Son début de carrière

En 1964, Jean Vincent arrête sa carrière de footballeur pro pour embrasser immédiatement celle d’entraîneur. Cette reconversion ne surprend personne. Ce meneur d’hommes n’a jamais caché son projet professionnel. Il affirme d’ailleurs « à 20 ans, je savais déjà que je finirai entraîneur ».   

Pendant trois saisons, il va apprendre, méthodiquement, son métier de coach dans le club amateur du SM Caen. Il part ensuite, en Suisse, pour entraîner le FC La Chaux-de-Fond qui opère en Nationale A. Une expérience compliquée puisque pendant trois saisons l’équipe se bat pour éviter la descente. Toutefois, en tant que coach il démontre sa ténacité. À son image, son équipe ne lâche rien. En 1971, il découvre le championnat de France de D1 avec le Sporting Club de Bastia. Une saison plutôt réussie sur le plan sportif mais un différend l’oppose aux dirigeants. Il quitte ce club au bout d’une seule année. Il rebondit au FC Lorient qui joue alors en Division 2. Il va passer à la satisfaction de tous quatre belles saisons chez les merlus. Passionné par le jeu du FC Nantes, il vient souvent assister aux matchs à Marcel Saupin. Il apprécie aussi la région, puisque à cette même période, il se fait construire une maison à Saint Brévin L’Océan. Toutefois, en 1976, il est loin d’imaginer qu’il va prochainement succéder à l’entraîneur qu’il admire tant : José Arribas.

 

Son recrutement au club

L’anecdote de son recrutement est assez cocace. Lors du stage d’entraîneurs de début de saison à Dinard, il apprend par Henri Guérin que son profil intéresse fortement le FC Nantes et que les dirigeants souhaitent le rencontrer dans les plus brefs délais. Facétieux de nature, il croît immédiatement à une plaisanterie. En effet, cette proposition est trop belle pour être véridique.  Son admiration pour le jeu pratiqué par les canaris est bien connue par tous ses confrères. Pour confondre ce qu’il croît être un canular, il va jusqu’à parier la dégustation d’un homard dans un bon restaurant. L’histoire retiendra qu’il a perdu son pari mais que le lot de consolidation était particulièrement appréciable. Surprenante coïncidence, Henri Guérin est à l’origine de sa venue au club comme il l’avait été, 16 ans auparavant, de celle de son prédécesseur.

Ce recrutement va se faire tardivement car les dirigeants pensaient voir José Arribas signer pour une année supplémentaire. Ils ont aussi tenté, en pure perte, de faire venir Branko Zebec l’entraîneur yougoslave. Robert Budzynski défend, pour sa part, l’idée qu’il faut confier l’équipe fanion à Jean Claude Suaudeau mais celui-ci est considéré par le Conseil d’Administration comme trop inexpérimenté. 

Henri Michel capitaine de l’équipe et dépositaire du jeu écourte ses vacances pour valider ce choix. Il décide, au même moment, de rester fidèle au club malgré une attractive proposition financière de l’Olympique de Marseille.

Dans son recrutement, un autre acteur va jouer un rôle important : Claude Simonet le vice-président du club. Amis de longue date, ils avaient joué ensemble en Equipe de France militaire.

Jean Vincent peut aussi remercier le président du FC Lorient qui voulut bien fermer les yeux sur le contrat moral qui le lie au club. En effet, il devait resigner pour 4 saisons. Autre époque, autres mœurs. Une telle pratique paraît difficilement envisageable aujourd’hui.

Jean Vincent se retrouve entraîneur du FC Nantes, à 46 ans, sans le moindre palmarès. Entraîner le FC Nantes, c’est sa part de rêve. D’ailleurs, il n’hésite pas à le dire à Louis Fonteneau le jour de la signature du contrat. En réponse, celui-ci lui rétorque que sa part de rêve à lui serait que le club gagne enfin la Coupe de France. Les trois échecs précédents sont vécus comme une malédiction.

Conscient de l’héritage qu’il doit assumer, Jean Vincent fait preuve, dès son arrivée, d’une grande prudence. Succéder au Basque n’est pas une tâche évidente. Il sait qu’il va devoir répondre aux attentes d’un public exigeant. Pas simple aussi parce que, pour certains supporters, la place d’entraîneur revient de droit à Jean-Claude Suaudeau. Il sait qu’il n’appartient pas au sérail et qu’il va devoir faire, rapidement, ses preuves. Ces premiers mots traduisent son état d’esprit « je prends une succession difficile, mais j’aurais tort de me plaindre. Mon souci est de rester dans la ligne tracée par José Arribas, d’entretenir l’enthousiasme dans la troupe et de lui inculquer un esprit gagneur ».

 

Ses premiers pas au club

La phase d’intégration n’a rien d’évidente parce que sa vision du football n’est pas totalement en phase avec, ce que l’on va appeler plus tard, le « jeu à la nantaise ». Albert Batteux a été son mentor. Celui-ci a décelé très vite, chez lui, un potentiel et il l’a encouragé dans sa vocation. Certes, c’est un partisan du jeu offensif mais sa culture du football privilégie davantage les talents individuels que la suprématie du collectif. Son modèle à lui, c’est le grand Stade de Reims.  

