Peux-tu nous retracer, en quelques mots, ce qui est à l’origine de la création de l’association « À la Nantaise » ?

L’élément déclencheur a été l’éviction, en juin 2009, de Laurent Guyot, Stéphane Moreau et Pierre Bazin. Ils incarnaient pour nous, en tant que supporters, ce qu’était vraiment le club et notamment sa politique de formation. Préalablement, nous avions déjà eu quelques occasions de manifester notre désaccord vis-à-vis de la direction puisqu’elle faisait strictement l’inverse de ce qui avait fait auparavant la grandeur du club. Pour nous, le licenciement des formateurs était vraiment la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.

Au démarrage, nous étions un petit groupe d’une dizaine de passionnés convaincus de la nécessité de se mobiliser pour préserver les valeurs du club. En pensant au collectif, j’ai à l’esprit une photographie où l’on voit dans le même bureau Jean-Claude Suaudeau, Raynald Denoueix, Guy Hillion et Robert Budzinski.  Elle exprime l’ambiance et la capacité à travailler en symbiose. C’est cela que nous voulions retrouver… et pas le management unilatéral de Waldemar Kita.

Très rapidement, il devient clair qu’il nous faut nous organiser pour conduire cette ambition. La date de création de l’association est très symbolique puisque c’est le 21 avril 2010. Elle fait écho avec celle de la création du club : à savoir le 21 avril 1943. 

À l’issue de cette démarche, nous avons fait une conférence de presse. Dès le lendemain, nous faisions la une dans la presse régionale. Deux semaines après, nous étions 556 adhérents….

 

Comment se traduit alors, pour vous, concrètement, la volonté de défendre les valeurs du club ?

En premier lieu, il faut préciser que nous ne sommes pas à proprement parler un groupe de supporters. Nous n’avons pas de bâche, et ne proposons pas d’animation dans le stade. À l’époque, il existait déjà des structures qui proposaient cela et qui le faisaient très bien.

Notre groupe voulait intervenir d’une autre manière. La première action que nous réalisons c’est une enquête de terrain. L’objectif consiste à identifier ce qui fait la singularité et les valeurs du FC Nantes. Anciens joueurs, anciens dirigeants, universitaires et passionnés d’horizons divers vont, à ce moment-là, se joindre à nous pour définir ce que l’on appelle le Pacte Arribas. Ce travail collectif se déroule sur plusieurs mois et est présenté devant 350 membres lors de la première assemblée générale de l’asso. Il dévoile les huit principes qui ont fait la singularité de notre club entre 1963 et 2001. Notamment l’absence d’ingérence de la direction du club dans le domaine technique ou bien encore la priorité accordée à la formation.

L’Association "À la Nantaise" va rapidement s’appeler "les Amoureux du FC Nantes". C’est pour cette raison que nous avons voulu rendre hommage à Christophe Pignol, un ancien joueur, atteint d’un cancer. En avril 2012, nous organisons un match caritatif à Marcel Saupin entre les ex-canaris et une sélection de joueurs ayant évolué dans un club professionnel breton.

Toutefois, notre combat se concentre principalement sur la volonté de retrouver les valeurs qui ont fait du FC Nantes un club à part. Notre idée, c’est qu’il faut une représentation des supporters dans le conseil d’administration du club.

C’est ainsi que nous sommes arrivés assez naturellement à l’Actionnariat Populaire. Il fallait défricher le sujet car à l’époque, en France, il n’y avait rien.

À partir de 2013, nous sommes invités par Supporters Direct Europe, qui coordonne la diffusion de l’actionnariat populaire à l’échelle continentale, Nous nous rendons à Londres pour échanger avec des groupes de supporters allemands, anglais et des quatre coins de l’Europe. À ce moment-là, il y pas mal de difficultés économiques pour les clubs britanniques avec notamment la faillite de Portsmouth ou Wimbledon. Ce sont les supporters qui injectent alors de l’argent dans ces clubs pour en reprendre le contrôle. C’est l’occasion pour nous de créer un réseau d’acteurs et de voir comment il nous sera possible d’agir en France sur le plan juridique.

 

C’est à ce moment-là que vous rentrez dans la phase active concernant le développement de l’actionnariat populaire ?

À cette époque, les supporters participent à la gouvernance des clubs de football professionnel dans plusieurs pays européens notamment l’Espagne, l’Allemagne et l’Angleterre. En France, nous n’étions pas dans cette même situation.

