Cet article propose une analyse de la situation juridique des clubs au sein des principaux championnats européens. Une approche qui permet d’identifier les enjeux actuels du football pro et d’apprécier, sur cette base, la pérennité des modèles économiques et sociaux.

 

La France : championne de l’instabilité

En 1932, le professionnalisme apparaît mais le statut d’association subsiste pendant plus de 4 décennies grâce à l’implication financière des municipalités. Il va falloir attendre les années 70 et les difficultés économiques de quelques grands clubs comme Saint Etienne et Nantes pour connaître un changement du statut juridique. La société d’économie mixte locale (SEML) permet, à partir de 1975, de faire appel aux capitaux publics mais aussi privés.

En fait, il y a eu plusieurs phases dans cette transformation. Pour les comprendre, l’exemple du PSG est édifiant.

A sa création en 1970, le club est une association loi 1901. Il conserve ce statut jusqu’en 1991, date de l’arrivée de Canal + dans son capital. Le PSG adopte à cette date le statut de SAOS (Société Anonyme à Objet Sportif) qui existe en France depuis 1984. L’association conserve la majorité des parts, Canal + en détient 40% et quelques actionnaires privés (Cayzac, Brochand et Talard) se partagent les 9 % restants. 

A partir de 1999, les clubs professionnels peuvent devenir des sociétés anonymes. La loi permet aux sociétés privées de prendre la majorité du capital à condition que l’association conserve une minorité de blocage. Cette mise « sous tutelle » ne va être que temporaire. Dès 2004, cette clause disparaît et laisse place à l’actionnariat majoritaire, voire unique.

En 2006, Canal + vend le club à Colony Capital, Butler Corporate Partners et à la banque Morgan Stanley. En 2011, l’émir du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani via QSI (Qatar Investisment  Autority ) fait l’acquisition de 70 % du capital puis il devient l’année suivante l’unique propriétaire du club.   

Actuellement, la quasi-totalité des clubs pro de Ligue 1 sont des Sociétés Anonymes Sportives Professionnelles (SASP). Cette forme juridique laisse aux investisseurs français ou étrangers une grande liberté pour acquérir un club sans autre contrepartie que financière. Elle fait de la France la championne de l’instabilité puisque 24 clubs professionnels ont changé de propriétaire durant la période 2011/2019. Les plus beaux joyaux du championnat sont, aujourd’hui, la propriété des fonds d’investissement étrangers. C’est le cas de Paris, Marseille, Lille, Lens, Nice ou Bordeaux. La seule exigence formulée par la DNCG consiste à assurer une solvabilité immédiate. Il est à craindre que le turn-over s’intensifie encore un peu plus dans ces prochains mois à cause de la crise sanitaire… comme on peut l’observer en Italie.

En France, la mouvance de l’actionnariat représente une inquiétude majeure. En effet, peu de clubs sont aujourd’hui capables d’assumer une solvabilité immédiate et un développement à moyen terme. Le désengagement de King Street à Bordeaux témoigne de cette fragilité.

La société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) apparaît aujourd’hui dans le paysage législatif du monde sportif. Elle trouve un écho favorable dans des sports tels que le volley ou le basket. Bastia en football a redémarré avec ce modèle juridique suite à sa relégation sportive. Elle est composée de 5 collèges représentants les différentes composantes du club : fondateurs, acteurs économiques, collectivités, salariés et anciens licenciés, supporters. La question est de savoir si ce modèle peut répondre aux problèmes de financement des clubs professionnels compte tenu des budgets à investir.

 

Angleterre : pionnière du foot business

La création du championnat anglais de football professionnel remonte à 1888. Les clubs sont sur le plan juridique des pionniers puisqu’ils ont, depuis 1923, l'obligation d'être des sociétés à actions. Dans ce pays, pas de débat sur la nationalité des fonds ou sur le fait de savoir si le football professionnel est un business ou pas. Avant tout, l’enjeu c’est d’être compétitif.

Aujourd’hui, tous les grands clubs appartiennent à des propriétaires étrangers. C'est notamment le cas pour Chelsea avec Roman Abramovitch ou pour Manchester City avec Mansour Bin Zayed Al Nahyan. La premier League est le championnat le plus médiatique mais aussi le plus dépendant aux capitaux étrangers.  De nombreux clubs sont cotés en bourse et les marchés asiatiques représentent des enjeux majeurs.

