C’est le genre de soirée qui compte dans la vie d’un club. Le 2 mars 2022 restera une date marquante dans l’histoire du FC Nantes et longtemps, très longtemps, on se souviendra de ces scènes de liesse rappelant quelques-unes des plus grandes heures de La Beaujoire.

Au moment où Moses Simon transforma son tir au but, le quatrième d’une série parfaitement négociée par les Canaris, expédiant ainsi ses coéquipiers en finale de la Coupe de France et donnant le coup de signal de l’envahissement du terrain, certains anciens, postés devant leur télé, ont sans doute senti le souffle de la nostalgie embraser leur mémoire. On se doute bien, ainsi, que Dominique Casagrande s’est revu entonner une chanson d’Hugues Auffray et que Georges Eo s’est réentendu imiter Johnny Hallyday. C’était en 1995 et ils étaient les plus démonstratifs des Canaris pour célébrer le titre de champion de France.

C’était la belle époque du FC Nantes qui savait où il allait, disposait d’un technicien de premier ordre, Jean-Claude Suaudeau, et ne changeait pas d’entraîneur après trois défaites d’affilée à domicile. D’ailleurs, une saison, il lui fallut attendre la 9è journée pour enregistrer son premier succès. Le président de l’époque Guy Scherrer s’était tellement lassé d’entendre les gens lui demander ce qu’il comptait faire qu’il était parti en vacances au soleil, sans daigner laisser son numéro de téléphone. Suaudeau, lui, avait été également harcelé par les journalistes. « Qu’allez-vous changer ? » lui avaient-ils demandé. « Rien, absolument rien », leur avait-il sèchement répondu, comme s’il s’agissait d’une évidence. 

Nantes avait un style, une philosophie, un football, c’était un grand club, il ne vacillait pas à la moindre bise.

Il l’était encore en 2001, à l’occasion d’une nouvelle liesse provoquée cette fois par un huitième titre de champion de France et La Beaujoire s’était de nouveau enflammer pour fêter les Landreau, Da Rocha, Savinaud, Moldovan, Vahirua, Carrière, Ziani…

 

Ce ne furent que des feux de paille

Pourtant, des nuages gris s’avançaient déjà dans le ciel jaune, ils annonçaient l’obscurantisme où le club allait tomber. Le FC Nantes ne s’appartenait plus, il avait été vendu et ses nouveaux patrons se moquaient éperdument de la qualité du jeu, ils ignoraient même ce dont il s’agissait. Moins de six mois après la fête du sacre, Jean-Luc Gripond convoquait Raynald Denoueix dans son bureau et il lui montrait la porte. Un patron ambitieux, sans compétence reconnue sur le football, pouvait ainsi liquider sans façon un entraîneur fidèle au club et à ses valeurs depuis trente-cinq ans. 

Le nouveau FC Nantes était en route, il était devenu d’un coup un club banal, sans identité, davantage axé sur le commerce des joueurs que sur leur formation.

Depuis, La Beaujoire a vécu d’autres scènes de liesse. Par exemple, le soir où le maintien fut assuré sur le fil, en 2006. Ou lors de la première remontée deux ans plus tard. Ce furent autant de brasiers d’espoir qui strièrent et réchauffèrent la nuit de leurs éclairs lumineux.

Mais ce n’était que des feux de paille. La nuit est toujours là, noire et froide. Antoine Kombouaré et ses joueurs l’ont illuminée en un mercredi soir de rêve où les Canaris, poussés dans le dos par le vent de la réussite et les cris de leurs supporters, ont tout renversé, s’offrant une nouvelle folle soirée quelques jours après celle vécue face au Paris de Messi, de Neymar et des Qataris.

 

Ont-ils perçu que le foot n’est pas uniquement un marché d’hommes ?

Alors, oui, la date du 4 mars 2022 figurera dans l’histoire du football nantais. Pourtant il est permis de se demander, déjà, et même si la saison peut devenir encore plus belle que ce qu’elle est, quel avenir, hormis la finale de la Coupe, ce qui est déjà remarquable, attend un FCN qui a trop navigué à vue depuis plus de deux décennies pour que les doutes accumulés durant cette période puissent s’évanouir par la grâce d’une poignée de bons résultats.

