Propos recueillis par Daniel Ollivier et Elliott Bureau. Entretien illustré par Gérald Mounard pour La Maison Jaune.


Le 4 juin, tu étais à côté de Philippe Plantive lors de la Conférence de presse pour présenter le projet. Peux-tu nous expliquer quel est ton niveau d’engagement ?

Il y a deux aspects qui sont distincts mais qui vont de pair. Il y a d’une part la recherche de l’actionnariat dans lequel je m’investis et d’autre part la réflexion opérationnelle concernant le projet club. Je suis un souscripteur du Collectif Nantais car cela fait sens pour moi mais je m’implique aussi personnellement dans les rencontres organisées avec les chefs d’entreprise afin d’expliquer la vision sportive du projet.

Il est important de dire que c’est Philippe qui au départ m’a contacté. Je lui ai expliqué comment je voyais le fonctionnement du club sur le court et le moyen terme. Ce fonctionnement ne peut pas être celui d’il y a vingt ans et encore moins quarante. C’est pour cette raison que l’on a immédiatement travaillé ensemble sur l’entreprise FC Nantes à travers les spécificités du club et les évolutions actuelles du football professionnel.

Aujourd’hui, mon rôle c’est d’imaginer ce que doit être le club demain, réfléchir sur la structure et la dimension organisationnelle à mettre en place, et mobiliser les compétences sur les aspects stratégiques. Il n’y a pas que l’aspect du jeu et du terrain qui compte. Le projet sportif doit s’inscrire dans le projet du club et cela relève d’une démarche de co-construction. Il doit y avoir un alignement des valeurs capable de donner une cohérence globale sur l’ensemble des aspects concernés… mais nous sommes bien conscients qu’il faudra aussi prendre en compte les contraintes économiques.

Si demain nous avons la possibilité de prendre la direction du club il faudra évidemment tenir compte de son histoire et des salariés actuels. Nous arriverons avec des convictions fortes mais il y aura forcément une période de latence. Nous sommes bien conscients que dans ce domaine, les salariés du FC Nantes se sont habitués à un mode de gouvernance. Il est clair que ces mêmes personnes dans un autre mode de management auraient sans nul doute un autre mode de fonctionnement.

 

"J'ai déjà refusé des postes d'entraîneur pour me consacrer à ce projet"

 

Dans le domaine de l’engagement, qu’est-ce que cela implique dans ta vie personnelle ?

Humainement, il n’est pas possible d’aller démarcher des entreprises et des personnes qui vont investir leur épargne pour nourrir ce projet sans m’investir personnellement. J’organise toute ma vie pour pouvoir habiter prochainement à Nantes. Aujourd’hui, j’habite à Paris parce que mon activité professionnelle avec Canal + y est plus facile. J’ai déjà refusé des postes d’entraîneur pour me consacrer à ce projet. Je suis en contrat avec Canal pour les 2 prochaines années comme prestataire de service mais j’ai seulement 40 dates par an ce qui me laisse du temps disponible pour ma famille qui est très importante pour moi et pour le FC Nantes. Je suis dans l’obligation d’aligner mes actes avec mes paroles et cela a toujours été le cas dans le passé. C’est le FC Nantes qui m’a construit en tant qu’homme et cet engagement moral porte pour moi au minimum sur les deux prochaines années. J’espère évidemment que la passation de pouvoir au sein du club va se faire dans un délai plus court.

 

Crédit photo : © Gérald Mounard

 

Une petite question par rapport à l’actualité, Waldemar Kita vient d’adresser une lettre recommandée à Philippe Plantive pour lui demander de cesser toute action qui pourrait nuire au club. Quelle est ta réaction vis-à-vis d’une telle démarche ?

En fait, je n’ai pas spécialement envie de réagir à Waldemar déjà parce que ce courrier ne m’a pas été adressé personnellement. Je n’avais pas eu déjà envie de le faire il y a quelques mois. Le président est libre de communiquer comme il le souhaite et de gérer le club à sa manière. L’énergie que j’ai envie de dépenser c’est pour construire le projet que l’on souhaite mettre en place en alignement avec les valeurs et les convictions qui sont les nôtres. C’est de pouvoir construire aussi sur le plan du financement pour se donner une sérénité financière.