Toutefois, malgré son remarquable développement à l’international, le football business en Angleterre est concurrencé, sur ses propres terres, par le succès de la Non-League.

Depuis quelques années plusieurs équipes professionnelles appartenant à ce 5e échelon attirent en moyenne plus de 5000 spectateurs comme c’est le cas pour Leyton, Whresham, Chesterfield ou Stockport County… alors que des clubs plus huppés de 2e ou 3e division ne parviennent pas à obtenir une telle fréquentation. Les motivations qui expliquent un tel phénomène sont multiples : le souhait de voir un football plus authentique, l’ambiance familiale, le coût des places, la facilité d’accès au stade.

Par ailleurs, il est à noter que plusieurs clubs professionnels de 3e et 4e division sont aujourd’hui dirigés par leurs supporters suite à des faillites. Depuis 2016, c'est le cas notamment de AFC Wimbledon (3e Division). Dans d’autres situations, c’est un changement de gouvernance qui explique la création d’un nouveau club. L’arrivée de Malcolm Glazer en 2005 comme propriétaire de Manchester United est à l’origine de la création du FC United Of Manchester. Les fans veulent ainsi montrer leur désaccord de voir leur club devenir la propriété exclusive d’un riche investisseur étranger. La même situation est observable à Liverpool.

En Angleterre, comme on le voit l’internationalisation du football business soulève quelques questions quant à l’identité réelle des clubs et à la reconnaissance des supporters. Par ailleurs, la course à l’armement coûte excessivement chère et elle oblige les clubs à trouver de nouvelles recettes. D’où le projet de création de Superligue Européenne dans laquelle figurait 6 clubs anglais. Les supporters ont joué un rôle essentiel  pour stopper ce projet de ligue fermée et rappeler à l’occasion qu’un club n’est pas une entreprise comme les autres.

 

Espagne :  royaume des socios

La création de la Liga est plus tardive que celles des autres championnats nationaux. Il faut attendre 1928. Auparavant, seule la Copa Del Rey regroupe les meilleures équipes. La raison est politique et ce championnat va subir rapidement, entre 1936 et 1939, une interruption à cause de la guerre civile. Des antagonismes qui subsistent d’ailleurs toujours, aujourd’hui, entre la Catalogne, le Pays Basque et le pouvoir madrilène.

Face aux déficits considérables des clubs, une loi impose en 1990 le statut de société anonyme (SAD ou Sociedad Anonima Deportiva). Des règles protègent la propriété du club. Seuls les ressortissants espagnols peuvent être actionnaires. En second lieu, pour sauvegarder la concurrence sportive il est interdit, pour quiconque, de posséder plus de 1% d’actions dans deux clubs différents.

Toutefois, certains clubs obtiennent une dérogation. C’est notamment le cas des deux plus grands clubs espagnols que sont Barcelone et le Real Madrid. L'Athletic Bilbao et Osasuna bénéficient aussi de cette structure juridique. Ce sont les "socios" qui sont propriétaires du club. Pour devenir socio, il faut payer un droit d’entrée puis une cotisation annuelle. Ils participent à l'élection du président et du conseil d’administration. Ce droit permet aussi d’accéder à un tarif préférentiel pour les matchs et les abonnements. Actuellement, il y a 160 000 socios au FC Barcelone et 80 000 au Réal de Madrid.

Concernant le Barça, la première élection démocratique pour la présidence a eu lieu en 1953. Compte tenu de l’histoire, c’est plus qu’un club de football.  Il incarne durant quatre décennies la lutte antifranquiste, les institutions politiques catalanes étant interdites et réprimées. De ce fait, le stade représente le lieu symbolique de la contestation contre le pouvoir central.

Il est évident que les mesures de protectionnisme prises sur le plan juridique évitent la dépendance aux investisseurs étrangers comme c’est le cas en France et en Angleterre. Ce qui par contre ne l’est pas… c’est la gestion de la dette abyssale des clubs auprès du fisc espagnol. Il y aurait de nombreux dépôts de bilan si les règles en vigueur en France l’étaient aussi dans ce pays.

 

Allemagne : règne du 50+1

En Allemagne, le professionnalisme débute seulement en 1962.

