Concernant l'incident à la Beaujoire

On sait bien qu’il faut se garder de toute conclusion concernant ce genre de scène, que la bête humaine qui sommeille plus ou moins en chacun de nous peut se réveiller à tout instant, pour des prétextes aussi futiles qu’un but dans une rencontre de football, il n’empêche qu’il était difficile de ne pas penser que la veille, à Nantes, un autre enfant avait été insulté et même, selon ses proches, quasiment agressé parce qu’il arborait un maillot de Marseille.

Tout n’est pas parfait en Espagne et dans d’autres pays, tout n’est pas noir en France et dans d’autres pays, y compris l’Angleterre où en écartant les hooligans de leurs stades les clubs ont plutôt déplacé qu’éradiqué le problème. Certains « supporteurs » se combattent toujours dans les divisions inférieures, aux abords des pubs ou dans d’autres endroits où ils peuvent déverser leur haine à l’abri des caméras. Il est clair cependant que la sécurité est à peu près revenue dans les stades de l’élite où les tarifs des billets ont provoqué un cruel tri social dans le public. On se gardera toutefois d’en déduire que ce sont les classes populaires et les chômeurs qui provoquent des bagarres, d’autant que le profil type du hooligan révèle plutôt que dans la vie de tous les jours il dispose souvent d’une bonne situation, même s’il a fâcheusement tendance à être estampillé extrême droite.

Quand on introduisait le vert dans la fruit

Un article de L’Equipe regrettait, trois jours après les incidents de La Beaujoire, « qu’on ne puisse pas afficher ses couleurs dans un stade ». On ne saurait que souscrire à cette opinion : oui, c’est inadmissible. Encore faudrait-il noter que le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Il était par exemple tout aussi délicat et périlleux pour un supporteur nantais de vouloir s’introduire dans les travées de Geoffroy-Guichard durant les années 1973-81. Et pourtant, à l’époque, on nous l’a souvent louangé « le merveilleux public stéphanois ». On nous l’a montré en exemple le fameux chaudron vert ! Mais c’était le ver que l’on introduisait dans le fruit. Et on se rappelle une réflexion de Robert Budzynski auquel un reporter demandait benoîtement ce qui différenciait le volcanique public stéphanois du difficile public nantais : « ce dernier est plus intelligent », avait-il dit. Mais tout le football français était d’accord : c’était l’exemple forézien qu’il convenait de suivre, c’était la passion qui était belle, même quand elle dépassait les bornes, même quand par exemple le gardien du Dynamo de Kiev, bombardé d’insultes, de projectiles, de crachats avait eu, dans ‘’l’enfer vert’’ beaucoup de mal à demeurer sur sa ligne. Allons, on n’allait tout de même pas plaindre un Ukrainien qui avait pris trois ballons dans le coffre !

Beaucoup de questions

Mais revenons aux incidents de Nantes-Marseille où le journaliste de L’Equipe souligne que c’est la deuxième fois en peu de temps que des supporteurs phocéens, se servant d’un enfant pour support, sont victimes d’incidents. Cela ne saurait expliquer ni surtout excuser ces derniers mais est-ce une simple coïncidence ?

Le quotidien de sport interviewe le beau-frère du supporteur sans préciser comment il a procédé. Est-ce le journaliste qui a trouvé le beau-frère ou le beau-frère qui a contacté le journaliste ? Un beau-frère qui, notons-le au passage, ne parle pas de la riposte (insultes) du père de l’enfant, évoqué par un supporteur nantais.

La suite de l’histoire est un peu à l’avenant. La Ministre des Sports a affiché sa « solidarité » en dénonçant « des violences indignes ». On peut penser que c’était la moindre des choses, on peut aussi se demander si, alors que dans une autre affaire, concernant un joueur de rugby, elle est accusée d’hypocrisie, elle n’aurait pas dû attendre les conclusions de l’enquête. S’il y en a (des conclusions).

