Le Football Club de Nantes a toujours misé sur sa formation pour travailler son jeu et ainsi obtenir un palmarès haut de gamme. En 1989, il est déjà six fois champion de France, a gagné une Coupe de France, et a été demi-finaliste de la Coupe d’Europe. Les grands noms de Canaris devenus internationaux ne se comptent plus ; les doigts de nos deux mains ne suffisent pas !

Choisir entre un homme et un club

En cette fin des années 80, les temps changent, et d’autres clubs français commencent à copier ce qu’il se fait à l’étranger : construire son équipe à coups de millions de francs. C’est le cas de Bordeaux et de Marseille, qui possèdent des dirigeants au profil de "chasseurs de têtes".

Alors, comment rivaliser avec ces grosses cylindrées quand l’argent est nécessaire à la réussite, et que le tout jeune président des Canaris (depuis trois saisons) tente de prendre un virage plus énergique économiquement ? Qui plus est, alors que le déficit du Club est à vingt millions de francs depuis 1986 ? Comment s’adapter au stade de La Beaujoire, qui, aux dires de certains joueurs, est "un échec de structure, car on aurait dû faire un stade à l’anglaise, comme l’est le stade Marcel Saupin…Ce stade n’est pas fait pour nous…. A Saupin, ce serait six points de plus par saison…". Bref, comme quoi il est facile de se plaindre de choses qu’on ne sait pas bien utiliser !

En novembre 1984, en pleine saison, de concert avec son comité directeur, le président Max Bouyer prend la décision de vendre l’un de ses joyaux, capitaine de l’effectif, à Bernard Tapie, président de l’Olympique de Marseille : "Vendre c’est choisir entre un homme et un club".

Devant les journalistes, le président a du mal à retenir ses larmes de rancœur, mais explique : "En vendant Deschamps, je sauve la pérennité du Club. Si je ne le fais pas aujourd’hui, je suis sûr à 80% que Nantes n’aura plus de club en 1ère division dans les cinq ans à venir".

"En reprenant le Club, il y avait un passif de 20 millions de francs ; l’OM me propose 17 millions pour Deschamps…J’assure l’avenir". Il ne faut pas oublier également que ce départ arrange les instances politiques locales, que ce soit la mairie ou le conseil général.

La moralité du football

Le maire, Jean-Marc Ayrault, y va de son communiqué officiel, regrettant le départ de Deschamps, mais constatant (à juste titre) que les subventions municipales ne sont pas extensibles, et que la "politique" mené par Monsieur Tapie n’est pas sa tasse de thé… : "Le salaire de Deschamps va se multiplier par cinq du jour au lendemain… Le Club ne peut pas suivre cette spirale du "fric" dans le foot français…".

Le lendemain de l’annonce, la parole est donnée au vice-président du conseil général, Edouard Landrain : "Interrogeons-nous sur la moralité du monde du football, quand on voit, en cours de saison, partir un joueur pour un club dont le seul mérite est de savoir manier l’argent…". Et de rajouter en haussant le ton : "Quelle ironie du sort qu’un ministre socialiste soit venu les jours derniers inaugurer le centre de sport de haut niveau, à La Jonelière, vantant les mérites de la formation, et que ce soit un président de club de même sensibilité politique que lui, qui dépouille ainsi un club formateur et honorable". Fermez le ban !

Au-delà de toutes ces considérations politico-financières réelles, il est un homme, le joueur, qui accepta de quitter son club formateur, non sans regret en cours de saison mais grandement satisfait de trouver un club plus ambitieux. De plus, son départ tomba à moins de sept jours d’un match Nantes-Marseille au stade de La Beaujoire ; il exprima le souhait diplomatique de ne pas jouer contre son Club de cœur, …à condition que son nouveau président fut d’accord (!).

Le 25 novembre 1989, l’OM vint fouler la pelouse de La Beaujoire, avec dans son effectif, un milieu de terrain nommé Didier Deschamps.

Celui qui avait été présenté, à grand renfort de communication estampillée "Canarimania", comme le "Capitaine de Nantes 92, porteur de la Coupe d’Europe", sera détenteur de cette Coupe… mais avec Marseille.