« À la poursuite de la vérité ». Avant même d’entamer la lecture du livre, Harry Harris dédicace son ouvrage à la recherche d’éléments qui pourraient nous aider à mieux comprendre ce qui est arrivé à Emiliano Sala. Bien qu’un an après une première explication sur les circonstances de sa mort ait été dévoilée, de nombreuses zones d’ombres restent encore à éclaircir. Après une présentation d’Emiliano Sala, Harry Harris entre dans le vif du sujet et explique comment, malgré le refus du joueur, le transfert de Nantes à Cardiff a fini par être acté.

Willie McKay, l’élément déclencheur

Le premier nom qui revient – souvent – dans la transaction est évidemment celui de Willy McKay. Businessman écossais, il gagne son pain en jouant les intermédiaires lors des transactions footballistiques. En d’autres termes, il est une sorte d’agent, de consultant qui facilite les transferts en échange d’une commission. Il est d’ailleurs intervenu dans les transactions de plusieurs joueurs en France et en Angleterre, comme Joey Barton lors de son transfert à l’OM, Pascal Chimbonda ou encore El-Hadji Diouf et Habib Beye.

Pourtant, sa qualité d’agent n’est plus reconnue en France ni outre-Manche. Après des histoires de fraude sur certains transferts, Willy McKay n’est plus habilité à représenter des joueurs. En 2008, l’Écossais « a été banni par la Fédération anglaise après avoir brisé les règles de transfert lors de la vente de Benjani d’Auxerre à Portsmouth, puis de Portsmouth à Manchester City », explique Harris. En effet, il est interdit aux agents d’être au service de deux clubs différents dans deux transactions consécutives pour un seul et même joueur.

Comme si cela ne suffisait pas, Willy McKay n’est plus autorisé à être le directeur ou le propriétaire d’une entreprise depuis 2015 sans l’accord d’un juge. Cette suspension de cinq ans devrait prendre fin en cette année 2020. Mais aucun problème, son fils Mark est lui aussi dans le business puisqu’il est le dirigeant de Mercato Sport Ltd, une compagnie spécialisée dans le transfert de sportifs de haut niveau. Willy McKay ne joue donc que les « consultants ». Alors, quand il voit qu’Emiliano Sala marque douze buts lors de la phase aller de Ligue 1, l’Écossais saute sur l’occasion. Et, à défaut de pouvoir entrer en contact avec Meissa N’Diaye (l’agent de Sala), il va directement envoyer un email au joueur.

« Emiliano, Je m’appelle Willie McKay. Nous ne sommes pas intéressés par tes affaires personnelles ; les finances, les vacances, le baby-sitting, ce n’est pas notre business. Nous faisons des transferts ! Nous avons approché Nantes, comme nous le faisons avec de nombreux joueurs dans d’autres clubs, pour obtenir le mandat de vente. Nous ne cherchons pas à doubler les agents des joueurs, certains sont très contents de travailler avec nous, d’autres deviennent très jaloux et protecteurs. Avec tout leur baratin, genre il est comme un frère pour moi, il est comme un fils… En réalité, si tu n’es pas footballeur, ces gens n’en ont rien à faire de toi. La vérité, c’est qu’il n’y a que l’argent qui les intéresse. Parce que c’est ce qui nous intéresse tous. C’est pour cela que nous aimons travailler avec des clubs ! Pas de sentiment, simplement du business ! »

Willy McKay termine sa lettre en insistant sur le côté médiatique et la tournure que pourrait prendre la carrière d’Emiliano Sala s’il rejoignait la Premier League. « D’après mon expérience, si tu n’essaies pas la Premier League maintenant, tu le regretteras. On a dit que tu ne voulais pas aller à Cardiff. C’est probablement de notre faute, c’est nous qui avons dit dans les médias que d’autres clubs étaient intéressés (West Ham, Everton, etc.), pour créer un intérêt autour de toi. C’est comme ça que nous procédons, et cela peut être mal compris par le joueur. Mais sans cela, la plupart des gens ne te connaîtraient pas, parce que personne ne suit la L1».

Willie McKay, le manipulateur

Comme il le dit dans sa lettre, Willy McKay avoue avoir truqué le marché pour faire monter la côte du joueur (et par la même occasion avoir une plus grosse commission). Mais à l’origine, aucun club de Premier League n’avait de réel intérêt pour Emiliano Sala, du moins pas pour le prix qui en était demandé. Harry Harris a contacté plusieurs clubs mentionnés par Willy McKay dans sa lettre.

Le co-propriétaire de West Ham, David Sullivan, lui a répondu. « Nous étions intéressés, mais le prix était beaucoup trop élevé pour un joueur qui n’avait effectué qu’une seule bonne saison. (...) J’ai demandé au co-président à combien il aurait évalué Emiliano Sala. La réponse était de 8M£, pour le risque encouru ». Du côté de Burnley on évoque « aucun intérêt » et « juste un joueur mis en avant par son agent comme 2000 autres ». Tandis qu’à Fulham, une source du club avoue à Harry Harris qu’il s’agit « d’une pure invention mise en scène par les agents ». McKay a donc fait jouer les rouages médiatiques et ses relations dans le football pour réussir à transférer le joueur, malgré le faible intérêt qu'on lui portait. Pourtant, dans le contrat d’agent réalisé avec le FC Nantes publié dans le livre, Mercato Sport Ltd, représentée par Mark McKay, il est précisément indiqué que « plusieurs clubs de Premier League ont exprimé leur désir d’obtenir le joueur par un transfert définitif pour la saison 2018/2019 ».

