Devenir propriétaire de son propre stade, un pari risqué

C’est une mode en vogue depuis quelques années. L’idée que pour devenir un club puissant, il faut forcément être propriétaire de son stade. Cette logique va de pair, avec la mutation que connaît le football depuis la fin des années 2000: la concentration des richesses a fait émerger une élite de clubs qui profitent de la mondialisation. Le « foot business », permis par l’augmentation des droits télévisuels et la libéralisation du marché des transferts, ont entraîné des profondes inégalités. De fait, aujourd’hui une des conditions pour exister et jouer un rôle dans le football moderne, est, la nécessité de posséder son propre stade. C’est pourquoi, pour la préparation de l’Euro 2016, de nouvelles enceintes sont sorties de terre à: Bordeaux, Nice ou Lille. Le dénominateur commun de ces stades, le partenariat public privé (PPP).
Cette méthode de financement équivaut, à confier à une entreprise privée, le financement, la construction et la gestion d’équipements, permettant d’assurer un service publique. En contrepartie, l’entreprise privée reçoit une rémunération (ou loyer) pendant toute la durée du contrat, de la part du partenaire public. Cette méthode permet, à termes, que les clubs deviennent propriétaire de leurs stades.

Ce modèle a permis à Arsenal de financer son nouveau stade, l’Emirates Stadium, toujours complet malgré des tarifs deux à trois plus chers que dans le reste de l’Europe. Cependant en France, après quelques années d'exploitation, les stades construits en PPP ne font plus rêver leurs concessionnaires. Taux de remplissage insuffisant, manque d’évènements externes au football pour remplir les tribunes, et parfois résultats sportifs décevants des clubs résidents, les déconvenues s'accumulent pour les exploitants privés.
Par exemple, "Vinci Stadium", plus gros gestionnaire de stade de football en France avec cinq stades gérés (dont le Stade de France), a connu une profonde déconvenue. En effet, le club du Mans a connu une liquidation judiciaire, seulement deux ans après la livraison de son nouveau stade: le MMarena, ce qui a obligé la ville du Mans, à prendre en charge une partie des remboursements du stade. Ou encore récemment, la suppression de 7 000 sièges à Bordeaux, au Matmut Atlantic pour pallier les faibles influences

 « Ce système permet de réaliser l’opération plus vite et, généralement, de s’assurer d’une meilleure qualité de l’ouvrage. Mais celui-ci est généralement surdimensionnée et revient plus cher que dans le cadre d’un emprunt classique. Sans compter une clause lié à l’aléa sportif vraiment disproportionnée ».                                                                                                                   Jean- Paul Gayant, professeur d’universités dans l’économie du sport.

Suite à ces aléas connus par les autres clubs de footballs professionnels français, le président nantais a décidé d’emprunter une nouvelle voie pour la construction de son nouveau stade: la création d’un stade suivie par la construction d’un quartier par un promoteur immobilier.

Un nouveau stade pour la famille « Kita »

À Nantes ce n’est un secret pour personne, Waldemar Kita , le président nantais, veut son propre stade. Et cette volonté ne date pas d’hier, elle a émergé rapidement après le rachat du club en 2007. En effet, 6 mois après son arrivée, l’idée de construire un nouveau stade avait déjà été évoqué: «pourquoi ne pas envisager la construction d’un nouveau stade ? » (Presse-Océan).

Depuis 2014, l’actuel PDG de la société « Vivacy » (société spécialisée dans les produits de médecine esthétique)  aurait rencontré Johanna Rolland à plusieurs reprises, pour inciter la maire de Nantes, de vendre la Beaujoire et les parcelles de terrains. Ainsi, un premier projet de stade pouvant accueillir 55 000 spectateurs avait été évoqué, avant d’être vite abandonné.
En septembre 2017, l’ancien propriétaire du FC Lausanne-Sport remporte son pari avec l’annonce de la construction d’un nouveau stade. Il n’est pas inimaginable que la réussite du projet lyonnais ai pu servir de modèle à Waldemar Kita (d’autant plus que les deux hommes entretiennent des bonnes relation). En effet, Le montage financier choisi par Lyon, pour la zone d’activité du Parc OL ( qui comprend le Groupama Stadium), n’utilise aucun argent public. Cet investissement 100 % privé était une première en France, avec 135 millions d’euros de financements propres et 250 millions d’euros d’emprunt à rembourser. En revanche, il a fallu quasiment une décennie et la pression de Jean Michel Aulas et du maire de Lyon, Gerrard Collomb pour voir ce nouveau stade sortir de terre.