On nous dit aussi que le FC Nantes va déposer une plainte. D’accord, mais contre qui ? X ?  Les stadiers ? Les cracheurs et les auteurs d’insultes puisqu’il semble  que des deux côtés (avec plus ou moins de véhémence) on ait échangé de la salive.  Il faudrait aussi savoir si le club est totalement indépendant des stadiers et des compagnies auxquelles ils appartiennent. On assure ainsi que la société Evan Safety avait renoncé à envoyer 20 stadiers. Mais ces stadiers défaillants avaient-ils été remplacés ou non ? Et dans le cas où c’est non qui est responsable de ce manque ? La société qui n’a peut-être pas respecté un contrat ? Le club qui n’a pas pallié ce forfait ? La Ligue qui a laissé démarrer un match avec une insuffisance de sécurité ?

Sur les stadiers il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire. Sont-ils bien formés ? Quelles sont les consignes qu’ils reçoivent ? Sont-ils habilités à effectuer des interventions outrepassant leurs fonctions ? Sur les incidents du match contre Marseille, certains peuvent apparemment être accusés de non-assistance à personne en danger. Mais ils auront vite fait de répondre que les supporteurs violents n’ont apparemment pas franchi le grillage délimitant leur zone et un bon avocat en conclura vite que la victime a été victime de sa peur et non de violence. Ce qui n’empêche évidemment pas qu’il est primordial de porter aide à quelqu’un victime d’un malaise. Ce qui n’empêche pas non plus de comprendre cette peur tant, parfois, les supporteurs font penser à des fauves.

Les supporteurs que les clubs ont voulus

Et c’est là qu’il faudrait poser les vraies questions. Le football français (mais il n’est pas le seul, qu’il se ‘’rassure’’) n’a-t-il pas les supporteurs que ses clubs ont voulus, toujours, tolérés, trop souvent, formés même, parfois. A force de sanctifier le résultat, d’affirmer qu’il n’y a que ça qui compte, les trois points, on oublie le spectacle. On conditionne les gens pour faire pression sur les adversaires, on les applaudit quand ils les insultent, on admet qu’ils viennent au stade complètement dépenaillés, torses nus en plein hiver (c’est tout juste si là la télé, on ne les applaudit pas, un peu moins toutefois depuis que les consultants ont pris le pas sur les journalistes, ce qui  n’est guère gratifiant pour ces derniers). On admet d’ailleurs, on s’en félicite même à l’occasion, que ce spectacle se soit transporté du terrain aux tribunes, et à Nantes particulièrement où longtemps justement ce qui se passait sur l’aire de jeu était autrement plus palpitant que les événements des gradins.

On compte sur le fameux 12e homme, on s’efforce de soutenir véhémentement ses couleurs sans réfléchir sur la façon de jouer. Cette foule, on voudrait la manipuler, les dirigeants souhaitent qu’elle soutienne tout le monde les yeux fermés, y compris  le président même s’il est critiquable et qu’elle l’apprécie peu. Au besoin, pour essayer de diriger les réactions, on embauche des directeurs de sécurité qui ne sont pas toujours irréprochables, y compris aux yeux de la police des polices, et on voudrait, au bout de tout ça, de toutes ces scories, que le public comprenne, tout seul, qu’il y a une limite à ne pas franchir. Mais cette frontière, c’est le fil d’un rasoir, parce qu’une foule, depuis l’obscurité des temps est facile à manipuler et difficile à contrôler.

Ce ne sont pas des dirigeants plus ou moins complices, ce n’est pas une Ministre aux aguets de ce qu’elle pourrait twitter, ce ne sont pas des associations de supporteurs qui marchent sur des œufs et s’appliquent à se donner de plus en plus d’importance (mais elles ont raison : les joueurs et les présidents sont moins fidèles que les spectateurs), ce ne sont pas des gens qui excitent ou défient les autres, ce ne sont pas des stadiers qui bravent des dangers excessifs pour des gains dérisoires, ce ne sont pas les médias qui font défiler l’actualité des incidents, une fois à Ajaccio, une fois à Nantes, une fois ailleurs, puis tournent la page, ce n’est sans doute même pas la justice qui possèdent la solution. Peut-être tout simplement n’existe-t-elle pas, sauf à fouiller au tréfonds de l’âme humaine, ce qui suppose bien des études. Reste pourtant, pour en revenir aux propos du début : pourquoi ce qui est possible (pour l’instant, méfions-nous) dans un stade, dans un pays ne l’est pas dans d’autres ? Le football français a, au fond, le public qu’il mérite et ce n’est pas forcément rassurant.