Le football professionnel est à la croisée des chemins. Nous sommes en train de vivre des transformations profondes. Quels sont les principaux enjeux auxquels il doit faire face ?...

Aujourd’hui, le principal enjeu de football est de rester à la première place car il doit faire face à une vraie concurrence avec le basket et la NBA. Ce sport ambitionne sans doute même d’être le premier sur certains marchés. C’est le spectacle avant le sport. Une approche qui plaît beaucoup aux sponsors. Nous sommes loin du « Jeu à la Nantaise » et de l’approche classique du football. Sa force c’est sa capacité à toucher les jeunes, à s’investir dans les territoires émergeants et à innover dans les pratiques. C’est le cas notamment avec des formats courts tels que le 3 X 3.

En matière de développement, quelle est son ambition et sa stratégie ?...

Les dirigeants de la NBA veulent exporter leur modèle partout : en Europe, Chine et Inde… mais aussi en Amérique du Sud. Aujourd’hui, ils testent le marché pour a minima implanter des championnats continentaux de même type que le leur, puis ces entrepreneurs sauront monter en gamme car il dispose d’une vraie expertise. L’objectif final sera de créer une franchise privée capable de gérer l’ensemble des budgets et revenus.

Un des principes de base de ce modèle NBA c’est bien de s’appuyer sur un fonctionnement en ligue fermée ?...

Oui exactement. C’est ce fonctionnement qui leur permet de travailler tous ensemble et de disposer d’une réelle force de frappe, avec non pas un seul acteur, mais une trentaine. Il s’appuie sur un fort ancrage local mais aussi sur un modèle capable de s’exporter. C’est une autre vision du management sportif et de l'engagement socio-politique. Face à elle, la FIFA semble appartenir à une autre époque.

La FIFA qui semble pourtant si puissante pourrait, ainsi, redouter de voir son hégémonie remise en cause ?...

L’analyse permet de constater que la croissance du football professionnel est dorénavant plus limitée.  La Chine a fermé ses frontières mais dans l’avenir elle ne va plus investir autant qu’elle ne l’a fait précédemment. Le football en Russie est bloqué par la guerre en Ukraine.  L’Afrique dans l’immédiat c’est plutôt compliqué d’investir.  En Asie, il y a de l’argent mais déjà un vrai leadership du côté du Golfe avec des acteurs qui utilisent le football pour développer leur propre influence politique.

Comment la FIFA peut-elle faire face à cette concurrence ?...

La FIFA a un problème de gouvernance. C’est un modèle du XIXe siècle : sa création d’ailleurs remonte à 1904. Un système pyramidal avec une direction toute puissante et des membres qui s’alignent. Pas du tout la même agilité que le modèle NBA. Aujourd’hui, cette organisation centralisée n’est pas prête à entendre la critique car le pouvoir est capté par une seule personne. Et pourtant, ce football post-moderne est confronté à des questions cruciales pour son avenir avec la financiarisation, les risques de blanchiment, la multipropriété au sein des clubs. Le problème de l’argent rejaillit d’ailleurs en permanence dans la compétition... puisque c’est toujours les mêmes équipes qui gagnent. La corruption pénalise aussi l’image. Il est certain que les sponsors ne suivront pas éternellement ce sport s’il y a encore des soucis avec l’intégrité.

Toutefois, la principale menace concerne la création d’une ligue privée car à l’intérieur de la « famille » du football les intérêts divergent. Ce risque semble à court terme évitable en Europe mais cette privatisation peut se réaliser dans un premier temps ailleurs… puis s’attendre ensuite. Cela serait alors la fin du modèle domestique.

A entendre les investisseurs français, il n’y a que des mauvais coups à prendre à investir dans le football et pas d’argent à gagner. Comment comprendre l’appétence des investisseurs étrangers ?...

Il est possible de gagner de l’argent dans le football. La présence du Groupe Elliott ou de Gérard Lopez n’est pas le fruit du hasard. Les fonds d’investissement raisonnent simplement : ils regardent les perspectives de revenus à 5 ans. Ils fonctionnent un peu comme avec les start-ups : ils investissent dans 10 et dans la quantité… il y a au moins une qui vivote et une autre qui devient particulièrement rentable. En achetant bas, ils auront toujours l’occasion de conserver l’actif et d’attendre des jours meilleurs.

En France, aujourd’hui la moitié des clubs sont détenus par des actifs étrangers. Qu’est-ce qui rend le football aussi attractif ?...

Il y a plusieurs aspects à prendre en compte. Evidemment, les investisseurs s’intéressent à la question des droits TV car le pactole reste appréciable. Il y aussi les transferts intermédiaires qui sont toujours en augmentation grâce au marché anglais. Si on achète malin on peut revendre en faisant une belle plus-value. Certains investisseurs cherchent par l’image à vouloir embellir la mariée afin de la revendre au plus vite. C’était le cas du Groupe King Street à Bordeaux mais à cause de la crise sanitaire l’opération a été un fiasco.  Il y a parfois des « morts » mais certains s’en sortent plutôt bien. Et puis c’est un univers où l’on peut faire du business autrement.

Est-ce que c’est l’attractivité du football professionnel en tant que tel qui permet de faire du business autrement ?...

Cela peut prendre différentes formes. A Nantes, le projet de Waldemar Kita avait pour but d’accroître la valeur du club en construisant son propre stade avec un complexe immobilier. C’est d’ailleurs ce que le Groupe Réalités vient de faire avec le Red Star. Posséder un club professionnel c’est un moyen pour se rapprocher du pouvoir politique. L’objectif de City en rachetant Troyes c’était de pouvoir se rapprocher de François Baroin (maire de la ville et président des maires de France) car il était potentiellement un prétendant crédible à la présidence de la république.