Une affaire en plusieurs actes

 

  1. La beaujoire est morte, vive le yellopark !

L’idylle débute au milieu du mois de septembre 2017 (le 19 septembre 2017). Une première conférence de presse se déroule, où Johanna Rolland et Waldemar Kita annoncent avoir trouver un accord pour amorcer la création d’un nouveau stade. Ils sont aussi accompagnés de Yannick Joubert, PDG du groupe immobilier « Réalités ». En effet, l’annonce de l’émergence d’un nouveau stade, s’accompagne d’un projet immobilier (entre 1500 et 2000 logements), d’un projet d’activités tertiaires conséquents (ainsi que la possible création d’une maison de retraite, d’un groupe scolaire…) qui donnerait naissance à un nouveau quartier.

L’objectif martelé par Johanna Rolland est, qu’aucun argent public n’intervienne dans ce projet. C’est dans cet optique qu’est créé la société « Yellopark ». Cette société, propriétaire du stade, a été conçu spécialement pour le projet. La moitié de la société appartenant au groupe immobilier « Réalités » et l’autre moitié par la holding belge, détenue par Waldemar Kita, Flava Group. Cette déclaration s’accompagna aussi de l’annonce de la destruction de la Beaujoire, stade mythique du FC Nantes, conçu en 1984. La maire socialiste, prenant comme prétexte que: « les conditions de sécurité et les normes UEFA ne permettent plus aujourd’hui d’accueillir des grandes compétitions au stade de la Beaujoire », Une affirmation qui a semé le trouble mais qui a été vite démentie.
Pierre angulaire du projet, Thierry Braillard, ancien ministre des sports est devenue conseiller du FC Nantes dans le cadre du projet. Fervent défenseur du Parc OL, pour ce dernier, posséder son propre stade c’est: « une nouvelle façon de voir le spectacle sportif […] le principe est que plus on reste au stade, plus on va dépenser d’argent ».

Après la signature d’un protocole d’accord entre la Métropole et la société Yellopark, la saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) est intervenue. Cette instance a pour but d’informer les citoyens, et de faire en sorte que leur point de vue soit pris en compte dans le processus de décision des grands projets d’aménagement. Dans le cadre de cette commission, 12 réunions publiques ont été organisé pendant ces mois de concertations (21 février 2018 - 16 mai 2018). Avec 3 réunions publiques, 8 ateliers thématiques et 1 rencontre avec les marchés ambulants. Ces rencontres ont pour but l’intervention des autres acteurs qui font vivre le club du F.C Nantes (groupes du supportes, commerces ambulants…).  Et les riverains.

    2.  L’amorce d’un mega projet urbain

 

L’aventure Yellopark se poursuit avec une réunion publique le 29 mars 2018. Cette réunion a permis la présentation des projets architecturaux avec la présentation de la maquette du projet urbain. Ainsi, le stade modélisé par Tom Sheehan (architecte anglais qui a participé à la rénovation du Parc des Princes) est présenté. Doté de 8 façades concaves pour faciliter la circulation, d’une toiture fixe de 25 000 m2 pour protéger les spectateurs en cas de pluie, d’une capacité de 40 000 personnes avec un « kop » de 7 000 places (qui rappelle le mur jaune du Borrussia Dortmund) et d’un écran géant circulaire à 360 degrés. Toutes ces caractéristiques donnent au projet, la perspective d’une future enceinte ultra-moderne.

Des indications supplémentaires sont aussi apportés au projet immobilier mené par le groupe « Réalités », avec l’implantation d’une tour culminant à 120 mètres de hauteur, d’autres immeubles de 50/60 mètres de hauts. Et surtout, 2000 logements concentrés sur une dizaine d’hectare (une fois déduits des 23  hectares d’emprise foncière globale les surfaces consacrées au stade lui-même, à une école, un hôtel, une maison de retraite, 50 000 m² de bureaux…).
Le coût des projet est annoncé, aux alentours de 200 millions d’euros.Il est rappelé que le stade sera financé seulement par des fonds privés, sans aide public.
Mais cette réunion a pu aussi mettre en évidence les premières divergences. En effet, les acteurs du projet ont pu subir la fronde d’une partie des 300 personnes. Florian le Teuff, président de l’association à la nantaise, dénonçant: « une fausse concertation réduite à trois mois contre près de cinq ans à Lyon [en référence au Parc OL] ».

