Le plus bel été de votre vie

Le 12 juillet 1998, la France bat le Brésil en finale de la Coupe du Monde, 3 à 0. On se souvient tous où l’on était ce soir-là, en tous cas, pour ceux qui étaient nés à l’époque. Contrairement à 2018, le titre français est une extase infinie, tant il est inattendu, unique et, surtout, il est chez nous. Conséquence ? L’été 98 est une lune de miel entre tous les Français, les sourires sont présents partout, les 22 d’Aimé Jacquet passent encore et encore à la télévision. On parlera de l’héritage black blanc beur, mais on a oublié l’essentiel, c’est-à-dire à quel point 98 nous a tous donné envie de vivre heureux, tous ensemble.

Et à Nantes, la Beaujoire et la ville ont été mises en valeur : l’équipe d’Argentine, qui y établit ses quartiers, alla jusqu’à faire venir le Concorde à l’aéroport ! La transformation en immense plage de la cour Saint Pierre, derrière la cathédrale et jusqu’à la place Louis XVI, a attiré Nantais et touristes. Le Brésil fut d’autant plus à l’honneur que les Cariocas vont venir deux fois à la Beaujoire. Avant le match contre le Danemark, l’accès sud de la gare relâche des milliers de supporters, armés de jaune et de vert, de tambours et de bonne humeur. Le Brésil se prendra d’amour pour Nantes et le FC Nantes va retrouver une Beaujoire brésilienne, qui demande du beau jeu. Comme les Cariocas l’auront fait pendant France 98, les Nantais arriveront désormais sur le terrain en se tenant la main, avec le sourire et, eux-aussi, armés de jaune et de vert.

Un recrutement plus intelligent, un groupe plus complet

Après l’année de transition, sans ambition, la direction va se remettre en ordre de marche. L’an passé, certains cadres assuraient un fragile équilibre : Bruno Carotti, Jean-Michel Ferri, Jocelyn Gourvennec… les trois sont partis. Mais Denoueix a conservé toute sa bande de jeunes, et d’autres vont arriver. Les jeunes Yves Deroff, Charles Devineau, Samuel Fenillat, Sébastien Macé, Marama Vahirua, ainsi qu'un Nantais pur beurre, Pascal « le Squale » Delhommeau - tous issus du centre de formation ou à minima de la réserve nantaise - vont s’intégrer au groupe petit à petit. L’âge moyen de l’effectif va culminer à… 21 ans !

A ces jeunes pousses s’ajoute l’arrivée d’Antoine Sibierski, venu de l’AJ Auxerre, mais aussi et surtout de El Presidente, Nestor Fabbri. Le suivi de ce défenseur argentin aurait été décidé sous la proposition de... Burruchaga, dès les années 1980 !

Dès lors, l’effectif est cette fois bien garni. Denoueix confie à Landreau, à 19 ans, le brassard de capitaine. Devant lui, Fabbri, Decroix, mais aussi Gillet, Chanelet. Au milieu, Sibierski va pouvoir organiser le jeu et faire progresser autour de lui les Piocelle, Olembe, Carrière. Da Rocha et Savinaud, sont désormais des bons chefs de bande. Devant en revanche, c’est encore léger. Suffo, Touré ou encore N’Diaye ne vont pas réussir à peser suffisamment, ce qui amènera Denoueix à proposer un duo offensif inédit : Da Rocha et Monterrubio. Cela s’explique notamment par un second recrutement argentin qui, lui, ne va pas du tout convaincre…

En sport américain, le terme « bust » désigne un joueur recruté avec les plus hautes attentes et des certitudes sur son impact dans l’effectif et le jeu, mais qui ne répond absolument pas auxdites attentes : « He’s a bust » diraient alors les fans et recruteurs. Maintenant imaginez que vous êtes ce joueur, et que votre nom est BUSTos, Diego Bustos, avouez que vous êtes mal partis. Le recrutement de l’attaquant argentin qui devait prendre le rôle du leader offensif, est en effet la seule vraie ombre au tableau, tant le joueur et le personnage vont être fantomatiques au possible. A tel point que les supporters en ont fait aujourd’hui un mythe. La réalité, au-delà de la moquerie, est que Bustos sera une victime de blessures à répétition.

Confirmation sur le terrain :

Le premier match sera contre Marseille au Vélodrome, une équipe clairement armée pour un titre. Les Nantais abordent ce fameux maillot épais, jaune à trois bandes vertes, avec une énorme trame « enjaunée » pour laisser la place aux Synergie et Loxam, alors sponsors du club. Les Nantais porteront ce maillot pendant quatre saisons ! Et Nantes débutera il est vrai, un peu maladroitement, à l’image de ce ballon qui fait du billard entre Landreau, Fabbri et Savinaud avant de se faire botter derrière la ligne par l’Italien Ravanelli. Marseille s’impose sans discussion 2 à 0. Mais la mise au point arrive vite et Nantes ne va perdre qu’un seul de ses 7 matches suivants, se plaçant 3e dès le mois d’Octobre ! Denoueix fait confiance à sa jeunesse, et ses jeunes confirment : Olembe, Carrière, Gillet, Savinaud etTouré sont tous buteurs dans les premiers mois.

