Comment avez-vous construit votre vision du football ?

Déjà, il y a les émotions, le plaisir de jouer. Quand je voyais jouer Nantes, le Brésil, il se passait quelque chose. Et après se pose la question de "Comment on fait ?".  En premier, mettre la priorité du jeu avant le résultat. Tout le monde veut que son équipe joue bien. Après c’est de savoir juste où on met le curseur. La culture de la gagne, c’est une arnaque : tout le monde veut gagner. Mais est-ce que gagner, c’est le seul objectif ?  Gagner par tous les moyens ? Ou alors s’agit-il plutôt de mettre en place le jeu qui va permettre de gagner ? Je me suis beaucoup inspiré d’Arrigo Sacchi, un entraîneur qui avait une méthodologie, la rigueur italienne. Coco (Suaudeau) lui, était plus intuitif. J’ai vu des séances où je me régalais. Mais c’était plus difficile de percevoir le fil de la séance.

"Il faut être en osmose avec la mentalité des joueurs"

Le métier d’entraîneur a beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous semble le plus important ?

Aujourd’hui, la première chose à savoir faire pour pouvoir entraîner, c’est d’être capable de fédérer l’équipe. Je pense que Jean-Claude Suaudeau aurait du mal maintenant. Il faut être en osmose avec la mentalité des joueurs. Et c’est quelque chose que j’ai ressenti. Les joueurs n’écoutent pas (…) mais tous les groupes ne sont pas pareils. C’est plus facile de gérer Lorient que le PSG, mais fédérer le groupe est devenu la condition sine qua non. Cela étant, il y aussi le travail purement tactique, mais c’est illusoire de s’appuyer prioritairement sur cette compétence.

On entend de plus en plus de joueurs dire "On a besoin d’un entraîneur dans lequel on se reconnaît".

Avant, il y avait le respect du coach. Je vais prendre l’exemple de Nice, je suis ami avec Lucien Favre (NDLR : Coach de l'OGC Nice limogé en janvier 2023 pour cause de mauvais résultats et remplacé par Didier Digard qui avait été promu assistant quelques semaines plus tôt). Je connais le mec, il est sûrement plus cool, plus adapté à la nouvelle génération que moi, Il travaille bien. Les joueurs ont changé du tout au tout quelques jours plus tard. On se dit forcément qu’il y a un problème. Le résultat occulte tout. Quand on gagne, c’est formidable. On peut aussi quelquefois gagner sans travailler. Certains coaches gèrent essentiellement la gestion humaine en laissant à leur staff la gestion technique. Pour moi les deux sont complémentaires et indissociables.

On voit de plus en plus la culture du court terme et de l’instantané au niveau des résultats…

Pour moi, il y a deux types d’entraîneurs, ceux qui veulent construire pour gagner et ceux qui veulent juste gagner. Et ce qui est dramatique c’est que dans ce métier, on peut avoir durant une certaine période des résultats sans réaliser un travail de fond. Personne ne parle du travail qu’exige notre métier. C’est dramatique pour ceux qui travaillent et qui n’ont pas de résultat immédiat, mais c’est aussi dramatique pour ceux qui ont des résultats et qui ne travaillent pas. Aujourd’hui les résultats fédèrent tout, c’est-à-dire que si on a une période faste, on vous fout la paix, les joueurs sont en osmose. Le problème c’est qu’à un moment donné, on n’a plus ces mêmes résultats, et là c’est révélateur. A Nantes les six premiers mois, c’était top, les entraînements se passaient bien. Cependant, quand ça a commencé à se compliquer, on a eu des blessés, et là ça s'est dégradé. Ce n’est pas le jeu qui intéresse, c’est le résultat. Le résultat nous protège.

"L’état d’esprit, c’est fondamental"

Dans votre livre, vous parlez souvent de match référence. Est-ce que vous avez en tête, le souvenir d’un match référence de votre équipe ? S’il y a un choix à faire quel serait le vôtre ?

Je pense à la saison 1997-98 avec le FC Lorient. Nous sommes le plus petit budget de Ligue 2.  On vient de renouveler tout l’effectif. En match amical, on affronte le FC Nantes à Carnac. On gagne 2-0 et dans le jeu on les avait bougés. Ce match a été déterminant pour la confiance du groupe. Dans la semaine, je me souviens que Suaudeau dit "j’arrête" et met Raynald Denoueix à sa place.

En matière de recrutement, quelle était votre approche et vos critères de choix ? A quel moment, vous pouviez estimer que le joueur était une bonne recrue ?