   3.  Une première scission

 

Le 9 novembre 2018, nouvelle conférence de presse et nouvelle surprise dans l’affaire Yellopark ! L’annonce pure et simple de l’abandon du projet immobilier qui devait accompagner la construction du stade. Cette décision paraît surprenante, même si elle intervient après des contestations de la part des riverains qui jugeaient le projet immobilier trop dense.Johanna Rolland en profite pour rassurer les supporters nantais en déclarant la conservation de la Beaujoire. Ces différentes décisions posent des nouvelles problématiques ? A savoir, le financement de la totalité du projet, annoncé à plus de 200 millions d’euros. Problème, la société Yellopark était détenue à 50 % au groupe Réalités.

Ou encore, la nécessité de nouveaux logements dont Nantes a de plus en plus besoin aujourd’hui. Eloignons-nous quelques instants du carré vert, pour se concentrer sur la Cité des Ducs. Nantes Métropole comprend aujourd’hui 610 000 habitants. La population est en constante progression depuis le début des années 2000. Les projections d’ici 2030 prévoit une augmentation de 70 000 habitants. Révélé par Médiacités, Le Programme local de l’habitat (2019-2025), document stratégique de programmation indispensable pour la politique urbaine d’une métropole, annonçait 6000 nouveaux logements. Dans ces perspectives, les 1500 logements qui accompagnait la création du stade (dont 375 logements sociaux) étaient inscrits dans le Programme local de l’habitat. Aujourd’hui, quid de savoir comment remplacer ces différentes projections.

Enfin, posséder deux stades aux normes internationales, à une quarantaine de mètres l’un de l’autre pose question. La perspective de voir la Beaujoire accueillir d’autres usages sportifs comme le Stade Nantais (club de rugby nantais actuellement en Fédérale 1), ne présentent pas les garanties financières, pour pouvoir supporter les charges financières d’un stade aussi important que la Beaujoire.
Les exemples similaires en France ne sont pas comparables avec la situation nantaise. Le stade Chaban-Delmas, accueille le club de rugby de l’Union Bordeaux-Bègles, équipe du Top 14 depuis 2011 qui attire en moyenne, environ 15 000 spectateurs chaque week-end. Avec une affluence d’environ 1500 spectateurs, La métropole de Nantes serait alors obligé de financer les coûts d’entretiens de l’enceinte. Finalement, un retour à la case départ pour Johanna Roland.

   4.  Fin du match et défaite du Yellopark !

Et le 25 février 2019, coup de tonnerre et clap de fin avec l’annonce de l’abandon de l’abandon du stade Yellopark. La fin du projet fait suite a des contestations venus des riverains, de certains élus et des supporters.

D’abord, avec l’absence de réelle alternative au projet Yellopark. En effet, l’absence d’appel d’offre a entraîné une absence de légitimité démocratique. La mise en concurrence n’aurait-elle pas permis de voir émerger d’autres projets portant les intérêts du FC Nantes et de la métropole nantaise ?
La vente des terrains a aussi fait couler beaucoup d'encres du côté de Nantes. La première mouture du projet mentionné une parcelle de 23 hectares. Cette dernière, fut évaluée à 10 600 000 €, par la « Direction nationale d’intervention domaniale ». Cependant, ni les données, ni les modalités de calcul n’étaient disponibles, se pose la question de la façon font a été calculé la valeur de la parcelle de terrain. On peut s’étonner q’un service de l’Etat ne rende pas public l’ensemble des données.
Concernant le projet immobilier, pour la première fois, la métropole avait confié l’édification d’un quartier entier. Habituellement, cette dernière a recourt à la procédure de ZAC (zone d’aménagement concerté).Elle permet de garder la maîtrise des opérations d’envergures et d’assurer un contrôle complet sur les programmes immobiliers et leurs prix de ventes.

En outre, le contexte national tendu avec la crise des gilets jaunes, a du peser dans la balance. Entre d’un côté, la défiance face aux classes politiques et de l’autre, la perspective des élections municipales de 2020. Les déconvenues judiciaires de Waldemar Kita ont permis à Johanna Rolland d’emprunter une porte de sortie rêvée. Enfin, l’annonce de l’ouverture d’une enquête pour « fraude fiscale », par le parquet national financier visant le président nantais, a scellé le destin du Yellopark. Déjà cité dans l’affaire des « Panama papers », où il est soupçonné de posséder une société aux îles Vierges. Il a aussi été mentionné dans l’affaire des « Football leaks ». Récemment, Waldemar Kita a annoncé dans le journal L’équipe saisir le tribunal administratif contre la Métropole nantaise. Il justifie son choix par le fait que, 12 millions avaient déjà été investi par le club avant que la Mairie se retire du projet.

Alors que le Yellopark devait être le symbole d’une union entre tous, cette union s’est transformée, au fil des mois en véritable champ de batailles.

