Comment est né ce projet d’écrire un livre sur José Arribas ?

En fait, j’habite dans le sud de la Sarthe et je suis très intéressé par l’histoire des territoires. J’ai eu l’occasion préalablement de co-écrire un guide sur Le Mans et de créer un jeu de 7 familles en patois sarthois, et j’ai publié plusieurs ouvrages sur le développement territorial par la mobilisation des habitants et des ressources locales. 

C’est ainsi que j’ai pensé assez naturellement écrire ce livre sur José Arribas qui reste un mythe dans la région. Il ne faut pas oublier que le début de sa belle histoire d’entraîneur commence à Noyen-Sur-Sarthe. Cette petite ville de 2 000 habitants se situe à 30 kms du Mans et à 20 kms de Sablé sur Sarthe. C’est là qu’il va apprendre son métier et élaborer sa vision du football. Il restera dans ce club de 1954 à 1960 et il va lui permettre d’accéder à la Division d’honneur.

Personnellement, n’étant pas un expert du football, c’est la dimension humaine de son aventure qui m’a plus particulièrement intéressé. J’ai voulu retracer son parcours de jeune réfugié basque et comprendre ses motivations. C’est en rencontrant Suzanne Arribas, son épouse, que j’ai découvert qu’il y avait, en même temps, sur ce sujet un autre ouvrage en préparation. C’est celui de Bernard Verret. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre car je pensais que les 2 livres seraient forcément différents. Aujourd’hui, le constat que l’on peut faire c’est que les deux ouvrages sont plus complémentaires que concurrents.

 

Pour écrire ce livre, il a été nécessaire de rentrer dans l’intimité de José Arribas. Au bout du compte, qu’est-que vous a le plus surpris ou étonné dans sa manière d’être ?

Il y a, je crois en premier lieu son côté perfectionniste. C’est un artisan qui aime en permanence comprendre et améliorer ce qu’il est en mesure de proposer aux joueurs. Il prenait en permanence des notes sur des petits carnets pour analyser et garder en mémoire ses constats et découvertes. Les carnets concernant la période de Noyen-sur-Sarthe existent encore et ils sont la propriété du Musée du FC Nantes. Il analyse chaque match, chaque joueur. Ce qui est dommage, c’est qu’il a brûlé les notes concernant son passage au FC Nantes.

Un autre aspect de sa personnalité est son indépendance d’esprit. Il est inclassable. Sa conception du football est, à l’époque, aux antipodes des théories prônées par Georges Boulogne, la Fédération Française de Football ou bien encore le journal L’Equipe. La pensée dominante valorise le jeu physique et défensif. Pour sa part, il mise sur la technique et le jeu offensif.

Il faisait son miel de toutes les rencontres et lors d’une interview en 1977 il va surprendre les journalistes en affirmant que sa source d’inspiration principale fut Georges Boulogne. José Arribas est un homme de dialogue. Tous les deux partageaient en commun cette passion de la formation et cela explique pourquoi ils vont être ensemble à l’origine de la création du syndicat des entraîneurs.

En troisième lieu, ce que je retiens aussi c’est sa force de persuasion. Dans la relation, il faisait l’unanimité. Je raconte dans le livre une anecdote concernant ce talent particulier : à Noyen-sur-Sarthe, il est parvenu à convaincre le prêtre de changer l’heure du catéchisme pour libérer un créneau horaire pour l’entraînement des jeunes. Toutefois, sa plus grande performance a été celle de convaincre Jean Clerfeuille de le choisir comme entraîneur du FC Nantes. Dans le milieu du football, c’était un quasi inconnu et il y avait de nombreux prétendants. Bien des années après, le président n’avait toujours pas de réelle réponse pour expliquer son choix. Il disait l’avoir embauché en 10 minutes, pas une de plus… car il se trouvait face à une personne qui parlait de football avec passion et qui, par ailleurs, n’accordait pas beaucoup d’intérêt aux conditions salariales de son recrutement.

 

José Arribas est un personnage atypique et on découvre à travers ce livre que le club l’est aussi…

C’est vrai que comprendre l’histoire de l’histoire et analyser les relations humaines aident à comprendre la complexité de son intégration au club. En 1943, il faut savoir que ceux qui sont à l’origine de la création du club viennent d’horizons complètement différents : on va retrouver des patrons et des syndicalistes, des catholiques et des laïcs, et des collaborateurs. Toutes ces personnes ont dépassé, en temps de guerre, leurs divergences politiques et idéologiques pour se retrouver d’accord sur un même projet : créer à Nantes un club professionnel de football.