Nous travaillons dans la transparence et Philippe a informé Waldemar Kita dès le démarrage du projet. Le jour où nous estimerons être prêts financièrement nous irons le voir pour lui faire une offre. Elle reposera ce que nous pensons être la valeur du club mais aussi sur notre capacité à manager dans de bonnes conditions durant les 5 prochaines années. Il est hors de question d’aller de nouveau solliciter nos actionnaires un an plus tard. Cette pratique ne serait pas crédible.

Le mode de gouvernance du Collectif Nantais repose sur une démarche qui a été longuement réfléchie. Il y a des étapes à respecter et c’est pourquoi le crowdfunding envisagé pour mobiliser le plus largement possible l’actionnariat ne peut s’envisager que dans un second temps. Pour nous, l’essentiel c’est de tisser une toile. Un club de football c’est un enjeu sociétal. Il faut être très fort sur son territoire pour être en capacité de mobiliser ensuite sur le plan régional, national et international. L’approche est ambitieuse et novatrice. Je pense que Nantes et son environnement ont toutes les caractéristiques pour créer quelque chose qui n’existe pas ailleurs. Comme c’était le cas il y a 50 ans dans le domaine de la formation avec Michel Tronson. José Arribas a été innovant dans le domaine du jeu  comme l’ont été ensuite Jean Claude Suaudeau et Raynald Denoueix.

 

"Je ne veux pas vendre quelque chose qui ne sera pas possible"

 

Penses-tu que le FC Nantes peut revenir ce qu’il a été dans le passé ?

Croire cela c’est dès le départ se mettre une balle dans le pied. Le FC Nantes ne redeviendra pas ce qu’il a été. Nous devons tous ensemble écrire une histoire. Ce qui est important c’est de ne pas perdre de vue d’où nous venons. Je ne pourrais être celui que mon père a été. Je suis très fier de son parcours car il a commencé à travailler à 14 ans dans un métier de charpentier qu’il a exercé pendant 40 ans.  Ce sont des histoires de vie différentes. Le club ne pourra pas être le même mais il faudra respecter son ADN à savoir la primauté de la formation et le style de jeu. Il n’est pas possible de faire un marquage individuel et de jouer à la Auxerroise en 4/3/3. Il nous faudra respecter les fondamentaux du FC Nantes.

Lorsqu’on parle de l’ADN du club sachant que Waldemar Kita est là depuis presque 15 ans, est-ce vraiment possible de réactiver les valeurs du club ?

Si nous avons la possibilité de reprendre le club, nous savons que cela va être l’un des plus grands enjeux. Le projet suscite beaucoup d’espoirs et il ne sera pas possible d’y répondre à court terme. J’ai pleinement pesé ce risque et les difficultés. On travaillera pour réussir car il n’y aura pas d’autres solutions. Avant d’avoir peut-être l’équipe la plus spectaculaire en 1995, à Nantes il y a eu des générations moins flamboyantes. Il y avait aussi un environnement très critique. En tous les cas, je ne veux pas vendre quelque chose qui ne sera pas possible. Il faudra du temps. Si on prend l’exemple de Lyon on mesure le temps qu’il faut investir pour réussir.  Nous c’est vraiment le souhait de construire ensemble avec tous les amis du FC Nantes. Ils sont partout et pas seulement dans l’agglomération nantaise. Nantes a toujours été ouvert sur l’extérieur. En 2001, je n’oublie pas que dans l’équipe il y avait un argentin pour sécuriser derrière et un roumain pour marquer des buts devant. Le FC Nantes, c’était aussi Antoine Kombouaré et Christian Karembeu. Et puis il y avait à côté Loïc Amisse qui est né à Nantes. Cette diversité c’est aussi cela la richesse du club. Nous devons être capables de prendre la richesse de partout.

 

Crédit photo : © Gérald Mounard

 

Tu as déjà dit qu’il n’était pas d’actualité de parler du projet sportif, mais on voit bien qu’il y a des éléments du passé qui te paraissent importants. L’innovation a aussi toujours été un élément central dans ce qu’était le FC Nantes. Qu’est-ce qui te paraît important d’apporter à ce club ?