En 1998, les clubs s'ouvrent aux capitaux privés. L'enjeu est de rester compétitif sur le plan européen. Cette ouverture s'accompagne d'une restriction importante : la part des capitaux privés ne peut dépasser 49%. L'association du club reste donc majoritaire. Au Bayern, les 300 000 membres sont donc propriétaires et peuvent préserver l'identité du club.  L'adhésion annuelle pour les membres du Bayern se situe entre 20 et 60 euros. Autre intérêt pour eux : ils disposent d'une politique d'abonnement beaucoup plus avantageuse que celles des autres pays. Cela explique les affluences dans les stades. Les matchs de la Bundesliga se jouent à guichets fermés.  Toutefois[FV1] , il y a quelques exceptions à la règle du 50+1. Un investisseur avec l'accord des supporters peut prendre le contrôle du club s’il prouve qu’il a fortement contribué financièrement à son développement pendant au moins une période de 20 ans.  C’est le cas du Bayer Leverkusen qui appartient à la société pharmaceutique Bayer et du VFL Wolfsburg dont le propriétaire est Volkswagen. En 2015, Dietmar Hopp (SAP) est devenu majoritaire de Hoffenheim. Dans ce club, il investissait depuis plus de 25 ans.

Cette pratique juridique apparaît idéale mais il y a toujours une manière de contourner la règle. C'est le cas du RB Leipzig. La société Red Bull possède juridiquement 49% du capital mais une astuce lui permet d'avoir la main mise sur le club.  Dietrich Mateschitz, son patron, a racheté le club amateur du SSV Markranstadt qui jouait en 5eme division. Les 17 membres de l'association sont tous des employés de la société. Face à la pression de la Ligue, le club a été obligé d'ouvrir l'adhésion au public mais les nouveaux membres ne disposent pas du droit de vote lors des assemblées générales. Cette méthode qui ne respecte pas l'esprit de la loi explique, aujourd'hui, la forte détestation du RB Leipzig. La réussite sportive ne suffit pas à rendre populaire un club. Cet exemple montre aussi que ce pays doit rester vigilant s'il veut garder la maîtrise de son avenir.

Malgré ce cas isolé, force est de constater que le modèle allemand représente un exemple à suivre. Les stades sont pleins et l'identification au club est très forte. Cette situation a de quoi faire rêver les supporters français qui ne peuvent rien faire lorsqu'un riche entrepreneur s'approprie leur club et qu'il ne respecte pas les valeurs de celui-ci.

 

En conclusion

La crise sanitaire va forcément générer des bouleversements dans le monde du football professionnel. Nul doute que dans les prochains mois, plusieurs clubs vont afficher des déficits records et que la situation de Bordeaux ne sera pas un cas isolé.

Cette crise va forcément questionner le statut juridique des clubs.  L’Espagne et l’Allemagne ont eu la sagesse de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la réalisation d'OPA sauvages.  Nous voyons bien que ce n'est pas le cas pour la France où la stabilité des actionnaires est problématique. Un club peut basculer, du jour au lendemain, entre les mains d’un fonds spéculatif sans que les élus locaux ou les supporters ne puissent intervenir.

Face à cette crise, le statut juridique va être au centre de nombreux débats lorsqu’il s’agira de fixer la valeur financière d’un club. Le capital d'un club, c'est avant tout son capital humain et immatériel. Quoi que l’on puisse dire, ce n'est ni le stade, ni ses infrastructures. Et c'est de moins en moins les joueurs, qui ne sont que de passage.

Le capital humain c’est, en premier lieu, ses supporters. En effet, ce sont toujours ceux qui restent lorsque l’avenir devient menaçant. Aujourd’hui, en France ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance. Ils peuvent juste manifester leur désaccord en s’opposant à la gouvernance en place comme nous l’avons vécu récemment à Marseille, Saint Etienne, Bordeaux ou Nantes. Ou bien faire le choix de prendre de la distance en refusant de se réabonner. Cette forme de contestation prend d’ailleurs une ampleur inquiétante.

Un football sans ferveur populaire n’a plus la même valeur sportive et économique. Il est grand temps que cette question du statut juridique et de la gouvernance trouve enfin une réponse à la hauteur des enjeux.