Tout avait bien commencé pour Christian Gourcuff sur les bords de l’Erdre. Lui qui n’avait jamais fini une saison plus haut que la 7ème place, s’était retrouvé 5ème à la mi-saison 2019-2020 avec 29 points. Seuls Michel Der Zakarian en 2014-2015 (30 points) et Claudio Ranieri en 2017-2018 (33 points), avaient au FC Nantes fait mieux à ce stade.

Nous sommes le 8 août 2019. Christian Gourcuff vient de recevoir un appel de Waldemar Kita lui demandant de succéder à Vahid Halilhodzic. Celui-ci vient de planter le club trois jours avant la reprise. Christian Gourcuff, jeune retraité ne s’interroge pas longtemps. Il a toujours rêvé d’entrainer le Football Club de Nantes afin de suivre les pas d’Arribas et de Suaudeau dont il partage la conception du football. L’aventure va durer seize mois. Jusqu’au 8 décembre 2020, date à laquelle quatorzième entraineur de l’ère KITA, il est limogé après une défaite 0-4 à domicile face à Strasbourg. Nantes pointe alors à la 14e place du championnat. Son adjoint, Patrick Collot, est chargé d’assurer l’intérim jusqu’à Noël et l’arrivée de Raymond Domenech.

Quel souvenir gardez-vous de votre passage à Nantes ?

Vous savez ce qui s'est passé à Nantes. J’ai accepté de venir seul car le président ne voulait pas remettre en cause le contrat des entraîneurs déjà en place. Au départ, les résultats sont satisfaisants et au bout de deux mois (fin septembre), Waldemar Kita vient me voir et me demande de mettre en place un projet de jeu pour l'ensemble du club.

"J'ai senti qu'il n'y avait pas d'adhésion"

Waldemar Kita vous demande ça, on rêve...

Le président veut me prolonger et me confier la direction technique. Sur le principe je suis d'accord et prêt à proposer les principes de jeu, et la méthodologie du travail tactique que l'on devait appliquer à l'entrainement pour l’ensemble des équipes. Lors d’un premier échange avec Samuel Fenillat (le responsable du centre de formation), je sens que cela ne va pas être facile. Je décide de ne pas brusquer les choses. La première réunion doit avoir lieu en janvier. Deux jours avant celle-ci Stéphane Ziani m'interpelle en me disant : "Ici ce n’est pas le FC Gourcuff, c'est le FC Nantes ! Alors nous tes trucs...". J'ai senti qu'il n'y avait pas d'adhésion au projet même si certains éducateurs comme Pierre Aristouy étaient plus ouverts. A partir de là, j’ai appelé Waldemar Kita. Et je lui ai dit : "Ils ne veulent pas du projet, je ne vais pas faire la révolution". J’étais vraiment écœuré. De la réaction de Kita également. Moi, si je suis le président de club et que l’entraîneur des U19 s’autorise à parler ainsi, je le convoque. Mais non. C’est passé comme cela (…). Après, on m’a blâmé de ne pas avoir de relations avec les éducateurs. Et Stéphane Ziani, six mois après, dans la presse me reproche de ne pas faire jouer les jeunes. J’avais tout de suite titularisé Imran Louza. Quant à Randal Kolo Muani, lui, je ne le connaissais pas bien. Je l’intègre dès la préparation de la deuxième saison après un entretien avec lui et ses agents, et le titularise dès la seconde journée après qu’il ait récupéré du covid (NDLR : Il faut rappeler que lors de la saison 2019-2020, Randal Kolo Muani est prêté à Boulogne et est suspendu 5 matchs, Quand il revient de prêt, il attrape le covid et manque une partie importante de la préparation).

Il est vrai que cette prise de position de Stéphane Ziani avait fait l’objet d’un article dans la presse et que Gérard Houllier, que nous avions interviewé à l’époque sur un autre sujet, considérait votre nomination comme une chance et l’absence de réaction de la firection comme une erreur de management. 