En fait, ce n’est pas par hasard que je ne souhaite pas parler du projet sportif. Il y a deux choses qui me gênent profondément. D’abord, il faut respecter ceux qui travaillent. Ces hommes, ces femmes qui sont aujourd’hui au club. Ils y mettent certainement toute leur énergie. C’est pour ça que je trouve toujours déplacé de parler du projet sportif. Quand je suis quelque part, à fond, je ne supporte pas ceux qui ne font rien et qui critiquent. Il y a des jeunes joueurs qui sont sortis dernièrement du FCN et qui ont réussi à aller au plus haut niveau. Léo Dubois a été à l’Euro, il est formé à Nantes. Pour moi c’est important de préserver ça.

Ensuite, est-ce que c’est bien de dévoiler dès maintenant les idées que l’on peut avoir ? Non, je respecte ceux qui sont en poste aujourd’hui, et ils font ce qu’ils ont envie de mettre en place. Demain, si on a la chance d’être dans le club, on mettra les choses que l’on estime être essentielles au football actuel, en lien avec le projet sportif et le jeu que l’on souhaite. S’il y a un truc que je retiens de Coco ou de Raynald, c’est que les joueurs doivent courir. 

 

"Ce qui me paraît primordial, c’est de se concentrer sur l’alignement des valeurs..."

 

Oui parce que l’on a oublié ça, mais pour pouvoir faire le jeu en mouvement qui est celui du FC Nantes, il faut avoir des athlètes...

100% des joueurs qui étaient recrutés ont explosé à la première préparation. Ils ont dit « ah ok, on comprend pourquoi vous courez comme ça ». Et gardiens compris. Ils étaient dégoutés parce qu’ils étaient même derrière nous, les gardiens. C’est sûr que pour faire 650 matchs de Ligue 1, c’est que tu as un coffre, comme le dit Raynald. Si ton coffre n’est pas bon, si ta base n’est pas bonne, ça ne tient pas. Un bon joueur c’est d’abord un joueur en bonne santé. Donc qu’est-ce que l’on va mettre autour de ça, et il y a un panel énorme, l’aspect psychologique, médical, prévention etc….

Je sais aussi que lorsque l’on représente quelque chose d’aussi fort pour un club comme Nantes - et je pense pouvoir le représenter – chaque mot, chaque parole a un impact sur les êtres humains. C’est pour ça que je suis très attentif à ce que je dis, et surtout à l’impact que cela pourrait avoir sur les autres. Ce qui me paraît primordial, c’est de se concentrer sur l’alignement des valeurs et sur ce qui sera mis en place si l’on va au bout de notre projet, et l’actionnariat autour de ce projet-là. Quels sont les hommes qui peuvent mener ce projet ? Et là aussi il y a une mauvaise analyse. Peut-être que c’est nous qui l’exprimons mal, mais quand Philippe Plantive dit « des éducateurs dignes de ce nom », ce n’est pas pour dénigrer ceux qui sont en place aujourd’hui. C’est pour dire que ce que l’on veut, c’est un alignement entre un actionnariat, des dirigeants, des éducateurs et des entraineurs. On veut un alignement entre le projet sportif et entrepreneurial.

 

Cet alignement, il se traduit avec la capacité à fédérer les clubs de foot de la région, du territoire comme le dirait Philippe. On voit bien que ça peut aussi être une force vive d’activer aujourd’hui tous les clubs de foot amateur…

Là c’est pareil, il y a des étapes dans la construction du projet. Évidemment que les échanges avec les clubs de la Métropole sont importants. Mais de la même manière, je ne peux pas communiquer, et ça ne serait pas correct de le faire, sans avoir les échanges avec eux et le retour des uns et des autres. Le jour où l’on sera prêt on communiquera. Mais ça ne se passe pas dans le sens inverse.  On ne va pas vendre des choses si elles ne sont pas clairement établies. Aujourd’hui, ce que l’on communique, c’est ce que l’on peut communiquer, on est authentique là-dessus.

