Les prises de paroles des anciens de la maison sont une denrée rare, surtout quand ceux-ci sont engagés dans un média. Pourquoi avez-vous pris cette liberté de position et de ton, vous qui n'épargnez pas la Présidence en public ?

Sébastien Piocelle : Je pense que c'est un tout. Un ras-le-bol comme les supporters. On encaisse, on encaisse, et à un moment donné, ça craque. La dernière en date, qui est déjà passée car Raymond Domenech n'est déjà plus l'entraîneur du FC Nantes, m'a fait réagir. Je me suis dit qu'on allait tout droit en Ligue 2. Sans parler de niveau car le club a déjà été relégué sous l'ère Kita, c'est surtout l'institution et l'historique du club qui étaient mis à mal. Je faisais aussi partie de ceux qui pensaient que Kita mettait ses sous mais il était temps de tirer la sonnette d'alarme.

 

Si les stades n'étaient pas sous la contrainte du huis-clos, avec une telle contestation, la Présidence aurait-elle agi comme elle l'a fait dernièrement avec comme point d'orgue, cette nomination de Raymond Domenech ?

Je ne sais pas... Aujourd'hui, le fait qu'il n'y ait pas de spectateurs, la fronde est très minime par rapport à ce qu'il y'aurait pu avoir. J'ai vécu la nomination de Domenech comme une moquerie de la famille Kita qui ne savait plus comment faire et a décidé de mettre quelqu'un en bouclier, en espérant que ça fonctionne. Ce n'était pas un choix réfléchi, mais il y'en a pas eu beaucoup ces dernières années.

 

La colère des supporters gronde parmi des supporters de nombreux clubs historiques en France, comme Marseille, Bordeaux, St Étienne... La situation du FC Nantes est-elle superposable aux crises traversées par ses rivaux ?

La nouvelle génération de dirigeants n'aime pas leur club. Kita n'est pas un Américain mais il ne s'identifie pas à Nantes. À Saint-Étienne, c'est peut-être un peu à part avec Romeyer, mais quand on prend Laurent Nicollin qui est la suite de "Loulou" sans être le même personnage que son père, il y a une vraie continuité. De nos jours, c'est beaucoup de trading, de financier, d'immobilier et l'âme du club passe après. Il est important de s'identifier. Marseille est aussi une ville, un club de passion avec ses bons et ses mauvais côtés. C'est ce qui fait le charme de l'OM. Marc Lilbra parlait de son époque en deuxième division à l'OM, quand le club était descendu et que des joueurs comme Marcel Dib ou Jean-Christophe Marquet étaient là car ils aimaient plus que tout leur club. Dire comme Eyraud qu'il y a trop de Marseillais au sein de l'organisme est une aberration.

 

" La nouvelle génération de dirigeants n'aiment pas leur club "

 

Sur le court terme, Antoine Kombouaré, 19e coach sous Kita, a la mission de sauver le FC Nantes... Comment ne pas se dire, là, tout de suite, « à quand le vingtième » ?

Oui, il arrivera certainement le vingtième si Kita n'est pas parti... Comme beaucoup de Nantais, je préférerais que Kita parte avant Antoine et que Nantes se sauve. Je ne suis pas dans la problématique du coach car il y a eu par séquences - avec Conceiçao - des bonnes choses. Je reproche l'absence de projet sur et en dehors du terrain. Antoine Kombouaré a dit qu'il y avait des bons joueurs. Le jeu à la Nantaise est derrière nous et peu d'équipes ont ce profil aujourd'hui, mais ce n'est pas grave. Si le projet était un grand attaquant à qui l'on balance des longs ballons devant, OK, au moins il y a quelque chose, mais là, on ne sait pas. J'ignore comment fonctionne ce club mais, à l'évidence, des personnes le dirigent mal. Antoine n'arrive pas dans une période facile et il le sait.

 

La presse nationale a radicalement changé de ton dans sa manière de commenter la gestion des Kita. N'est-ce pas là, la grande victoire du mouvement #KitaCircus lancé sur les réseaux sociaux ?

Oui, ça joue. C'est peut-être la chose positive du fait que les stades soient à huis-clos car il faut trouver des moyens pour se faire entendre et cela nécessite plus d'imagination. Les supporters ont fait à leur manière et ont arrosé toute la France de leurs idées en maniant l'ironie, l'humour noir. Pour avoir fait une ou deux fois l'After Foot sur RMC, cela a permis d'ouvrir les yeux à la presse nationale. Même si tout le monde connaissait la mauvaise gestion de Kita, la lumière est plus vive aujourd'hui.

 

" Il faut que la famille Kita mette son égo de côté "

 

Quelles solutions se présentent au FC Nantes et à ses supporters pour inciter au départ de la famille Kita et à une reprise en main solide et structurée du club ?

Il n'y a pas grand-chose d'autre à faire pour les inciter au départ. Ces actions ont leurs limites. Il faut une prise de conscience de la famille Kita, qu'elle mette son égo de côté. À moins d'un acheteur qui surpaie le club, à court terme, je ne crois pas à une reprise même si des personnes s'y intéressent. [Mickaël Landreau, ndlr] Imaginons qu'Antoine réussisse une superbe fin de saison, les Kita vont se dire que ça marche bien avec le coach et ils vont repartir avec la facilité de se rebooster qui est la leur.

 

Vous êtes l'un des témoins de la dernière bonne période traversée par le FCN. L'évolution du football et de sa structure financière ont-elles été fatales à des clubs comme Nantes qui a construit bon nombre de ses succès sur une formation aujourd'hui volage ?

Oui, aussi. Avec la crise du Covid, ce qui s'est passé avec Mediapro, la manière de gérer le budget, il faudra repenser le pourcentage alloué aux salaires par rapport aux droits télé. Cela risque d'être très compliqué pour certains clubs. Nantes a été l'un des meilleurs centres de formation avec Auxerre, Monaco, Lyon, puis Rennes, Paris ensuite. Quand des joueurs peuvent signer dès 13 ans, les cibles numéros 1, voire 2 ou 3 ne vont pas à Nantes. Si demain, des parents me demandent conseil, il y a plusieurs critères. L'argent ne doit pas être le facteur numéro 1, il y a aussi la qualité du centre, le contexte géographique, l'intégration des jeunes dans l'effectif pro, la stabilité... Quand on se pose toutes ces questions et que l'on a le choix entre le FCN et trois ou quatre clubs, ça devient compliqué de convaincre le jeune joueur avec le projet global proposé par Nantes. Aujourd'hui, notre problématique est celle du chat qui se mord la queue.

 

Dans votre parcours au FC Nantes, il y a eu ce prêt à Bastia l'année où les Canaris décrochent leur huitième titre de champion de France. Cela reste-t-il un regret dans votre carrière ?

Sur le fait d'avoir été champion, je le suis officiellement mais avec le recul... Au début, je ne voulais pas prendre ce titre... Je regrette de ne pas avoir vécu ce moment. C'est vrai que j'aurais voulu vivre ça car cela reste énorme de remporter un championnat, surtout avec des types que l'on a connus pendant 16 ou 17 ans. Globalement, je fais partie de cette génération 99-2001-2002 au milieu d'une trentaine ou d'une quarantaine de joueurs qui ont gagné des titres en compagnie de leurs potes de formation. J'ai aussi été marqué par ma première année de spectateur pour le titre de 1995. On voyait Nantes en mettre 3 à tout le monde à la Beaujoire avec un Suaudeau "entraîneur-entrainant". Nous n'avions qu'une envie, c'est de fouler la pelouse de la Beaujoire.