Mais le plus inattendu est la soudaine efficacité de ce duo Da Rocha-Monterrubio en l’attaque ! Deux garçons que l’on imagine plutôt aux ailes d’ordinaire, mais qui se complètent à l’avant. Il faut dire que Denoueix dispose d’un atout majeur : la jeunesse de son groupe lui permet de disposer des espaces latéraux avec beaucoup de rapidité. La capacité de Da Rocha et Monterrubio à couper les centres avec vitesse également, forme un très joli cocktail offensif. Et quand l’adversaire résiste, il invite les latéraux comme Chanelet à passer au-dessus des défenses pour lancer les accélérations.

Nantes est aussi de plus en plus serein sur les coups de pieds arrêtés : Christophe Le Roux et Antoine Sibierski sont d’habiles tireurs de pénalty et Fabbri est redoutable à la tête sur les corners. Un match référence : contre le champion en titre, le RC Lens. Tout le monde s’implique dans le jeu, Chanelet et Gillet, deux défenseurs, marquent. Nantes, bien que rejoint à 2-2, présente un très efficace travail de récupération et de relance rapide. Savinaud, lui aussi à l’arrière, et Monterrubio, crucifient les Lensois chez eux : 4-2.

Le retour du jeu à la nantaise ?

C’est un fait, Nantes s’amuse, Denoueix entend porter les valeurs du club sur le terrain. Et c’est évident que les Canaris sont plus sereins sur le terrain, plus dynamiques, volontaires. On voit petit à petit du toucher de balle plus instinctif, avec notamment le jeune Carrière qui se met toujours au bon endroit au bon moment.  A cela s’ajoute le leadership du jeune Landreau qui se met mieux en avant, devient également le capitaine de l’équipe de France Espoirs et, surtout, est adoubé comme le chouchou du public et l’image du club. Autre leader : Nestor Fabbri, qui gagne rapidement ce surnom d’El Presidente.

Mais une période moins propice va calmer les ardeurs de la jeunesse nantaise : Bordeaux, Monaco et Metz défont la bande à Denoueix, tandis que les Jaunes et Verts n’arrachent que le nul face à Paris, Le Havre et Montpellier. Le jeu à la nantaise, ça vient, mais il faut plus d’expérience, en lieu et place de cette positive arrogance de ce jeune groupe. Pour Grégoire Margotton cependant, qui commente à l’époque chez Canal, ces garçons sont bien les dignes héritiers de l’école nantaise.

Les Canaris termineront sur 3 victoires et un nul cette fin d'année, se plaçant 4e, avec notamment un doublé rageur de Da Rocha contre Bastia début décembre. Pour l’anecdote, votre humble rédacteur poussait alors ses premiers cris dans la Beaujoire ce soir-là.

 

 

Changement de président

A l’aube de l’année 99, Jean-René Toumelin, président du FCNA depuis 1996, est remplacé par Kléber Bobin. Bobin (décédé en 2014), va totalement associer le projet sportif au travail de Denoueix là où Toumelin avait eu pour mission d’assainir les finances du club et maintenir sa stabilité, quitte à vendre ses joueurs à contrecœur. Changement de direction oblige, peu de mouvement durant l’hiver, Christophe Le Roux rejoint Rennes, et laisse donc une place à prendre…

Et Nantes reprend sa route, dans le même enthousiasme, devenant parfois la petite sensation de la saison. Fabbri et Devineau ouvrent leur compteur buts pour le club, et Nantes enchaîne pour ne chuter qu’une seule fois en championnat après trois mois de reprise. L’affluence à la Beaujoire remonte largement au-dessus des 30 000 à 32 000 personnes et le binôme Da Rocha-Monterrubio continue de faire des émules. Le premier hargneux, émotif, intraitable et le second plus introverti, mais aussi silencieux que rapide et efficace.

L’ère Bobin s’annoncerait-elle avec une belle place en Europe ? Ou même… en Ligue des Champions ? Le duel Marseille-Bordeaux est historique tant les deux écuries se croisent sur les 1e et 2e places du classement, et il reste donc effectivement des spots à chercher pour les coupes d’Europe. Mais très vite, les Canaris vont baisser de régime, et ne ramener que par deux fois les trois points sur les onze derniers matches, terminant à une belle 7e place, bien qu'ils ont squatté la 4e ou 5e place les deux tiers de l’année… mais peut-être aussi que Denoueix visait un autre objectif.   

L’autre mission des nantais

Pour des clubs comme le Paris-Saint-Germain, Lyon ou Marseille, gagner une coupe de France était plus à l’image d’un « bonus », d’une victoire de prestige pour garnir les armoires à trophées. Mais pour Nantes, cette coupe était curieusement devenue un complexe, le défi le plus dur. Même les groupes champions, double champions, triple champions, les Budzinski, les Gondet, les Suaudeau, les Arribas etc. n’arrivaient jamais à conclure leurs épopées en coupe de France et échouaient encore et encore en finale, ratant le doublé coupe-championnat parfois… Et la seule coupe de France que possède le club en 1998 est celle de la glorieuse génération de Jean Vincent, qui l’a arrachée 4-1 après prolongations aux braves Auxerrois de Guy Roux, au bout du stress.