L’état d’esprit, c’est fondamental. (…) Son comportement sur le terrain. Techniquement, il fallait au moins qu’il participe au jeu. Aujourd’hui, il y a quelque chose qui me sidère : tous les clubs vont mettre l’intelligence en valeur. Mais dans les faits, l’intelligence, c’est la dernière des qualités recherchées. Entre le discours et ce qui est fait, la différence est incroyable. Ce sont les qualités physiques qui sont les plus appréciées. Pour savoir si le joueur allait coller à ma philosophie, je disposais des six semaines de préparation. Aujourd’hui, c’est plus compliqué, car les joueurs arrivent en décalé. Certains sont recrutés une fois la présaison terminée.

Quelle est votre avis concernant l’utilité de la vidéo pour l’entraînement ?

C’est un outil exceptionnel. Un entraîneur comme Suaudeau arrêtait beaucoup ses joueurs au cours de la séance. Je trouvais cela insupportable quand je jouais (rires). Ça casse la dynamique du jeu. Je préférais commenter dans le jeu ou pendant les temps morts, afin de laisser le jeu se dérouler. J’ai commencé à faire filmer en 2015 (avec la sélection Algérienne). Je filmais toutes les séances, après l’entraînement je revisionnais, je faisais un petit montage et le lendemain matin avant de démarrer la séance, je leur faisais un feedback. C’est très efficace. Le joueur se voit. Il a une autre perception de la séquence.

"On fait l’appel pour le jeu, pas pour soi"

On a aussi l’impression qu’il y a dans le football d’aujourd’hui, de moins en moins de jeu sans ballon.

L’aspect prioritaire c’est déjà dans la volonté de faire les choses, c’est une question de générosité. On va faire l’appel pour le jeu, mais pas pour soi. Il y a des types qui ne jouent que lorsqu’ils ont le ballon qui leur arrivent dans les pieds. Donc il n’y a aucun jeu collectif. A l’entraînement, on essayait de mettre cela en place. Si vous le travaillez et que les joueurs n’ont pas la volonté de le faire, il y a toujours un décalage. Ils le font avec du retard, car dans le timing ils n’y sont pas.

Comment sentez-vous qu’un jeune joueur est prêt à intégrer le groupe professionnel puis faire ses débuts dans l’élite ?

L’entraînement c’est 20 joueurs (+ les gardiens). Quand on un groupe de 28 joueurs par exemple, c’est le bordel ! Pour les situations de 11 contre 11, il y en a 6 qui sont en dehors. Donc il y a les titulaires, les remplaçants et les remplaçants des remplaçants. Les 6 joueurs en plus, comment on fait ? Donc si on prend des jeunes dans le groupe, ce que tout le monde veut, ce sera souvent ses six là. On va essayer de les intégrer mais il faut mieux parfois qu’il s’entraîne avec la réserve, plutôt que de venir faire le complément avec les pros. Sauf quand il y a des blessés et qu’il faut compléter. Souvent le mardi après-midi, certains de mes titulaires n’étaient pas sur la séance, alors je prenais les meilleurs jeunes, en concertation avec le centre de formation. Je voyais le comportement sur la séance d’entraînement, comment cela pouvait se passer. Quand ça se passait bien, André-Pierre Gignac ou Mario Lemina par exemple à Lorient, ils intègrent le groupe. C’est comme cela que ça a commencé pour eux, ils faisaient des séances le mardi après-midi et je me disais "Tiens c’est pas mal". J’allais les voir et je leur disais : "Maintenant tu fais partie du groupe à l’entraînement". Et à l’entraînement on voit. Après il y a le match en réserve. Il faut aussi qu’il montre quelque chose en réserve. Mais il ne faut pas que ça aille trop vite. Il y a aussi de la déception et il faut savoir la gérer. Le jeune, à 16 ans, il faut qu’il joue. Si ça ne passe pas tout de suite, ça peut être compliqué car il y a beaucoup d’impatience.

On voit souvent des ruptures entre le centre de formation et le groupe professionnel. Que faisiez-vous pour maintenir l’osmose entre les deux parties ?

Au FC Lorient, je faisais une réunion par an en début de saison avec les éducateurs du centre de formation pour fixer le cadre de travail. Et tous les mois, on se faisait une petite réunion. Mais ce n’est pas ça le plus important. On avait une politique technique qui était claire, des principes qui étaient travaillés aux entraînements, un partage des expériences. Les entraîneurs étaient principalement des joueurs que j’avais déjà coaché. On avait donc la même sensibilité donc tout se faisait naturellement.