 

Pour Yannick Joubert, un difficile retour à la     « Réalités »

Concernant Yannick Joubert et son Groupe «Réalités», l’idée d’associer un parc immobilier à un stade de foot est toujours présente. En effet, en juin dernier, le groupe de développement territorial fut choisie par le club du Red Star, après un concours organisé par la métropole du grand Paris, pour l’édification de sa nouvelle enceinte. Un projet qui rappelle le projet Yellopark comprenant un stade à l’anglaise, mêlant briques et ferraille, de 11 000 places et un programme immobilier incluant un centre commercial, des bureaux, un centre de santé, des espaces de santés...

Cependant en novembre dernier, retour en arrière de la part du maire de Saint Ouen, William Delannoy qui décide d’abandonner le projet:
« je ne peux pas me permettre d’implanter un projet aussi massif en milieu urbain » se justifie l’élu.  Alors que le projet avait connu des modifications pour s’adapter aux préconisations voulue par le maire (réduction de la capacité du centre commercial de 20%...). Nouvelle tentative est nouvelle échec pour Yannick Joubert. D’autant plus que entreprise avait déjà investi plus d’un million d’euros dans le projet. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, convaincue de subir une lourde injustice, le PDG de « Réalités » a décidé d’attaquer le maire de Saint Ouen devant la justice.

Quoi qu’il en soit, ce projet avorté est une nouvelle désillusion pour cette entreprise originaire de Saint-Herblain. Et montre que le football français a besoin d’autres solutions pour l’édification de ces nouveaux stades après les échecs successifs des partenariats publics-privés et des associations de club de foot avec des entreprises privées.

Et maintenant ?

 

L’ancien PDG de la société Cornéal, Waldemar Kita, a toujours été opposé à l’idée d’une rénovation de la Beaujoire, pourtant la rénovation du stade actuel des canaris pourrait avoir de nombreux côtés positifs. Déjà remise à neuve en 1998 pour la réception de la Coupe du Monde de football (pose de 15 000 sièges, modernisation de la sono…), puis en 2007 pour la Coupe du Monde de Rugby.

La Beaujoire répond aux normes internationales. D'ailleurs, elle accueillera les prochaines grandes compétitions internationales avec la Coupe du Monde de Rugby en 2023 (elle devra tout de même effectuer des travaux pour s’adapter aux cahiers des charges de la « World Rugby ». Ils sont estimés à 13 millions d’€), puis se trouve dans la short-list pour accueillir les matchs de footballs lors des Jeux Olympiques de 2024. Ensuite 36 ans, c’est l’âge de la Beaujoire. A titre de comparaison, la moyenne d’âge des derniers stades remplacés était de 78 ans. Soit des stades deux fois plus vieux !

Ainsi, un dossier a été conçu conjointement entre la Brigade Loire et le cabinet d’Architecte qui avait construit la Beaujoire, le cabinet Agopyan, pour former une alternative fiable au Yellopark. D’ailleurs, l’architecte de la Beaujoire n’a jamais été contacté par la métropole nantaise, pour trouver des solutions à la rénovation de la Beaujoire. On retrouve dans ce dossier des idées visant à moderniser la Beaujoire:
Doubler les « business seats », rénover les loges actuelles. Pour les joueurs, l’agrandissement des vestiaires. Ces éléments coordonnerait avec les normes « UEFA 4 », système de notation mise en place par l’UEFA (aujourd’hui la Beaujoire répond aux normes « UEFA 3 »). Le projet de rénovation expose deux solutions pour le renouvellement de la Beaujoire. La première consiste à seulement réhabiliter la Beaujoire aux normes voulues par l’UEFA (coût estimé entre 3,1 et 3,7 millions d’euros hors taxes). La seconde est plus couteuse (entre 29 et 34 millions d’€ hors taxes), mais coordonne plus aux attentes voulues  avec le projet du Yellopark.

Le dossier présente aussi différents types de financements pour respecter le souhait de Johanna Rolland, de ne mettre aucun argent public dans ce projet. Une dès solution est de réévaluer le loyer de la Beaujoire. Celui-ci est de seulement 150 000 € par an. Un loyer beaucoup trop faible. Cette redéfinition du loyer comprendrait une part fixe et une part variable liée au chiffre d’affaires du club, ce qui permettrait à la Métropole de profiter de ces nouvelles recettes pour moderniser le stade. Une autre possibilité, serait d’ouvrir l’exploitation de la Beaujoire à d’autres exploitants que le FC Nantes, dès la fin de saison achevée. Véritable institution, la Beaujoire est un symbole et est un lieu apprécié de tous. Reste maintenant à convaincre le président nantais, pas la plus facile des étapes…