Toutefois, il analyse très vite le contexte du club et la qualité de l’effectif mis à sa disposition.  Il est impressionné à l’entraînement par sa marque de fabrique : cette formidable capacité à jouer ensemble. C’est pour lui une forme de révélation. Jean Vincent est un pragmatique. Il va avoir l’intelligence de s’adapter à la philosophie du club en respectant les principes du jeu. Il va savoir collaborer avec Guelso Zaetta, son adjoint, et avec Jean-Claude Suaudeau, alors entraîneur de l’équipe réserve. Dans l’histoire, on ne parle jamais assez de ce travailleur de l’ombre qu’était Zeppo Zaetta.  Pourtant, il joue un rôle essentiel dans la transmission du jeu et des valeurs du club. Il parle peu mais juste. Sa modestie est à la hauteur de son dévouement et de la confiance que lui accorde les joueurs.    

Le nouvel arrivant est très au fait des conditions de son recrutement. Il sait que ce choix ne faisait pas l’unanimité au sein de la structure. A posteriori, il faut lui reconnaître le mérite d’avoir trouvé sa place dans l’organisation en place. Miroslav Blazevic, quelques années plus tard, n’aura pas cette même capacité.

 

Sa prise de fonction

Le personnage a du talent et de la personnalité. Ce qui apparaît immédiatement à ses interlocuteurs, c’est sa décontraction. C’est de nature un communiquant. L’ambiance à l’entraînement conjugue rapidement travail et plaisir. Pour lui, ces deux notions sont indissociables. Joueur dans l’âme, il aime participer aux entraînements avec ses joueurs et démontrer, le cas échéant, qu’il lui reste, à son âge, une certaine habileté technique.

Son premier acte de management va être d’énoncer la règle suivante :  les meilleurs joueurs à l’entraînement seront ceux qui figurent sur la feuille de match. Pas de privilège ou de statut. Il faut reconnaître que cette décision est un peu facilitée par les événements puisque, pour le premier match de la saison, l’équipe est amputée de 5 titulaires. Toutefois, cette pratique s’inscrit dans la durée et bouscule, en profondeur, la hiérarchie établie. Chacun est prêt à saisir sa chance. L’émulation joue à plein. Les jeunes vont ainsi prendre confiance.

En début de saison, à la surprise générale le trio d’attaque est constitué par Bruno Baronchelli, Eric Pécout et Loic Amisse. Ils reviennent tous les trois des Jeux Olympiques de Montréal et sont physiquement en très grande forme. Mais cette titularisation ne va pas être un feu de paille : Robert Gadocha et Yves Triantafilos, qui sont les plus gros salaires du club, ne joueront ensuite dans la saison que les utilités. Cette même année, il y a aussi l’éclosion de plusieurs autres jeunes : Omar Sahnoun, Gilles Rampillon et Oscar Muller.

 

Sa conception du métier d’entraîneur

Jean Vincent n’est pas un théoricien du football. Il aime le jeu et la compétition. C’est un meneur d’hommes. Il a l’art de mettre en confiance et les joueurs se sentent à l’aise avec lui. Louis Fonteneau l’appelait le « rayon de soleil » car il est toujours de bonne humeur. Il sait convaincre et faire preuve d’humour.

Mais attention sa décontraction apparente ne fait jamais oublier son exigence et sa fermeté. Son autorité est réelle. Il décide vite mais prend le temps d’expliquer ces choix. Un joueur évincé a toujours droit à des explications. Dans les vestiaires, il n’hésite pas aussi à pousser son coup de gueule lorsqu’il estime que les joueurs ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités. Cette manière de faire tranche assez fortement avec les habitudes de son prédécesseur.

Jean Vincent considère que l’état d’esprit est aussi important sinon plus… que les qualités techniques. Il a rapidement décelé le potentiel d’enthousiasme de la nouvelle génération. Lui, c’est un battant et il attend chez ses joueurs ce même niveau d’engagement. A l’époque, le football évolue vers un jeu plus physique à l’instar de celui produit par les stéphanois. Il faut donc être en capacité de répondre à un tel défi. Entre l’efficacité face au but ou la recherche du beau jeu, son choix est vite fait. Et ce discours, comme un leitmotiv il aime le rappeler à l’entraînement. Il sait bien que sans la « grinta » son équipe ne sera pas capable de rivaliser avec la concurrence de l’époque. Ses choix seront d’ailleurs couronnés de succès puisqu’il va conquérir en juin 1977 dès sa première saison avec le FC Nantes le titre de champion de France avec 9 points d’avance sur le RC de Lens.  

Jean Vincent peut être fier de cette réussite. Il aime communiquer avec la presse mais il ne joue pas, pour autant, au cabot ou à la diva. En cela, il s’inscrit parfaitement dans l’esprit du club. Face aux louanges des journalistes, il reste toujours mesuré dans ses propos et aime à rappeler cette phrase devenue célèbre « vous savez ce sont les bons joueurs qui font les bons entraîneurs, jamais l’inverse. »

Nous vous proposerons lors d’un prochain article, de poursuivre la découverte de Jean Vincent à travers sa carrière au club et son remarquable palmarès. L’occasion de revenir sur quelques souvenirs truculents.