Dans un article du Telegraph rédigé par Ben Rumsby et Tom Morgan (qui ont contribué à l’enquête), paru le 24 février 2019, Willy McKay est défini de la façon suivante : « Son modus operandi est simple : dénicher les meilleurs talents en France et trouver un courtisan fortuné en Angleterre ». Et cela tombe bien, puisqu’il connaît très bien l’entraîneur de Cardiff de l’époque, Neil Warnock. À ce moment de la saison, Cardiff City est en mauvaise posture en championnat et cherche absolument un buteur pour se renforcer. Tout roule donc pour McKay qui présente quelques vidéos du joueur à Neil Warnock.

Forcément, l’abnégation et le sens du but d’Emiliano Sala séduisent immédiatement l’entraîneur du club gallois. Il voit en lui un esprit et un style qui correspondent parfaitement à ses attentes. Et malgré la proposition d’autres joueurs par ses scouts, Warnock ne jure désormais que par Sala : c’est lui qu’il veut. McKay tient son jackpot.

Le président de Cardiff ne voulait pas de Sala

Si cela ne tenait qu’à lui, Warnock aurait signé directement Emiliano Sala, mais encore faut-il avoir l’accord en amont de la direction. Mehmet Dalman, président de Cardiff, n’est pas très emballé par la venue du joueur. Et pour cause, il connaît les rouages du football et de ses agents. Loin d’être naïf, celui qui au départ est fan de Manchester United a flairé le plan de McKay dans les médias et ne compte pas surpayer pour un joueur qui n’avait encore jamais été mentionné dans la presse deux mois auparavant.

En effet, Dalman considère que 20M£ sont bien trop pour un joueur qui n’a effectué qu’une bonne demi-saison. D’autant plus qu’à ce moment-là, des discussions avec Troy Deeney sont en court. L’attaquant de Watford, bien plus connu en Angleterre, pouvait rejoindre les Blue Birds pour moitié moins d’argent, et malgré un salaire de 100 000£ par semaine, il aurait été moins cher que l’ensemble de la transaction d’Emiliano Sala. Tout cela sans compter que, selon les propos de Harris, Nantes est à court d’argent et souhaite vendre son joueur rapidement, en plusieurs gros paiements aux échéances restreintes.

Pourtant, lorsque le comité de vote, composé de quatre membres exécutifs, a voté en faveur du transfert, l’un d’eux n’avait tout de même pas donné son accord : Mehmet Dalman. C’est la première fois, depuis sa prise de poste, que le président du club se prononçait contre un transfert lors d’un vote du comité.

Emiliano Sala ne voulait pas aller à Cardiff

À ce moment-là, à Nantes, Emiliano Sala n’est pas en bons termes avec la direction de son club. Voilà désormais plusieurs mois qu’il attend une prolongation de contrat avec une revalorisation salariale. D’après les médias français, le buteur argentin ne figure pas du tout dans les gros salaires du club. Pour comparer, son remplaçant Kalifa Coulibaly était rémunéré 120 000 euros par mois, soit trois fois plus que Sala, pourtant titulaire.

Heureux à Nantes malgré sa situation, il ne souhaite pas rejoindre Cardiff, du moins pas lors du mercato hivernal. Révélé par l’Équipe Enquête dans son documentaire sur l’affaire, Emiliano Sala avait envoyé un vocal à une amie, expliquant qu’il ne voulait pas partir. « Hier soir, j'ai envoyé un message à Meïssa (son agent), il m'a appelé quelques heures plus tard. Donc on a discuté et justement, il m'a raconté qu'hier soir, Franck Kita a envoyé un message pour l'appeler, donc ils ont parlé. Eux veulent me vendre. Donc il y a une offre de Cardiff aujourd'hui, de leur côté, ils ont négocié pour gagner beaucoup d'argent, donc ils veulent que je parte absolument là-bas. C'est vrai que c'est un bon contrat, mais sportivement ce n'est pas intéressant pour moi. Ils essaient par tous les moyens que j'aille là-bas. Mëissa, il a dit non à Cardiff parce que lui, il ne veut pas que j'aille là-bas. Il pense par rapport au sportif et aux autres domaines, qu'on est en situation de force aujourd'hui… Moi j'en ai marre de ça et je ne veux pas ça, je m'en fous d'être en position de force ».

Dans son message, l’Argentin en profite pour donner son sentiment sur le président du club, Valdemar Kita. « C'est vrai que j'aimerais trouver quelque chose d'intéressant au niveau contractuel et sportif aussi, mais parfois tu ne peux pas avoir les deux. D'un autre côté, je ne veux pas parler avec Kita car je n'ai pas envie de m'énerver. C'est une personne qui me dégoûte quand il est en face de moi. Lui aujourd'hui il veut me vendre à Cardiff parce qu'il a fait une super négociation. Il va rentrer l'argent qu'il veut. Lui ne s'intéresse qu'à l'argent, il ne m'a même pas demandé à moi. »

Les propos révélateurs d’Emiliano Sala n'empêcheront pas son transfert pour 17M€ et 3M€ de bonus, échelonnés en plusieurs paiements. Un an plus tard, Cardiff et Nantes sont toujours en litige concernant l’argent de la transaction, comme s'il ne s'agissait désormais plus qu’une suite de chiffres imprimés sur un chèque.

 

NB : La Maison Jaune tient à préciser que les propos de cet article ne sont qu'une transcription de ceux tenus dans le livre. En aucun cas, LMJ ne prend position dans cette affaire.

Crédit Photo : Gérald Mounard