Le jour le plus long

 

Quelle meilleure illustration pour le célèbre oxymore « Le début de la fin » que le lancement de l'aventure Mediapro avec le tout premier match de cette saison de Ligue 1 opposant Bordeaux à Nantes pour l'exercice 2020/2021. Marseille / St Etienne ayant été reporté à cause de la pandémie, le bal est ouvert par deux autres monuments du football français, « quatorze championnats à eux deux », rappelle-t-on pour promouvoir une entrée en matière bien piquante pour le nouveau diffuseur du football français. Ce seul argument répété à l'usure quand se présentent deux clubs prestigieux qui ne s'invitent plus à la table des grands depuis quelques années. La rencontre, sans but malgré la supériorité numérique des Nantais pendant une large partie du match, est indigeste, et invalide d'entrée la politique tarifaire du groupe audiovisuel espagnol, lequel, a eu la naïveté de croire que des millions de Français étaient parés à débourser vingt-cinq euros par mois pour consommer un championnat de France durement affaibli depuis vingt ans. Les résultats européens de cette saison ont confirmé la tendance.

 

Au-delà du fiasco annoncé de Mediapro, à travers cet interminable derby se dessinent timident mais sûrement les errances des deux gros clubs de l'Atlantique qui vont connaître des prochains mois chaotiques, sans pareille mesure avec leurs dix-huits compagnons de route. Une saison globalement symétrique sur le rectangle vert et dans les coulisses avec l'incarnation d'une rupture définitive entre les supporters et une direction « déconnectée », un terme malaxé de nos jours pour critiquer la caste politique. Mais le ballon rond a toujours reflété par braises les soubresauts enflammés de notre société, et comme l'a si joliment dit l'Ecossais Bill Shankly, « Le football, ce n'est pas une question de vie ou de mort. C'est bien plus que ça ».

 

La grande désillusion

 

En choisissant Christian Gourcuff à l'été 2019 pour succéder à Vahid Halilhodžić, Waldemar Kita a donc procédé à un nouveau lancer de dés pour choisir son énième entraîneur. Aucune stratégie mais simplement des coups de chance – souvent de malchance – avec des profils aux antipodes d'un technicien sur l'autre pour maintenir le navire jaune à flot le temps d'une brève traversée. Pour la deuxième saison du Breton, beaucoup d'espoirs étaient permis chez certains rêvasseurs, persuadés que les quelques éclats accomplis par le sexagénaire durant son aventure lorientaise suffiraient à faire chavirer une Beaujoire ennuyée.

 

Très vite, dans le prolongement d'une dynamique catastrophique en 2020, jusqu'à l'arrêt anticipé du championnat, les joueurs de Christian Gourcuff condamnent ce dernier en coulant sans révolte face à Strasbourg (0-4). La situation comptable n'est pas encore alarmante mais le pessimisme ambiant et les conflits internes poussent les Kita à démarrer un nouveau cycle. Pour ce qui est de gâter le public, la crise sanitaire se charge d'anéantir les dernières illusions avec un huis-clos entériné qui s'étirera jusqu'au terme de la saison. Au moment du renvoi du Finistérien, les canaris ont encore 5 points d'avance sur le 19e. Si les supporters démarrent les manifestations avant chaque réception du FC Nantes, ils sont encore loin de s'imaginer la teneur des prochaines semaines avec un certain « Raymond la science » qui va humilier un peu plus un club aux abois.

 

Freaks, la frauduleuse parade

 

Pendant les quatre matchs suivants, guidés par un Patrick Collot désorienté sous son épaisse casquette, Nantes confirme qu'il se battra pour sauver sa peau en Ligue 1. Une rareté depuis sa remontée puisque le club ligérien avait coulé des jours paisibles à l'approche du printemps. Ce coup-ci, la bataille est lancée, et à deux journées d'achever la phase aller, la situation empire avec une 16e place et seulement trois unités de plus que la lanterne rouge nîmoise.

 

Sûrement désenchanté de constater que son jouet se casse sans que personne ne verse la moindre larme dans les médias, Waldemar Kita décide d'apporter un « coup de projecteur » en nommant Raymond Domenech. Grand donneur de leçons sur le plateau de l'Equipe et d'une fibre patriote quand il s'agit de vanter les coachs français sur les réseaux sociaux, le jadis grand moustachu du Rhône ne fait pas mentir ses déplorables états de service en participant activement à une série de records noirs dans l'histoire de Nantes.

 

Peu importe car le « coup de projecteur » tant espéré par l'homme d'affaires franco-polonais brasille de mille feux. Le géant étasunien CNN couvre le premier entraînement de Raymond Domenech. Et pour cause, la thématique du Cirque retentit avec une sono parée à rivaliser avec celle, évoquée dans l'intro, des adieux de Michel Der Zakarian à son fidèle public. Une parade jouée sous les yeux du Président, toujours chichement entouré de son fils Franck et de son directeur sportif officieux, Mogi Bayat, dans les travers du stade. Dans la foulée, le Kita Circus s'affiche librement dans les villes de Nantes et ses alentours, les réseaux sociaux s'en donnent à cœur joie pour dénoncer la politique hasardeuse des Kita, qui ont accompagné leur campagne sportive de décisions antinomiques avec le patrimoine du FCN – à commencer par le changement de logo. Quelques semaines plus tard, en incluant un match de Coupe de France dirigé par Domenech, le club allonge à 16 unités sa série sans victoire. le bilan de Raymond Domenech en 9 matchs est terrible : 4 nuls et 5 défaites. Rideau.