A l’époque, si je signe à Nantes, c'est que je pense que je colle complètement à l'histoire du club ! Là, c'était à la demande du président que j’ai conçu un projet de jeu que j’ai d’ailleurs formalisé par écrit. Ce n'était pas moi qui voulais imposer quoi que ce soit. J’avais voulu m’engager que sur une année compte tenu de mon âge. Dans ce projet technique il s’agissait de grands principes sur lesquels nous pouvions travailler tous ensemble. A Nantes, il y a des influences qu’on ne maîtrise pas, parfois redoutables. Des intérêts particuliers plus forts que l’intérêt collectif… Peut-être que Stéphane Ziani lorgnait le poste. Il ne s’agissait pas pour moi de lui demander comment jouer au football. Qu’il ait ses idées, je l’entends. Pour ma part, je mène ma fin de carrière avec mes propres conceptions.

"Dans quel club existe-t-il aujourd'hui une direction technique ?"

Est-ce que cette histoire, en premier lieu ne démontre pas que le club souffre de l’absence d’une direction technique ?

La politique du club, elle doit être donnée par le haut. C’est le rôle du propriétaire. Un constat qui ne vaut pas seulement pour le FC Nantes. Dans quel club existe-t-il aujourd'hui une direction technique ? Quand je suis arrivé à Nantes, il y avait une cellule de recrutement. Autant parler d’emplois fictifs. Ils ne servaient à rien. Sauf à dresser des listes. J’avais fait venir au club Michel Audrain, qui avait été mon adjoint à Rennes, garçon sérieux et qui me connaissait bien : aucune de ses propositions de recrutement n’a abouti. Les recrutements, au mieux, le staff technique les validait, mais de très loin.

Vous avez peut-être un exemple concret, pour illustrer comment le recrutement s’organisait à l’époque ?

Je me souviens d’une anecdote : On joue en Coupe de France. Kalifa Coulibaly ne correspondait pas au style collectif que l’on voulait mettre en place. Il se blesse lors du match. Dans l’effectif, on manque d’attaquant et la direction me dit qu’il y a un bon joueur en Belgique. Je regarde les vidéos et je vois qu’il est généreux dans l’effort. Il court beaucoup. Je dis au président : "Si on n’a personne d’autre et qu’on peut l’avoir en prêt, il peut nous rendre service sur la fin de saison". Quelques jours plus tard Renaud Emond arrive au club et j’apprends qu’il a un contrat de quatre ans.

Ce qui était aussi particulier à Nantes, c’est que vous avez accepté de travailler avec le staff mis en place par votre prédécesseur.

Au départ, Kita me dit "On a déjà un staff, on garde le staff". Je lui réponds que je suis d’accord si les gars sont prêts à travailler avec moi, car ils étaient préalablement avec Vahid Halilhodzic et que ce n'est pas tout à fait les mêmes méthodes de travail. Je connaissais bien Cyril Moine que j’avais fait venir à Rennes pour travailler avec moi en 2001 et ça s’est très bien passé. Je suis effaré de voir le nombre d’entraineurs adjoints qui prennent la place du numéro 1 aujourd’hui dans les clubs ! Tout le monde veut sa part de gâteau. Il y a une vraie concurrence au sein d’un club. Mais c’est vrai aussi dans la société civile et dans beaucoup de boites qui n’ont plus de dimension humaine.

Le projet technique

Christian Gourcuff a eu la gentillesse à l’issue de cette rencontre de nous transmettre le projet technique proposée au FC Nantes.  Pour en découvrir l’esprit, voici l’introduction de ce document de 3 pages :

La richesse d’un club et notamment du FC Nantes repose sur la culture et l’identité de jeu, ancrée dans la mémoire collective, qui repose sur une sensibilité et une conception de jeu développées durant des décennies et qui doit être pérennisée à tous les étages du club, afin de sauvegarder le patrimoine du club.

Une sensibilité est difficile à définir même si elle parle à tout le monde et il convient de formaliser un cadre commun qui doit permettre de définir une politique technique générale, que chaque éducateur partage et de conserver sa créativité et de la développer.

Dans le football, le résultat est le fruit de l’épanouissement de l’individu et d’un groupe ; le plaisir de jouer, la solidarité sont des ingrédients fondamentaux de la victoire et doivent être compatibles avec des stratégies opérationnelles (techniques et tactiques).