Dans son petit appartement, Suzanne est entourée de quelques souvenirs qu’elle conserve de la formidable carrière de son mari. Il y a les trophées concernant les 3 titres de Champion de France mais aussi la distinction de « Sportif du Siècle de Loire-Atlantique ». Un autre plus surprenant concerne un cadeau personnel de Jean-Claude Suaudeau : sa distinction par l’UNECATEF en 1997 de 2ème meilleur entraîneur français (derrière Jean Tigana). Tout un symbole pour les supporters que nous sommes.  

Suzanne, est-ce que vous pouvez nous dévoiler le caractère de José ? Qui était-il dans la vie quotidienne ?

Il était passionné par son métier et les résultats avaient une influence sur son comportement. Lorsqu’il avait gagné, c’était un homme agréable et détendu. En cas de défaite, c’était différent. Il n’aimait pas perdre et restait parfois ainsi préoccupé jusqu’au prochain match. 

Les enfants étaient habitués à sa manière de faire.

Lors des vacances, il était transformé. Ce n’était plus le même homme. Il était joyeux, dans la convivialité. Il était très fier de sa culture et nous passions fréquemment nos vacances au Pays Basque. Là-bas, il retrouvait ses racines. C’était pour lui une manière de se ressourcer.

Toutefois, il ne décrochait jamais complétement du football. En vacances, toute la famille assistait aux rencontres locales. Pas moyen d’échapper. À Nantes, quand nous revenions la pression revenait rapidement et il adoptait un autre comportement.

Hors de son métier, avait-il des hobbies ?

C’était un grand lecteur. Il lisait beaucoup, notamment la presse sportive. Il aimait faire des mots croisés, une manière pour lui de développer sa maîtrise de la langue française. C’était aussi un excellent chanteur. Les chants basques ont une dimension un peu religieuse mais lui était athée. Il chantait par plaisir et par attachement à son pays.  

Par nature, ce n’était pas un grand bavard mais il pouvait parler longuement d’un sujet qui le passionne. Notamment avec ses amis de l’Amicale des Educateurs qu’ils invitaient chez nous après les réunions devant un plateau de fromage et une bouteille de vin. José avait le goût de la relation et il pouvait avoir beaucoup d’humour. Pour partager sa passion, il répondait à toutes les invitations des clubs et des écoles. Il aimait aussi aller au bord des stades pour voir des matchs de niveau inférieur.

Il donnait le sentiment d’avoir une grande maîtrise émotionnelle. Comment parvenait-il à gérer son stress ?

Dans sa vie, son métier occupait une grande place. Il consacrait beaucoup de temps à la préparation. Chaque lundi matin, sur un cahier il faisait le bilan du dernier match puis sur des fiches bristol l’évaluation de chaque joueur. Il avait une grande mémoire et n’écrivait rien pendant un match. Son système de notation était particulier : c’était des symboles. Un rond pour un but, une demi-lune pour une passe décisive. Les graphiques permettaient un suivi de l’état de forme. Je pense que cette manière de faire lui permettait de garder la distance nécessaire vis-à-vis de son groupe.

Je passais ma tête au-dessus de son épaule pour lire ses appréciations et entendre ses commentaires. Dans la semaine, il m’informait parfois de la réaction des joueurs qui n’étaient pas toujours d’accord avec son niveau d’exigence. Il était capable d’exprimer des critiques sans la moindre agressivité. Il ne haussait jamais le ton.

A la maison, José était capable de rester des heures dans ses réflexions. Comme il fumait beaucoup, il utilisait son paquet de cigarettes pour prendre des notes ou faire des schémas tactiques. Au volant de sa voiture, il pouvait être parfois distrait car il était déjà dans son match. C’est ainsi que la veille de son limogeage à Marseille nous avons eu un grave accident.

Vous étiez présente dans son activité professionnelle ?

Mon mari ne souhaitait pas que je vienne au stade.  Par contre, il m’amenait souvent dans ses déplacements pour aller voir un match ou superviser un joueur. Je me souviens avoir vu Jean-Claude Suaudeau à Cholet avant son recrutement.  Etrange sentiment : physiquement c’était la copie conforme de mon mari. C’était aussi comme lui un meneur de jeu. José me prévenait parfois au dernier moment. On prenait la voiture pour des distances parfois importantes et j’emmenais les jumeaux avec les biberons et tout l’équipement. Aujourd’hui, je devrais avoir une médaille. Plus tard, j’ai participé avec lui au repérage des terrains proposés par la Mairie pour construire le Centre de Formation. José avait particulièrement apprécié le site de la Jonelière pour son emplacement, même si à l’époque il le trouvait un peu petit.