Au-delà du fait que ça aille au bout ou pas, personnellement, je vis une expérience incroyable. La façon dont on est reçu, les échanges que l’on a avec les entreprises qui nous soutiennent. Humainement, j’adore. Ce que j’aime, c’est que les gens nous nourrissent. On a eu la chance d’aller dans des structures, de voir comment un chef d’entreprise manage ses équipes. Le fait de voir comment les gens sont dans leur travail… il y a plein de choses que l’on comprend. Et là je me dis qu’on est en train de créer quelque chose que je n’ai jamais vécu en 25 ans de carrière. J’ai vécu plein de belles choses, je discute régulièrement de ce temps-là. Mais si on a la chance d’être un jour au club, les après matchs ne seront pas les mêmes suite à tout ce que l’on aura vécu en amont. Il y a plein de gens que l’on connaît déjà. Les discussions avec les supporters ne seront pas les mêmes parce qu’il y a une histoire. Il y a un lien, et la mémoire est là.

En tout cas, ce qui me plait dans ce que l’on vit, c’est que ça ne triche pas, qu’il y a un alignement, et que l’on n’ait pas à vendre quelque chose. C’est à l’image de ce qui nous anime et ce qui nous a toujours animé. Quelque part on est sur le terrain.

 

Crédit Photo : Gérald Mounard

Crédit photo : © Gérald Mounard

 

À propos des supporters, est-ce que tu as un message à faire passer au début de cette nouvelle saison ? On sait que vous avez sollicité beaucoup d’espoir à travers votre projet…

Il y a deux ou trois choses. D’abord, on est contre toute forme de violence. Je ne pense pas que ce soit les bons messages, et je ne pense pas que cela nous aidera. Je le dis haut et fort : revendiquer des choses c’est une possibilité, mais n’allez pas plus loin. Parce que je pense que dans cette période, il ne faut pas donner de grain à moudre. C’est la chose la plus importante. Aujourd’hui, il se passe quelque chose à Nantes au niveau des supporters, tout le monde est attentif à tout ça, écrivons quelque chose de cette manière-là.

La deuxième chose, c’est que ce soit les indépendants ou les groupes de supporters, gardez votre indépendance. Réunissez-vous autour du projet du club, mais tout en gardant votre histoire, votre âme. Ne la perdez pas parce que c’est ce qui fait la richesse des uns et des autres. Je pense que l’on peut s’aligner sur ce qui nous rassemble. Mais demander à des ultras d’avoir la même essence qu’Allez Nantes Canaris, ce n’est pas possible. Ils ne seront jamais les mêmes, et quelque part il ne faut pas ! Par contre, ce que j’admire dans ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est que sans aucune obligation, les uns et les autres se réunissent pour parler d’un projet en commun. Je trouve que cette démarche est formidable. Quelque part, il n’y a pas de politique dans ce que l’on est en train de faire. Je trouve ça sain, je ne peux être qu’hyper content de voir ce qu’il se passe, ce qui se crée. Chaque être décide de mettre en place ce qu’il veut mettre en place, et il le fait avec ce qu’il ressent au fond de lui, son histoire. Il vient apporter quelque chose.

Il y a toujours la même chose. Il y a ce que les médias veulent bien dire, ce que tout en haut on veut bien faire croire, et puis il y a ce qu’il se passe au sein même du mouvement. Personnellement, je sens une énergie qui est incroyable. Je crois en ces synergies-là. Si on fait un aparté sur le passé, en 2001 quand on est champions, on n’avait pas les meilleurs joueurs, mais on avait la meilleure équipe. Donc là oui, on ne sera pas ceux qui auront le plus d’argent, mais il y a des choses que l’on peut créer collectivement. On aura tous conscience que l’on n’aura pas les moyens les plus élevés du championnat. Mais ce n’est pas grave. Le plus important c’est que les uns et les autres donnent le maximum. Et ça a toujours été ça. On prend dans chaque club où l’on a été, j’ai eu la chance d’en faire quelques-uns, et à chaque fois l’entraîneur des gardiens me disait que je n’étais pas en train de regarder les faiblesses de mon partenaire, au contraire je compensais là où il était moins bon, et je me servais de ses forces. J’ai toujours aimé ça, ça m’anime. Ensemble, comment on s’organise pour que l’on ait le meilleur résultat, avec les caractéristiques de chacun.

À titre d’exemple, La Maison Jaune vous avez des caractéristiques que la Brigade Loire n’a pas. Et à l’inverse, elle a une force que vous n’aurez jamais, l’objectif ce n’est pas que vous vous ressembliez mais que cette variété soit une force. La complémentarité des groupes de supporters est une richesse.  Je pense sincèrement que l’on peut travailler tous ensemble.