d’un adversaire qui se sent impuissant devant une telle force collective. Quand je regardais jouer le Barcelone de Xavi et Iniesta il y a quelques années j’ai retrouvé ces mêmes sensations de plénitude dans le jeu.

Avec le recul, concernant cette première partie de carrière avec le FC Nantes quel est le sentiment qui prédomine ?

C’est une grande fierté pour moi d’avoir vécu cette aventure. Arribas était un innovateur. En France, c’est le premier entraîneur qui casse les codes habituels du football avec la défense en ligne et le fait de faire monter autant les latéraux. Il partait du principe qu’il y a moins de risque à jouer dans la surface adverse. Pour appliquer cette tactique, il disposait avec Daniel Eon d’un gardien rapide et très adroit au pied. Un gardien capable de jouer comme un libéro. Moi j’étais moins vif que lui.

Le prochain article évoquera sous l’ère de Jean Vincent la seconde partie de la carrière de Jean-Paul Bertrand-Demanes au FC Nantes. Une période où il devient international et un joueur clé dans le vestiaire nantais.