Sauf qu’en 1998-99, la petite ballade nantaise ne se limite pas au championnat. La coupe de la ligue est expédiée dès janvier par une défaite à Metz, mais la coupe de France, elle, donne soudainement ses faveurs aux Nantais. Cela commence par une victoire à l’expérience face à La Roche sur Yon, puis arrive le PSG. Le match est tendu et arrive aux tirs-au-but. Plutôt discret sur ce qui avait fait sa réputation depuis 1996, à savoir les pénaltys, Landreau se remet à jour sur cette épreuve et stoppe le tir de Jérôme Rodriguez, le seul raté de la soirée. Puis Metz tombera (3-1), puis Guingamp (2-0) et arrive la demi-finale contre Nîmes. Clairement, les Nîmois ne vont pas montrer le moindre signe de peur, et la partie reste tendue, jusqu’à ce que Savinaud, à la 74e minute, finisse par s’engouffrer, presque malgré lui, dans la défense varoise pour pointer la balle qui roule vers le fond du filet. Direction la finale ! 

Nantes au stade de France

Maudit soit le Parc des Princes qui accueillit tant de défaites en finale pour Nantes… Mais cette fois, c’est dans l’antre des champions du monde 98 que la partie va se jouer. Ce soir de Mai 99, le stade de France sera jaune et vert. Et en face d’eux, vingt ans après la finale contre Auxerre, c’est encore un club de D2 (futur D1) qui se présente : Sedan. Les Ardennais, à cette époque, c’est Sachy, Mionnet, et un certain Olivier Quint. Les Sedanais portent un maillot vert avec les mêmes motifs que l’équipe de France 98, un signe ?  

Clairement, la vaillance ardennaise est à l’image de l’esprit de la région. Les Verts font du mal aux Nantais, avec vigueur, et sans crainte. Mais les deux formations se neutralisent parfaitement. Vous les connaissez ces types de match, ceux qui se joueront sur un détail aussi insignifiant que conséquent. C’est alors qu’à la 56e, Monterrubio, évidemment, cherche Da Rocha, évidemment. Le centre du premier est bien placé et Da Roch’ va chercher la tête pour prolonger vers le but. Derrière lui, c’est le défenseur Borbiconi qui le marque de près. Da Rocha et son vis-à-vis ne stoppent pas leurs courses et le premier, manquant la gonfle, tombe vers l’avant. Jean-Michel Larqué commente sur l’instant « ah, plongeon là » et puis l’arbitre Pascal Garibian prend son sifflet « Oooh pas pénalty ! » rugit Larqué. Même Da Rocha regarde l’arbitre avec un certain étonnement. « Si Monsieur Garibian l’estime, c’est en son âme et conscience » résumera Thierry Roland.

C’est à Monterrubio que revient la charge de convertir le pénalty, ce qu’il fait avec sang-froid. Le coup de sifflet final retentit après de nombreux assauts ardennais et un arrêt tout aussi incroyable que décisif de Landreau à la dernière seconde. Le capitaine nantais, à 20 ans et un jour, va soulever la coupe de France, reçue des mains du Président de la République, Jacques Chirac !

Un bilan positif…vraiment ?

Raynald Denoueix, en deux saisons, a ramené un titre au FC Nantes ! Et quel titre ! Une coupe de France, soit le fameux sésame que ses compères de ses temps de joueurs peinaient tant à obtenir, ou n’ont même jamais obtenu. Denoueix était bien là aussi en 1979, et comme Henri Michel en 1979, Raynald est tout moustachu et souriant devant ce trophée. Mais clairement, le parcours nantais en coupe de France n’était pas un objectif affiché à la base, il s’est plutôt construit sur le temps et la victoire finale est entachée par ce seul but sur un pénalty plus qu’étrange. Mais l’essentiel est là : Nantes a gagné une coupe de France, le 9e trophée de son histoire, et le dernier du 20e siècle.

Au-delà de ça, le jeu proposé a été bon. Denoueix a su utiliser les atouts de son groupe à la perfection : la vitesse, la folie, l’insouciance, mais aussi le bon encadrement des vétérans comme Fabbri et Decroix. Ses paris sont réussis : Da Rocha et Monterubio sont devenus des buteurs affirmés, et Landreau est un vrai leader sur et en dehors du terrain. Mais est-ce qu’il ne faut pas s’inquiéter aussi d’un certain effet de surprise dans tout ça ? Est-ce que l’insouciance n’a pas caché l’inexpérience ? Car cette belle saison 98-99 éclipse des séries de six ou sept matches sans victoire. Face à une réussite aussi prématurée, n’est-ce pas le doute que Raynald Denoueix et son groupe vont devoir affronter désormais ?