En quelques mots, pouvez-vous resituer votre carrière dans le football ?

En 1957, J’ai joué à 17 ans pour l’US Forbach qui accédait alors à la Division 2. Je jouais à l’époque avant-centre. Lors d’un tournoi international à Sarrebruck j’ai joué demi-centre pour dépanner l’équipe. Ce jour-là, j’ai été élu homme du match et c’est comme cela que j’ai démarré ma carrière en défense. En 1960, le Stade de Reims m’a invité à faire un match de préparation contre Lorient. Je devais signer avec Grenoble pour jouer en Division 1 mais j’ai atterri au dernier moment au Stade de Reims.  Ce club alignait à l’époque une attaque incroyable avec Raymond Kopa, Roger Piantoni, Just Fontaine et Jean Vincent. Nous étions le premier club à disposer d’un préparateur physique. Albert Batteux s’occupait essentiellement de la tactique et de la mise en place.

 

En tant que jeune joueur, comment en 1960 avez-vous été accueilli dans cette équipe de stars où tous les joueurs ou presque étaient internationaux ?

A vrai dire, ce n'était pas facile. La plupart des joueurs avait autour de la trentaine et un statut déjà bien établi. A l’époque l’effectif se limitait à 15 joueurs et nous n’avions pas le droit de jouer en amateur. Et sur le terrain, il n’y avait que 11 joueurs qui jouaient. Les remplacements dans le jeu n’existaient pas même en cas de blessure. Cela réduisait d’autant le temps de jeu et l’occasion de se mettre en valeur.

Au Stade de Reims, le jeu ne reposait pas comme à Nantes sur le collectif… mais sur le talent individuel. Il se basait sur les qualités intrinsèques des joueurs. L’entraîneur construisait l’équipe en fonction des joueurs, pas d’un style de jeu. Je jouais arrière latéral et Raymond Kopa venait me chercher la balle dans le pied et il était capable de remonter parfois tout le terrain en dribblant la moitié de l’équipe adverse. Cette manière de faire n’était pas toujours appréciée par ses partenaires car il y avait beaucoup de grands joueurs mais c’était ainsi. Kopa c’était Kopa. Le catalyseur de l’équipe c’était Dominique Colonna. Il était respecté par tous. Jean Vincent était sans doute à l’époque le plus proche des jeunes joueurs : il nous amenait avec lui à la pêche. Dans le dynamique de groupe, il jouait avec Justo Fontaine un rôle important. C’étaient des conteurs intarissables. Lors des repas, nous avions droit à des joutes oratoires désopilantes. S’il y avait un moment de silence, Doumé Colonna apportait sa touche personnelle.

 

Jean Vincent est souvent présenté comme un boute en train. Est-ce que c’est le souvenir que vous gardez de lui ?

Jean était un optimiste de nature et les jours de défaite il passait rapidement à autre chose. Il n’était pas du genre à se morfondre. Il adorait raconter des anecdotes et il n’est pas interdit de croire qu’il a parfois enjolivé un peu la réalité. Il parlait chti et il chantait très bien. La dernière fois que je l’ai vu le faire c’était à la Beaujoire lors d’une rencontre de partenaires. Il avait chanté en duo « le petit quinquin » avec Raymond Kopa. Il n’avait peur de rien et encore moins du ridicule. Il avait à portée de main un carnet sur lequel il a noté durant plusieurs années des histoires et anecdotes qu’il ressortait à l’occasion. Lire quelques lignes, lui suffisait pour réactiver sa mémoire.

J’ai le souvenir d’un match que nous avions perdu à Nîmes. Nous étions sur le quai de la gare de Marseille en train d’attendre le train pour Paris. Nous étions seulement 2 ou 3 autour de lui mais au bout de quelques minutes, il y eu un véritable attroupement. Albert Batteux était dans les parages et il n’a pas apprécié le spectacle. Le lendemain à l’entraînement il a rappelé qu’au-delà de perdre un match il n’était pas utile de se rendre ridicule sur un quai de gare. Je ne pense que cette critique ait beaucoup affecté Jean.

Jean était très facétieux. Il aimait plaisanter et j’ai en tête beaucoup d’histoires qu’il aimait raconter. Je ne résiste pas au plaisir d’en raconter une. La Coupe du Monde de 1958 reste dans toutes les mémoires mais il faut rappeler que Jean avait préalablement joué celle de 1954. En Suisse, l’équipe de France était confortablement installée dans un très beau château. Elle se trouve rapidement éliminée de la compétition. Le soir de celle-ci, les dirigeants sont invités à une cérémonie officielle et les joueurs se retrouvent entre eux. Afin de se consoler, ils décidèrent d’aller faire un tour dans la cave du domaine pour y prélever quelques bons crus. Cette année-là, les joueurs au lieu de recevoir par courrier une prime pour bons et loyaux services… avaient reçu la facture des vins consommés. 

 

Et comment vous êtes-vous retrouvés tous les deux à Saint Brévin ?

