Le vendredi 29 avril 1966, Jean-Claude Suaudeau est en photo à la Une de ‘L’Equipe’’. Confortablement installé dans une chaise longue, à l’ombre d’un arbre du parc ‘’La Clairière aux Chênes ‘’, un hôtel de Chantilly, il est plongé dans les pages d’un livre. « Un ouvrage de John Steinbeck », précise la légende. Il est barbu car les joueurs nantais ont décidé de ne plus se raser tant qu’ils ne seront pas éliminés de la Coupe de France. Or, c’est justement un match de cette compétition, une demi-finale face à Angers, qu’ils préparent dans la banlieue parisienne.

L’endroit, niché dans un coin de verdure, est difficile à trouver et Joël Prou, militaire au Bataillon de Joinville, fort de la permission qu’il a obtenue pour participer éventuellement à la rencontre, a erré pendant plus d’une heure dans le dédale de rues qui se ressemblent toutes avant d’arriver à bon port. Il est satisfait de s’être soustrait momentanément à l’ennui de sa caserne mais il ne jouera pas car José Arribas a décidé de titulariser Bako Touré à l’aile gauche de son attaque.

Beaucoup de journalistes ont également longtemps cherché avant de dénicher le bon hôtel. Des journalistes ? Eh oui, on est à une époque où les équipes accueillent volontiers les médias dans les retraites où elles préparent leurs matches. Il n’y a rien à cacher. Le Chénadec, Grabowski, Gondet et Eon jouent aux cartes, Budzynski et Arribas s’amusent avec un ballon, Blanchet et Muller s’exercent à la pelote à main nue. Et donc Suaudeau lit. Et comme il est l’un des joueurs en forme de Nantes et qu’on pense à lui pour l’équipe de France, il s’interrompt sans problème pour se raconter, depuis ses débuts dans l’équipe corpo des Batignolles de Cholet jusqu’au FCN, en passant par Pouzauges et le SO Cholet. « Tiens, on ne voit pas Simon », remarque un reporter. « Oh, ne vous inquiétez pas, il est parti à Paris prendre livraison d’une voiture qu’il vient d’acheter, une Peugeot 404 », rassure un dirigeant. Une autre époque, on vous dit, plus libre, plus ouverte, avec des joueurs disponibles et non coupés des réalités par un bataillon de parasites. S’ils désiraient une voiture, ils allaient la chercher (même qu’ils la payaient, mais c’est une autre histoire), ce n’était pas un sponsor qui venait la déposer à leur porte.

Gondet ne boîte pas longtemps

José Arribas prévoit un match difficile, à ses yeux Angers est une équipe solide pratiquant un bon football et bien que sa formation, en route pour un deuxième titre de champion de France d’affilée, bénéficie de la faveur des pronostiqueurs, il prêche la méfiance. Daniel Eon se situe sur la même ligne : « ça va barder, prévoit-il. Angers est une formation athlétique qui va jouer toute sa saison sur ce match car il a déçu en championnat et il ne faut pas s’attendre à des cadeaux ».

Il ne se trompe pas. A peine l’engagement effectué, le défenseur angevin Grobarcik se précipite sur Philippe Gondet et il décoche un tacle qui touche davantage la cheville que le ballon. Gondet s’écroule et peine à se relever. Il boîte. « J’ai eu peur, confiera Arribas. Heureusement que Philippe est costaud et qu’il possède un courage hors du commun ».

Gondet surmonte en effet la douleur, il joue sur une jambe pendant une dizaine de minutes puis, petit à petit, il se remet d’aplomb et envisage de faire payer la note aux Angevins de la meilleure manière : en leur marquant au moins un but. Il va en mettre deux. Le premier, obtenu de la tête à la 29è minute, récompense la domination des Nantais qui se sont déjà montrés plusieurs fois dangereux par Ramon Muller et Blanchet.

Ensuite, le match est plutôt équilibré, il est en tout cas de grande qualité entre deux équipes rivalisant de virtuosité technique et d’imagination offensive. Les Angevins tiennent en Dogliani, Deloffre et Poli trois joueurs experts dans l’utilisation du ballon, de là à rivaliser avec le trio Ramon Muller, Suaudeau, Simon, il existe une marge que ces derniers s’évertuent à empêcher leurs adversaires de franchir. Sur une attaque partie de De Michèle, sept Nantais touchent successivement le ballon et Simon conclut par un shoot qui frôle la cage de Gallina. Le public parisien, debout, applaudit ce mouvement tout en arabesques. Plus de 30.000 spectateurs garnissent les tribunes du vieux Parc des Princes qui, dans guère plus d’un an, sera livré aux bulldozers des démolisseurs. Cette affluence donne raison à la Fédération qui a décidé de faire disputer cette demi-finale à Paris alors que … Rennes s’était porté candidat pour l’accueillir en assurant que l’affiche attirerait au moins 20.000 personnes au stade de la route de Lorient.

Gallina enraye encore une percée de Gondet et puis, à une vingtaine de minutes de la fin, Nantes accentue sa pression. La défense angevine finit par exploser. Simon contraint Gallina à concéder un corner et sur celui-ci il décoche une reprise de volée qui se fiche dans la lucarne. Trois minutes plus tard, Simon est encore là pour mettre Gondet sur le chemin d’un troisième but qui scelle le sort de la partie. « On a su conjuguer le résultat et la manière, c’est bien », note Arribas.

Les compliments d’Albert Batteux

Albert Batteux, l’inventeur du jeu à la Rémoise, a assisté à la partie et il se déclare enchanté par le spectacle. « Nantes constitue vraiment une belle équipe », constate-t-il. Inévitablement, on lui demande de comparer avec son ancien club : « Le grand Reims possédait quelques individualités plus marquantes mais Nantes est plus complet », répond-il. Le compliment est de taille quand on sait que le grand Reims a été deux fois finaliste de la Coupe d’Europe, en 1956 et 1959.

Le FC Nantes, lui, est donc qualifié pour la finale de la Coupe. Ses joueurs sont déjà rhabillés lorsqu’ils apprennent quel sera leur adversaire. A Marseille, l’autre demi-finale entre Strasbourg et Toulouse  s’est en effet prolongée au-delà du temps réglementaire et elle été émaillée de multiples incidents. 

L’Angevin Robert Devis qui garde le but de Toulouse a été expulsé en fin de première période et son équipe a fini par baisser pavillon. Ce sont donc les Alsaciens qui essaieront d’empêcher les Nantais de réaliser le doublé. Une finale qui devait permettre de faire un doublé mais qui malheureusement n'avait été favorable à nos couleurs. 

La fiche technique

29 avril 1966, quart de finale de Coupe de France.

A Paris (Parc des Princes) : Nantes bat Angers 3-0. 30.140 spectateurs. Arbitre : R. Machin. Buts de Gondet (29è, 74è), Simon (71è).

FC Nantes : Eon – Grabowski, Le Chénadec, Robin, De Michèle – Ramon Muller, Suaudeau – Blanchet, Gondet, Simon, Bako Touré. Entraîneur : Arribas.

Angers : Gallina – Grobarcik, Chlosta, Zénier, Bourdel – Poli, Dogliani – Pottier, Deloffre, Mouilleron, Stiévenart. Entraîneurs : Pasquini et Lacoste