En 2014, pour l’association, c’est la création de la SAS « À la Nantaise ».  Elle permet aux supporters du club de devenir actionnaires sous couvert d’une participation de 50 ou 100 euros. À l’occasion d’un colloque au Sénat organisé par l’association, une étude de l’Université de Nantes effectuée auprès du public de la Beaujoire a démontré que le potentiel de l’actionnariat populaire s’élevait à 1,7 million d’euro. Aujourd’hui, nous avons la conviction que nous pouvons lever des sommes bien supérieures.

Nous avons fait un travail de lobbying auprès des élus politiques avec l’ambition de faire évoluer le cadre juridique. Des élus de toutes sensibilités ont manifesté activement leur adhésion à l’actionnariat populaire. Une proposition de loi a été élaboré par l’association. Thierry Braillard, alors Ministre des sports, nous a accordé un entretien et de nombreux articles de notre texte ont été votés par le Parlement. Johanna Rolland intègre l’actionnariat populaire dans sa campagne en 2014. L’idée a fait progressivement son chemin.

 

Aujourd’hui, votre démarche consiste à proposer la création d’un pool d’entreprises régionales ?

En fait, le contexte n’est plus tout à fait le même actuellement. Au plan national et local, avec la crise sanitaire et le fiasco Médiapro. Nous considérons qu’il est, plus que jamais, favorable au développement de l’actionnariat populaire. Le modèle que nous ne voulons pas c’est celui de l’unique propriétaire. Nous souhaitons pour le club une diversité d’acteurs avec un investisseur principal, des entreprises locales et une représentation des supporters.  

Un mode de gouvernance qui respecte les valeurs du club et le pacte Arribas avec notamment l’autonomie du secteur sportif.

En Avant de Guingamp est le premier club de football de Ligue 1 qui a fait, en 2017, le choix d’intégrer ses supporters au capital. Plus de 15 000 supporters sont dans l’association Kalon qui dispose de 6,52 % du capital. Malheureusement, les supporters n’ont pas la possibilité de monter au conseil d’administration. Ce qui annihile tout l’intérêt de l’actionnariat populaire. Néanmoins, ce club bénéficie d’une grande stabilité puisque 141 investisseurs locaux sont aussi actionnaires du club.

Au Bayern, nous savons qu’il y a 300 000 sociétaires impliqués dans le devenir du club. À Nantes, nous pensons que nous pourrions être 30 000. Il y a un réel attachement au club. Le FC Nantes a longtemps été le fleuron de la ville. Ce club est connu et populaire sur les cinq continents. Mais plus proche de nous, nous avons pu constater que la Vendée est aussi « Jaune et Verte ».  

 

Votre association a fait un appel le 21 janvier dernier à la mobilisation générale des entreprises locales et des supporters. Est-il possible d’en tirer les premiers enseignements ?

Il y a quelques années, nous étions considérés comme des doux rêveurs. Ce n’est plus le cas maintenant. La question de la reprise du club se pose aujourd’hui d’une manière concrète et elle inquiète de nombreux supporters. Ils ne souhaitent pas à terme dépendre d’un investisseur extérieur au territoire qui ne prendrait pas en compte la dimension locale de ce club. De ce fait, il est important que les supporters se mobilisent pour ne pas subir un changement qui fragilise encore un peu plus le club.

Nous avons communiqué le 21 janvier pour en appeler à la mobilisation générale des entreprises locales et des supporters. Les supporters ont un rôle à jouer dans un moment aussi difficile. Nous en appelons à eux pour se mobiliser et mobiliser autour d’eux. Il faut développer ensemble une créativité « à la nantaise ».  L’économie régionale a des atouts appréciables et ce qui a été fait par exemple à Strasbourg ou à Bastia, avec la création d’une société coopérative d’intérêt collectif peut tout à fait s’envisager à Nantes. Il faut créer les conditions pour que les décideurs locaux se regroupent et travaillent ensemble à un projet viable. Les élus sont aussi très importants dans la démarche. Ils apportent leur expérience du terrain, la connaissance des entreprises et ils peuvent ainsi nous aider à fédérer plus largement.

Concernant l’appel du 21 janvier, nous sommes satisfaits des retours obtenus. La dynamique est en marche. Les bénévoles de l’association travaillent avec vigueur, car nous sommes persuadés que l’actionnariat populaire a toute sa place dans le football moderne. Il est difficile d’en dire plus pour l’instant. Nous avons été maintes fois interrogés depuis sur le devenir de nos travaux, Nos adhérents, des supporters, les médias, voudraient en savoir plus sur nos avancées. Chacun comprendra qu’une certaine confidentialité s’impose sur les contacts en cours.