Le club fut financé à l’origine par l’argent de la collaboration mais il est intéressant de découvrir que deux réfugiés politiques vont rapidement en devenir des personnages importants. Il y a José Arribas qui a été dans l’obligation, lors de la guerre civile en Espagne, de quitter Bilbao pour fuir le franquisme et puis aussi un certain Antoine Raab.

Cette personne était capitaine de l’équipe nationale junior de l’Allemagne et lors d’un match international il refusa de faire le salut nazi. Il était venu se réfugier à Nantes et son histoire va se confondre, avec celle du club, pendant plus de deux décennies. Il a joué au football en professionnel pendant quelques années avant de devenir entraîneur à deux reprises… puis directeur sportif en charge du recrutement. C’est souvent oublié mais il est, en titre, le premier directeur sportif du club.

L’histoire retiendra que José et Antoine étaient deux réfugiés politiques partageant la même aversion du totalitarisme… mais qu’ils ne sont pas parvenus à s’entendre sur une vision commune du football. 

Il est vrai qu’à l’époque la conception de football proposée par José Arribas était particulièrement atypique et à contre-courant des pratiques habituelles. Le recrutement préconisé par lui avec des joueurs locaux pratiquement inconnus n’avait, par ailleurs, rien de rassurant sur le plan physique. A l’attaque, il y a Gondet (1,73 m), Simon (1,72 m) Santos (1,70 m) et Blanchet (1,67m). Les autres recrues telles que Jean-Claude Suaudeau ou Robert Budzinski ne disposent pas non plus d’une stature impressionnante.

Le livre montre que les débuts au sein du club furent compliqués avec notamment le 10-2 à Boulogne et le 0-4 à Nantes contre l’ASSE. José Arribas face à cette situation aurait pu remettre en cause ses convictions. Il n’en fut rien. Il faut reconnaître du mérite au  président Clerfeuille car celui-ci dans un contexte difficile lui accorde le temps de mettre en place ses idées et son équipe.

 

C’est ainsi que José Arribas va transformer l’histoire du club et devenir le grand bâtisseur du FC Nantes…

L’histoire permet de mieux comprendre ses valeurs personnelles et comment celles-ci influencent sa vision du football. Ce jeu qu’il façonne, au fil du temps, à travers cette volonté permanente d’apprendre. Cette préoccupation qu’il a de préparer l’avenir en investissant dans la formation. En fait, il innove dans plusieurs domaines : le style de jeu, les méthodes d’entraînement, la préparation physique, l’organisation du club, les équipements. La Jonelière c’est sa création.

C’est un bâtisseur et un pédagogue puisque l’on voit bien que cette philosophie du jeu va être ensuite reprise, avec succès, par Jean Claude Suaudeau et Raynald Denoueix. Ils vont être en mesure de faire vivre les grands principes du jeu à la nantaise et de les adapter aux évolutions du football.

 

En pensant évidemment à la période actuelle, en quoi cela a du sens de cultiver une mémoire et une identité de club ?

Il est important de montrer une vie sportive non limitée aux résultats dans les compétitions, porteuse d’identité, de lien, de valeurs, et de tirer vers le haut une pratique qui montre parfois chez les diverses parties prenantes (joueurs, dirigeants, supporters, médias) des comportements médiocres. José Arribas incarnait parfaitement cette manière de penser et d’agir. C’est son héritage. Le souci d’excellence ne se limitait pas au seul résultat, ni même au football.

Le passé aide à construire l’avenir. Tout projet de développement du club doit prendre en compte et intégrer les fondements de l’histoire du FC Nantes, c’est-à-dire ce que nous pouvons appeler les mythes fondateurs (et notamment l’élaboration du “Jeu à la nantaise à partir du début des années 60). Ne pas le faire… c’est gâcher une source d’inspiration et de motivation, c’est prendre le risque de courir à l’échec.

Le management du club doit l’intégrer pour conduire les mutations à venir et renouveler le sentiment d’appartenance fondé sur des communautés et des territoires aux dimensions réinventées. Dans la situation présente, c’est le challenge auquel le FC Nantes est de nouveau confronté.

 

Voici un lien vers le site de l'éditeur du livre « José Arribas la fabuleuse histoire du football à la nantaise ». Cet ouvrage fait le lien entre l’histoire du club, ce qu’elle nous apprend de la réussite et les enseignements que nous pouvons en retenir pour le football d’aujourd’hui. Il nous rappelle ô combien la réussite d’un club repose avant tout sur la qualité des relations humaines.