Il vous impliquait dans ses réflexions et ses choix ?

Il me consultait sur certaines situations qu’il vivait sur le plan professionnel mais il savait que la décision devait être la sienne. Mon mari n’était pas enfermé dans des certitudes mais il avait des principes. C’était peut-être lié à sa culture basque. L’intégrité par exemple. Impossible pour lui de faire bénéficier du moindre passe-droit à un membre de sa famille.

Il écoutait les autres mais il n’aimait pas se faire imposer sa décision. C’est pour cette raison qu’il n’a pas accepté de prolonger son contrat au FC Nantes. Mon mari ne s’est pas senti soutenu par les dirigeants. Louis Fonteneau était très gentil mais sous influence. Robert Budzynski que mon mari avait aidé à devenir directeur sportif n’était sans doute pas en capacité de faire plus. La décision de ne pas renouveler son contrat d’une saison a été difficile à prendre pour lui. Il aurait tellement aimé finir sa vie professionnelle à Nantes.

Quelles relations entretenait-il avec ses joueurs ? A-t-il eu des relations plus privilégiées avec certains d’entre eux ?

Aucune préférence. Ses joueurs… c’était un peu comme sa propre famille. Les anciens d’ailleurs restent très proches de moi. À travers le travail, il y a eu entre eux une grande complicité. Mais il faut savoir que José vouvoyait ses joueurs. Il préférait garder une certaine distance. Sa manière de faire était d’ailleurs identique avec les dirigeants. Raphaël Santos a habité chez nous lors de son arrivée car il ne parlait pas français. Il aimait aussi beaucoup échanger avec Paul Courtin. José a appris l’espagnol à certains de ses joueurs à la grande tristesse de ses enfants qui n’ont pas eu cette même chance. Il entretenait aussi des relations amicales hors du travail avec Guelso Zaetta (Zeppo) qui venait dîner à la maison et que l’on retrouvait l’été sur la Côte d’Azur. Il y avait du respect et de l’amitié entre eux mais ils ne se sont jamais tutoyés.  C’était une autre époque.

Comment a-t-il vécu la fin de sa vie professionnelle ?

Il a beaucoup apprécié son séjour à Lille avec le projet formation. Son travail était reconnu. José est devenu très ami avec Charly Samoy et d’ailleurs je ne voyais plus mon mari. Tous les dimanches, ils allaient ensemble voir les équipes de jeunes ou des matchs en Belgique. La fin de son activité professionnelle correspond avec sa maladie. Il n’avait pas le choix car il était trop fatigué. Son cancer des os a été diagnostiqué en 1982. Lors de l’opération, on lui donnait 3 jours, 3 mois ou 3 ans. Comme c’était un compétiteur, il s’est ensuite battu contre la maladie. Le retour à Nantes s’imposait même s’il avait aussi un lien avec Floirac et la communauté basque.  En rééducation, à Saint-Jean-de-Monts il était très heureux d’être parmi les sportifs de haut niveau. Il a gardé jusqu’à la fin de sa vie le contact avec le FC Nantes car il allait assister aux entraînements de Coco. Difficile pour lui de vivre sans le football.

Une dernière question : est-ce qu’il aurait aimé le football d’aujourd’hui ?

Je ne pense pas. Pour lui, le football c’est un sport populaire. A l’arrivée de Canal, en 1984, il a d’ailleurs considéré que c’était la mort du football. Une question de valeurs. L’idée de devoir payer pour voir les matchs à la télévision lui paraissait dangereuse car c’était un moyen de faire de la sélection sociale.  Il avait toujours le souci du public et des supporters. Avec la presse cela n’a pas toujours été facile mais la relation avec les supporters était excellente. Même à Marseille. 

Merci encore à Suzanne Arribas et à sa famille pour ce moment privilégié. Grâce à elle, nous avons le sentiment d’un peu mieux connaître sa personnalité, sa passion pour le football et sa relation aux autres.