A titre personnel, pour des raisons professionnelles j’avais fait le choix en 1971 d’habiter à Saint Brévin. Je voulais être à proximité de Nantes. Nous nous sommes retrouvés par hasard au marché et c’est là que j’ai appris qu’un supporter lillois lui avait proposé en 1964 d’acheter sa maison en viager et qu’il en était dorénavant le propriétaire. A l’époque, il commençait à entraîner Lorient et il venait souvent. Nous sommes devenus amis. Et puis, ensuite il a pris la succession de José Arribas.

 

Lorsque Jean est arrivé comme entraîneur au FC Nantes, cela n’a pas dû être très facile pour lui de s’intégrer ?

J’ai échangé plusieurs fois avec lui sur cette situation qui était compliquée à vivre. Claude Simonet alors vice-président du club est l’instigateur de sa venue au club. Il se connaissait pour avoir joué ensemble en Equipe de France Militaire. Toutefois, dans l’esprit de tous à Nantes c’est Jean-Claude Suaudeau qui devait logiquement prendre la suite. Robert Budzynski qui est très ami avec Coco n’était pas favorable à sa venue. Mais c’est un garçon très intelligent et il a su faire la part des choses. Dans un club, un Directeur Sportif ne peut pas être en opposition avec son entraîneur. Et puis Bud… c’est aussi un gars du nord. Entre chti, il ne pouvait pas ne pas se comprendre !!!

 

Comment est-il parvenu à s’imposer ?

Jean a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. Il a compris très vite qu’il fallait poursuivre le style de jeu mis en place par José Arribas et faire confiance aux jeunes joueurs. Il savait fédérer une équipe mais c’était aussi un technicien hors pair. C’est un métier qu’il a toujours voulu faire et il a commencé très jeune. Déjà au Stade de Reims il entraînait les amateurs.

Jean a apporté aussi au FC Nantes une rigueur défensive. L’entraîneur ressemblait beaucoup au joueur qu’il avait été. C’était un hargneux sur le terrain. Si Bruno Rodzik avait des difficultés avec son adversaire direct, il venait donner un coup de main en défense. Albert Batteux n’avait pas besoin de lui demander de faire l’effort car pour lui c’était naturel. A l’époque, c’était le seul attaquant à faire cela. 

Il quitte le FC Nantes en 1982 d’une manière qui n’était pas très claire mais il a été capable d’enchaîner immédiatement avec le Cameroun pour réussir une formidable Coupe du Monde. Il me racontait avec une grande émotion l’hommage qu’il avait reçu dans ce pays deux ans plus tard lorsque dans le stade les spectateurs ont repéré sa présence. Ils étaient tous debout pour scander son nom. C’était quelqu’un de très chaleureux et sa personnalité ne pouvait pas laisser les supporters indifférents.

 

Et puis, après ensemble vous avez réalisé un très beau projet avec les stages qui porte son nom ?

J’ai entraîné l’équipe de Saint Brévin pendant quelques années et je jouais à l’époque avec les anciens nantais. Souvent, nous étions amenés à faire des matchs dans des installations qui n’étaient pas à la hauteur de celles de notre ville. C’est comme cela qu’est né avec le président du club l’idée de faire des stages d’été à Saint Brévin. J’ai contacté, en 1987, Bud pour savoir si le FC Nantes voulait porter ce projet avec nous. A l’époque, nous avions été reçus par Max Bouyer et son bureau mais le projet n’avait pas été retenu. Le FC Nantes souhaitait une infrastructure hôtelière de qualité pour recevoir des délégations étrangères et nous ne pouvions disposer que d’un camping avec quelques chalets.

Toutefois, le projet était intéressant et nous ne voulions pas baisser les bras. A ce moment-là, l’expérience de Jean avec la sélection tunisienne s’écourte brutalement et il revient à Saint Brévin. Aussitôt, je lui propose le projet mais il me rétorque qu’il est dégoûté et qu’il ne faut plus lui parler de football. Un peu plus tard, par amitié il accepte que l’on utilise son nom tout en précisant qu’il ne faut pas compter sur lui. Mais la passion du football était là et il a donné ensuite le meilleur de lui-même.

 

Ce n’était pas un éducateur à la base. En fait, peut-on dire qu’il découvre tardivement une nouvelle vocation en s’occupant des stages de jeunes…

C’est tout à fait exact. C’était un autre métier pour lui. Sa contribution a été décisive dans la réussite de ce projet. S’il faut parler d’investissement, je peux dire qu’il s’est donné à fond. Du matin jusqu’au soir. Jean préparait lui-même les entraînements. Il n’a pas économisé ses efforts jusqu’en 1995.

Les stages se déroulaient l’été pendant 6 semaines. Il y a eu aussi une expérience lors des vacances de Pâques. Nous pouvions avoir 120 stagiaires par semaine avec 80 hébergements possibles.  A l’époque, nous avions des gamins qui venaient notamment des pays du Maghreb. Jean avait une côte très importante au Maroc.

Pour finir, je souhaite aussi préciser que Jean Vincent s’est investi dans ces stages à titre bénévole. C’était une personne passionnée