Depuis qu’il a quitté son poste à la DTN il y a 7 ans pour prendre sa retraite, François Blaquart a gardé un contact avec le football en faisant des conférences, des diagnostics de politique sportive sur des fédérations étrangères, des clubs professionnels, voir d’autres sports. Il a accepté de reprendre du service en intégrant le bureau de l’Union Nationale des Entraîneurs et Cadres Techniques du football français (900 adhérents) présidée par Bertrand Reuzeau avec la volonté de défendre la profession d’entraîneur et d’éducateur. Il est aussi devenu membre du comité directeur de la nouvelle ligue féminine présidée par Jean Michel Aulas.

Qu’est ce qui explique ton récent souhait de prendre des responsabilités à l’UNECATEF ?

Il est important de donner une dimension plus importante à ce syndicat car les entraîneurs sont peu considérés en évoluant dans un contexte difficile. Ils ont besoin d’être accompagnés sur le plan moral et juridique dans les conflits qui peuvent les opposer aux présidents de clubs, mais également dans leur recherche d’emploi, y compris au niveau international, et leur souhait de formation continue. Un coach de L1 a davantage besoin de notre soutien que de moyens pour défendre ses intérêts mais nous avons besoin de lui pour valoriser ce métier. Mais ce n’est pas le cas pour la majorité des entraîneurs qui évoluent à niveau inférieur et peuvent souffrir de précarité. Dans le football amateur, il y a beaucoup de double-emplois et des contrats à temps partiel notamment en National 2 ou 3 voir en Régional et chez les jeunes. Il faut pouvoir les aider sur la formalisation des contrats, la défense de leurs droits, la reconversion. Un entraîneur n’a pas encore commencé à travailler qu’il est déjà en danger. On peut citer un entraîneur viré récemment, sur appel du Président, la veille d’un match, à minuit, sans cause particulière. C’est irrespectueux. Nous nous battons pour qu’un minimum de décence soit appliqué pour tous.

Dans la situation présente, quelle est ton analyse concernant la concurrence des jeunes entraîneurs étrangers et la difficulté que rencontre certains de nos entraîneurs chevronnés à trouver un poste ?

Cela fait longtemps que l’on parle de ce sujet. La première cause de cette situation reste l’internationalisation des décideurs et probablement l’influence d’agents étrangers. Beaucoup de clubs français sont la propriété de capitaux étrangers. Aujourd’hui un entraîneur, outre son expertise technique, est un manager de staff et de joueurs, un communicant. Il doit savoir déléguer et s’adapter au contexte général. Marc Keller le président de Strasbourg, confirmait que dans un vestiaire, même en France, l’anglais peut être la première langue utilisée. Aux entraîneurs de s’adapter à l’organisation du club et aux différentes personnes qui « tournent » autour de l’équipe, tels les responsables de recrutement, directeurs du football, de la performance et autres nombreuses dénominations parmi lesquels on a tendance à se perdre. D’autant que malgré cette nébuleuse sensée responsable, seul l’entraîneur trinque en cas de mauvais résultat.

Actuellement, quel est le mode de fonctionnement en cours au sein des clubs professionnels ?

A la lecture du paysage football on s’y perd et je ne sais pas si même deux clubs de L1 ont un fonctionnement identique, au vu de la multiplicité de postes annoncés. Si c’était de mon avis, Le triangle Président (ou son représentant) -Directeur sportif- Entraîneur reste un bon compromis. Brest en est un bel exemple, actuellement. « N’est-ce pas la mode des circuits courts ? Le Foot pourrait s’en inspirer » (sourires). Le directeur sportif organise la gestion prévisionnelle des effectifs, donc le recrutement et propose un cadre de pratique (groupes d’âge) au sein du club voire une méthodologie commune de travail. En accord avec le comex et les entraîneurs, il définit le cadre politique de la formation et ses connexions avec l’équipe Pro. On ne peut prétendre donner de l’importance à la formation si on ne fait pas systématiquement confiance aux jeunes en devenir. Par contre, il est difficile de donner une place à la formation si le centre n’est pas opérationnel… C’est de la politique sportive.

Qu’en est-il de la formation ?

De fait, le véritable directeur technique devrait être le directeur de la formation car il travaille sur le moyen ou le long terme et ce sur l’ensemble des équipes du club, l’équipe Pro restant à part. Il a une vraie responsabilité méthodologique sur la formation. Comme les entraîneurs, les formateurs sont de plus en plus en situation instable dans les clubs Pros alors qu’ils devraient être engagés sur des cycles de 4 à 5 ans, parce qu’ils œuvrent sur du long terme. Faire de la formation demande beaucoup d’abnégation, d’engagement politique de la part des responsables et un accompagnement pérenne. Actuellement beaucoup de clubs perdent cette image de club formateur pour diverses raisons, économiques, stratégiques ou autres. La France était respectée partout par la qualité de sa formation et les sélections nationales en sont un indicateur objectif. Je ne suis pas certain que cela perdure.

Quelle est sa place dans le système Football ?