Alors, oui, Casagrande, Eo, Ouédec, Loko, Pedros, Ferri et tous les autres ont senti le frisson de très chers souvenirs leur parcourir l’échine lorsque la pelouse de La Beaujoire fut investie par une foule enthousiaste. Mais à quoi pensaient, au même instant, ceux qui ont contribué au déclin d’un club qui était un fleuron du patrimoine nantais. Ceux qui l’ont bradé à la Socpresse, sans se soucier de ce qu’il allait devenir, ont-ils perçu, enfin, en voyant cet enthousiasme exploser, tout ce que le football, quand il n’est pas considéré comme un élément secondaire, peut apporter à une ville ? Ceux qui l’ont transformé en officine de commerce ont-ils compris que le foot n’est pas uniquement un marché d’hommes, une affaire d’argent et qu’une équipe ne se bâtit pas avec de l’esbrouffe mais de la patience, du temps et, surtout, de la compétence ?

 

À la fois logique et paradoxal

Waldemar Kita a suivi l’envahissement de la pelouse sans manifester une joie visible. 

Pensait-il alors à toutes les années qu’il a passées à la tête du club sans connaître la moindre réussite, à toutes les contestations qu’il a affrontées sans en percevoir, souvent, les raisons profondes ? Présenter son équipe au chef de l’Etat, au stade de France, un soir de finale, il en a souvent rêvé et voilà que les songes lumineux qui éclairaient ses nuits noires de président mal aimé, vilipendé par les tribunes, se sont transformés en réalité la saison où il s’y attendait le moins, celle où, pour une fois, il n‘avait pas tout chamboulé. Celle où l’équipe a acquis une âme et s’est mise à communier avec le public, comme ce fut encore le cas quelques jours plus tard, après le succès face à Montpellier. 

Logiquement, c’est en tournant le dos aux mauvaises recettes utilisées depuis de trop nombreuses années que le FC Nantes est enfin sorti de la médiocrité. Mais, paradoxalement, c’est au moment où ses responsables, embourbés dans leur outrancière logique commerciale et leur illusoire folie des grandeurs, un nouveau stade ici, un centre de formation là, semblaient ne plus espérer grand-chose que cet événement survient.
 

À quoi pensait Waldemar ?

Quelles conclusions vont-ils en tirer ? Waldemar Kita est donc resté peu expansif. Peut-être parce qu’il ne sait trop comment considérer une saison qui sera la meilleure de son long règne (seul le sage Louis Fonteneau est resté en poste plus longtemps que lui, de 1969 à 1986) mais s’écrit selon un scénario dont les données lui échappent. S’est-il demandé, l’espace de quelques secondes, comment il a fait pour ne rien comprendre à un club capable de générer autant de passion, d’amour, comment il a pu additionner les erreurs et s’entourer de conseillers, d’entraîneurs, n’ayant, comme lui, aucune perception du football à la Nantaise ? 

Ou, parce qu’il n’est apparemment guère dans sa nature d’admettre une autre philosophie que la sienne, pensait-il plus prosaïquement aux millions qui vont lui échapper quand Randal Kolo -Muani pliera son maillot, à la fin de la saison, en ayant tenu à respecter son contrat jusqu’au bout, ce qui est son droit le plus strict et ne mérite pas le moindre reproche, compte tenu de ses prestations depuis qu’il a donné son accord à Francfort ? Calculait-il en son for intérieur la nouvelle valeur d’un effectif où Ludo Blas constitue une pépite à conserver dès lors que l’on s’inscrit dans une logique sportive ?

Lui seul sait quelle était l’évolution de ses pensées à ce moment-là. Il sait aussi qu’Il ne vendra pas Kolo Muani et il le regrette, bien sûr. « Je ne suis pas vendeur du club », a-t-il également indiqué. « Mais après la finale ? » lui fut-il demandé. « On verra », lâcha-t-il. C’est ce qui s’appelle ne pas s’engager et il faudra attendre pour savoir si cette belle soirée sera sans lendemain ou constituera au contraire l’amorce d’un vrai renouveau.