Sélectionné dans l’équipe du Continent (en 1955) pour jouer contre l’Angleterre, il était alors considéré comme le meilleur ailier gauche européen. Nous vous proposons de découvrir sa carrière de football mais aussi une personnalité attachante. Derrière sa gentillesse légendaire, se cachait en fait un battant hors pair.

Jean Vincent est né en 1930 à Labeuvrière, près de Béthune, en plein bassin minier. Il a été formé à l’US Auchel par Elie Fruchart, qui deviendra plus tard l’entraîneur du RC Lens et du Stade de Reims. En 1949, il est champion d’Europe junior. Il est connu pour ses crochets déroutants mais aussi pour sa vaillance. Malgré son jeune âge, il n’a besoin de personne pour se faire respecter sur le terrain, mais aussi hors du terrain.

Une anecdote illustre parfaitement sa personnalité. En 1950, Jean Vincent est sélectionné dans l’équipe de France amateur pour jouer, à Londres, contre l’Angleterre. Agé de 20 ans, il travaille comme employé au Service de construction des Mines. À son retour d’Angleterre, ce jeune joueur adresse, de sa propre initiative, une note de frais à la Fédération Française de Football. Il réclame le remboursement de ses quatre journées de travail perdues à cause du déplacement… ainsi que le paiement d’une prime de régularité dont toute absence à la mine faisait perdre le bénéfice.

Une telle démarche scandalise les dirigeants de la Fédération. En effet, cette requête ne s’appuie sur aucun précédent. Dans le football amateur, à l’époque, il n’est prévu aucun dédommagement financier pour les déplacements. Mais ce jeune joueur qui appartient à cette région minière rompue à la revendication syndicale ne veut pas entendre raison.  Il défend avec une telle conviction son bon droit qu’il parvient, au bout du compte, à obtenir gain de cause.   

Mais c’est bien sur le terrain qu’il se fait le plus remarquer. Recruté à l’été 1950, par le LOSC, il démontre à l’aile gauche, dès sa première saison, l’immensité de son talent.  Très rapide, il aime prendre l’espace. Sa grande force c’est l’action solitaire : lancé dans la profondeur, il est très difficile à défendre et se montre d’une grande habilité devant le but. Dès sa première saison, il est retenu pour jouer la finale de la Coupe Latine (ex Coupe d’Europe) contre le Milan AC.  Un match perdu 5 buts à 0. Dès l’année suivante, il devient l’un des atouts majeurs du LOSC. Son équipe enchaîne les succès avec la Coupe de France en 1953, le titre de champion en 1954 puis de nouveau la Coupe en 1955. Il forme un fameux trident avec Yvon Douis et un certain André Strappe… qui deviendra nantais quelques années plus tard.

En 1955, il met de nouveau en évidence son esprit de contestation. Le charmant équipier sait aussi défendre ses intérêts. Il fait grève avec deux autres joueurs pour s’opposer à une nouvelle réglementation. Là encore, cette manière de faire détonne avec les pratiques habituelles du football professionnel. Il faut savoir que les joueurs n’ont pas de pouvoir face aux instances et aux clubs professionnels. Il faudra attendre l’année 1961 pour voir la création de l’Union Nationale des Joueurs Professionnels (UNJP).  Aucune sanction ne sera prise contre lui par son club. Il était difficile d’en vouloir à ce joueur reconnu pour sa gentillesse et sa générosité. D’ailleurs, les supporters n’auraient pas accepté une telle décision.

Confronté à de grandes difficultés financières, Lille décide, en 1956, de le vendre sans son consentement au Stade de Reims. Son arrivée vient compenser le départ de Raymond Kopa qui rejoint alors le Real Madrid, champion d’Europe en titre. Just Fontaine fait partie aussi des nouvelles recrues. L’année suivante, arrive Roger Piantoni. La grande équipe de Reims est en place pour devenir une des meilleures équipes européennes. En 1958, le club est d’ailleurs irrésistible et remporte le titre de champion et la Coupe de France.

En finale de la Coupe, Dominique Colonna se blesse en seconde mi-temps. Les remplacements de joueurs n’existent pas. Jean Vincent se dévoue et prend sa place dans les buts.  Ce jour-là, contre Nîmes (victoire 3 buts à 1), il réalise un arrêt réflexe d’une seule main et évite à son club une fin de match compliqué. Cette histoire a contribué aussi à alimenter sa légende de personnage hors du commun.

Dans ce parcours, impossible de passer sous silence celui réalisé par l’équipe de France lors de la Coupe du Monde 58. Jean Vincent a été titulaire à tous les matchs. Il y a, évidemment, ce match mémorable perdu en demi-finale (2 buts à 5) contre le Brésil. Cette équipe brésilienne avec Vava, Didi, Garrincha et Pelé, est, encore aujourd’hui, vénérée dans son pays. Elle est considérée comme la meilleure équipe brésilienne de tous les temps. Les Français remportent ensuite le match pour la troisième place face aux Allemands (6 à 3) avec quatre buts de Just Fontaine. Rétrospectivement, il est difficile pour nous d’apprécier à sa juste valeur un tel exploit. Dans son histoire, c’était la première fois que la France brillait, à ce niveau, dans une compétition internationale.

Le Stade de Reims est alors au firmament du football européen. En 1959, il joue la finale de la Coupe d’Europe contre le Real Madrid de Di Stefano et de Kopa. Malheureusement, le club madrilène l’emporte deux buts à zéro. Dans la foulée, le français décide de revenir à Reims et sa présence permet de poursuivre dans l’hexagone la moisson des trophées avec deux nouveaux titres en 1960 et 1962.

Toutefois, toutes les belles histoires ont toujours une fin. Roger Piantoni et Just Fontaine n’arrivent plus à retrouver leur niveau suite à de graves blessures. Raymond Kopa est suspendu six mois à cause d’une altercation avec le sélectionneur Georges Verriest. Albert Batteux quitte le club et Jean Vincent en 1964 décide pour sa part d’arrêter sa carrière. C’est la fin de l’époque flamboyante du grand Stade de Reims.

Jean Vincent a été international à 46 reprises de 1953 à 1961. C’était un « taulier » en équipe de France puisque, à chaque fois, il a démarré le match comme titulaire. C’est un des premiers héros du football français puisque préalablement c’était le désert absolu au niveau palmarès. La suite n’a pas été glorieuse puisqu’il faudra attendre plus de deux décennies pour être en capacité de jouer les premiers rôles avec l’équipe de Platini.

Jean Vincent n’a connu que deux clubs dans sa carrière qui étaient alors les plus grands de notre championnat. Il laisse une trace indélébile à la fois par ses talents de football mais aussi par sa personnalité attachante. Le gentil garçon était aussi un farouche compétiteur. Un homme courageux qui ne se laissait pas impressionner.