Pour être une grande nation de football il faut former de grands joueurs. Didier Deschamps gagne la Coupe du Monde avec des générations performantes dans toutes les compétitions internationales de jeunes. En amont, il y a eu des titres européens en U17 et U19, mondiaux en 20 ans. Mais pour former des bons joueurs il faut de bons entraîneurs et pour y parvenir de bons formateurs d’entraîneurs. C’est pour cette raison qu’en DTN, j’aimais travailler avec des formateurs d’expérience, polyvalents, ouverts, chercheurs, curieux, de qualité plutôt que des sélectionneurs exclusifs pour les équipes de jeunes. La formation c’est un travail à long terme. Aujourd’hui si tu n’investis pas dans la formation à tous les niveaux tu disparais très vite du paysage. Les résultats réguliers de certaines nations comme l’Espagne et le Portugal sont symboliques de bonnes pratiques. Les Anglais sont de plus en plus présents dans ce contexte international, parce qu’ils se sont mis au travail et, de plus, avec des moyens conséquents. Les résultats sont probants. D’autres souffrent davantage, doivent de relancer, comme l’Allemagne ou l’Italie. Quid de la France à l’avenir ?

Dans le domaine de la formation, est-ce qu’il y a un modèle ? Est-ce qu’il est important qu’un club pratique un style de jeu spécifique comme c’était le cas à Nantes par exemple ?

Compte tenu de la durée de vie d’un entraîneur dans son poste je ne pense pas qu’il soit souhaitable de spécialiser les jeunes dans un style de jeu trop prononcé mais donner du sens à la méthode et au jeu n’est pas nuisible à l’évolution du joueur. Bien au contraire. La qualité de la formation doit favoriser la capacité d’adaptation. Cela explique d’ailleurs pourquoi nos jeunes joueurs réussissent si bien à l’étranger notamment en Espagne, en Angleterre ou en Allemagne. Ils sont « adaptables ». Au-delà des qualités intrinsèques du bon footballeur, la compréhension et l’intelligence de jeu sont déterminantes chez le jeune joueur. C’est de la responsabilité du directeur de formation de fixer la ligne de conduite qui s’applique au sein du club : de l’école de foot jusqu’à l’âge de 20 ans. Son rôle consiste à mettre en place une politique qui soit cohérente, pérenne et encadrée par des éducateurs performants. Il faut avoir une politique sportive et s’y tenir.

Comment valoriser davantage la formation ?

Le contexte économique du Football Français permet à des joueurs de plus en plus jeunes de se montrer en L et L2. Le fait qu’il y a moins d’argent dans les clubs va peut-être entraîner une évolution dans les pratiques. Avec un peu de courage et de bon sens, on pourrait s’inspirer davantage de ce qui se fait dans le rugby mais aussi dans le football féminin avec la notion du JFL (joueur formé localement), en nombre minimum imposé dans les listes de clubs. La L2, voir la future L3 pourraient être de beaux champs d’expérimentation sur ce thème.

Le rôle d’entraîneur de haut niveau est en pleine mutation. Quelles sont les compétences stratégiques dans leur métier ?

Les compétences techniques, méthodologiques et managériales sont des prérequis indispensables car il doit être capable de maîtriser toutes les composantes du football. A partir de là, d’autres compétences paraissent essentielles, liées à l’humain, au relationnel, la communication interne et externe. Le management des staffs a pris beaucoup d’ampleur compte-tenu de leurs épaisseurs et de leur diversité. Avant le circuit de décision était court puisqu’il y avait un triangle entre le président ou le directeur sportif, l’entraîneur pro et le responsable de la formation. Maintenant au-delà de sa propre équipe, le coach doit gérer tout un staff. La manière de manager évolue du fait des transformations sociétales. Et puis il y a aussi du parasitage à cause du rôle des agents. Auparavant, tu avais une relation directe avec le joueur, maintenant ce n’est plus le cas. Certains coaches ont fréquemment des effectifs de 30–32 joueurs à gérer alors que nous savons très bien que, seuls, 16 à 18 joueurs vont jouer 95% des matches et que les autres savent très vite qu’ils ne joueront pratiquement jamais. C’est ingérable pour le coach ! A ce propos, je me souviens que la presse s’étonnait de voir, au Barça Pep Guardiola, se satisfaire d’un effectif limité alors qu’il y avait plus de 60 matchs à jouer dans la saison. Il avait dit « moi je préfère travailler avec 19 joueurs qui jouent tout le temps et si nécessaire de m’appuyer sur le centre de formation ». Il pouvait le faire parce qu’il disposait aussi de joueurs de talent qui étaient très polyvalents. Un coach doit être capable de prendre du recul donc savoir déléguer. Il ne fait plus l’entraînement. Il dispose d’une cellule de la performance qui a son propre directeur. Il y a aussi la préparation mentale. Y compris pour lui-même.

Comment évolue son positionnement face aux directions de club ?

Il faut aussi pouvoir gérer la relation avec les décideurs. On est loin du temps de la relation directe avec des présidents omniprésents. Je pense aux Molinari, Martel, Nicollin et plus récemment Aulas. Aujourd’hui, pour échanger avec le décideur, il faut passer par des tas d’intermédiaires parmi un président délégué, un conseiller du Président, un manager général, un directeur du Football ou un directeur sportif et autres fonctions dont l’utilité est à justifier. La communication est devenue un exercice beaucoup plus compliqué… Ce peut être une perte d’énergie pour l’entraîneur et probablement « un vrai travail d’équilibriste » (sourires)