 

 

Foule metal jacket

 

Il reste un tiers du championnat à disputer quand un quatrième homme en autant de mois vient s'installer sur le banc éjectable du FC Nantes. Dans un contexte épouvantable, malgré la fermeture des stades, beaucoup de spécialistes vendent déjà la peau du canari. Le désintérêt du terrain est grandissant même si, paradoxalement, la crise de résultats accélère la pression sur la direction. Il est alors notable qu'à la nomination de Domenech le lendemain de Noël, quatre entraîneurs avait déjà posé officiellement avec un maillot indiquant qu'ils seraient « The guy » à la tête de l'équipe première en 2020 : Sérgio Conceição, Miguel Cardoso et les deux coachs déjà cités ayant précédé l'intérimaire Collot.

 

Les départs d'entraîneurs, déjà nombreux, ne se font jamais dans la douceur au FC Nantes. Entre un Sérgio Conceição qui prétextait la maladie de son épouse et le club de Porto qui proposait aux Nantais une compensation en matchs amicaux, une perquisition à la Jonelière le jour même du renvoi de Christian Gourcuff, ou encore un Raymond Domenech qui ignorait tout de son sort alors qu'il pilotait à distance des pantins désarticulés face à Lens en Coupe de France (2-4), les exemples récents sont légion. De quoi conforter une frange toujours grandissante de supporters nantais qui réclament à cœur et à cri le départ de la présidence. Malgré l'impopularité du dernier technicien évincé sous l'ère Kita, la piste brouillée de la direction n'a pas fait de mirage et les responsabilités n'ont jamais pointé l'homme - quel qu'il soit - installé au poste d'entraîneur. Les cinq victoires en sept matchs pour conclure cette fin de saison n'atténueront pas cette profonde colère avec un retour des supporters pour la saison 2021/2022 qui s'annonce toujours aussi bouillant.

 

Pour autant, il convient de saluer le travail effectué par Antoine Kombouaré, un « homme de la maison », qui sortait pourtant d'expériences peu concluantes avec ce même objectif de maintenir dans l'élite le club pour lequel il s'était engagé dans l'Hexagone.

 

Il faut sauver le soldat Kanak

 

De par un maintien arraché au barrage avec Dijon et deux relégations aux commandes de Guingamp et Toulouse, les dernières lignes du C.V d'Antoine Kombouaré avaient de quoi inquiéter les suppporters désireux de voir le FCN s'accrocher aux branches de la L1. Le lexique de la bastonnade, employé sans lassitude par le Kanak, et quelques sorties lunaires qui laissaient poindre une passion modérée ces dernières années, n'harmonisaient pas vraiment ce retour aux sources pour « Casque d'or », qui défendit la tunique jaune et verte durant huit saisons.

 

Seul ce passé nantais de Kombouaré caressait l'espoir de voir une implication de tous les instants pour un entraîneur globalement moqué, et aborder sous un jour nouveau la mission commando d'un groupe atteint psychologiquement et privé de victoire depuis trois mois. Avec un engagement bonifié dans un premier temps et des séquences de jeu qui n'ont été proposées qu'à de trop rares occasions depuis la démission de Sergio Conceiçao, les canaris retrouvent des ailes avec en bonus une attaque prolifique. Si le championnat de France avait démarré lors de la prise de fonction de l'actuel technicien du FCN, le club présenterait le septième bilan de Ligue 1. Offensivement, Nantes a même marqué plus de buts que le champion lillois durant cette période.

 

S'il n'est pas garanti que l'ex coach du PSG ait les capacités de mener un projet sur le long terme, d'autant plus dans le contexte kitanesque, il a largement contribué à éteindre une partie de l'incendie sur le plan sportif en dérougissant de nombreux yeux. Il est maintenant lié au FCN jusqu'à l'été 2023, mais il serait presque étonnant de le voir aller au bout de son contrat.

 

La nuit maintien des morts-vivants

 

Pour la direction, le plus dur commence. La réouverture des stades, la fuite des sponsors, une équipe probablement très affaiblie au mercato et une saison qui restera traumatisante pour l'institution FCN, salie comme rarement sous l'ère Kita. Quelques parjures additionnelles ont d'ailleurs été commises avec la statue dorée d'un Henri Michel qui nous est rendue disponible à quelques heures éparses, comme s'il était la marchandise d'un vulgaire passe dans un bordel berlinois. Dans la soirée d'un maintien obtenu à corps et à sang, l'entourage du Président Kita n'a rien trouvé de plus « provoketeur » que de déterrer le cercueil « FC Kita », et son incarnateur d'ajouter qu'on voulait « enterrer vivante toute sa famille ».

 

Parce que ces dirigeants ont redoublé d'offensives en se persuadant que le FCN était leur propriété, leur « chose », ils ont frôlé l'apocalypse. Mais ils sont bien loin d'être revenus du bout de l'enfer.