Nantes – Angers est un derby, rarement spectaculaire, sauf à remonter plusieurs décennies en arrière, il ne s’agit pas pour autant d’un grand classique et si les deux clubs se sont souvent rencontrés, ce ne fut pas toujours au plus haut niveau, leurs trajectoires respectives étant historiquement peu similaires.

Leurs premiers affrontements eurent pour cadre le championnat de l’Ouest, dans les années 1940, alors que les Canaris s’habituaient à porter les couleurs qui leur ont valu leur surnom. Ils les doivent à un dirigeant qui possédait une écurie de chevaux de course dont les résultats contribuaient à garnir son portefeuille et il pensa que si le jaune et vert réussissait à ses poulains il n’y avait pas de raison qu’il en aille différemment pour des footballeurs.

Le premier match entre Angers et Nantes, en 1943, tourna pourtant à la confusion des Nantais puisqu’ils s’inclinèrent 3-0, ce fut d’ailleurs leur plus lourd revers de la saison. Leurs affaires s’arrangèrent par la suite, contrairement à celles de notre propriétaire de chevaux dont la prospérité s’était notablement accrue grâce à un commerce juteux mais peu recommandable avec l’occupant nazi, si bien qu’il jugea plus prudent, après la Libération, de se mettre au vert pendant quelques temps du côté de la Suisse.

Comme preuve que le FC Nantes et le SCO d’Angers ne cohabitent pas fréquemment au même étage, on retiendra le fait qu’ils en sont cette année à leur 8è saison consécutive commune en Ligue 1. C’est peu et il s’agit pourtant d’un record. En revanche, après leur adhésion au professionnalisme, ils ont longuement cheminé ensemble en 2è Division. Angers fut le premier à s’en extirper en 1956. A partir de là, le stade Raymond-Kopa qui s’appelait alors le stade Bessonneau, du nom d’un industriel angevin, accueillit des affiches qui incitaient les amateurs de football de la région à venir garnir en nombre ses inconfortables travées. Parmi eux, se trouvait un jeune entraîneur officiant dans une équipe anonyme de la Sarthe, un autodidacte qui prenait sans cesse des notes sur des cahiers d’écolier, disséquait les schémas de jeu et demandait ensuite à ses jeunes joueurs de les mettre en pratique sur le terrain.

Quand José Arribas allait voir jouer le SCO

Il s’appelait José Arribas et il leur expliquait si bien ce qu’il convenait de faire que bientôt l’US Noyen, le club qu’il entraînait, gravit les échelons et devint une référence régionale en ce qui concerne la qualité du jeu. Il ne se contentait pas d’observer Angers et ses adversaires, le Stade de Reims et le Racing Club de Paris notamment, il lisait les journaux, étudiait le style des différentes équipes, retenait le meilleur et y ajoutait son grain de sel, lequel avait pour essence le collectivisme.

Arribas venait d’autant plus volontiers à Angers que la ville lui était chère car il avait épousé une fille du coin, Suzanne, une basketteuse avec laquelle ils tenaient un café sur les bords de la Sarthe.

En 1960, le SCO cherchait un entraîneur, ses dirigeants ne pensèrent certes pas à Arribas, ce en quoi ils avaient tort, ils jetèrent leur dévolu sur Karel Michlowski qui, lui, officiait à Nantes. Il y était arrivé un an plus tôt, il avait parlé de s’inscrire dans un projet à long terme mais quand le SCO lui formula des propositions il oublia ses bonnes intentions et s’en fut rencontrer Jean Clerfeuille, le président du FCN : « Vous m’avez dit que vous voulez monter un jour en D1.

_ C’est notre projet, effectivement.

 _ Eh bien, si vous voulez mon avis, vu les joueurs qu’on a et les moyens dont on dispose, ce n’est pas demain la veille.

_ Mais pour l’instant, on ne peut pas recruter, on n’a pas d’argent. Il faut être patient.

_ Moi, je ne le suis pas. Je n’ai pas envie d’attendre 10 ans. Alors, je suis désolé mais je vous quitte. La D1 pour moi, c’est tout de suite.

_ Comment ça ?

_ Je pars à Angers ».

C’est à la suite de cette ‘’désertion’’ que Jean Clerfeuille, lassé par les entraîneurs-mercenaires, plus préoccupés par le contenu de leur portefeuille que par le style de leur équipe, décida de donner sa chance à un technicien inconnu, un cafetier de Noyen-sur-Sarthe, qui connaissait déjà Nantes pour y avoir accosté un quart de siècle plus tôt, alors qu’il était à bord d’un rafiot bondé de réfugiés espagnols fuyant la dictature de Franco.   

Le FCN et le SCO enfin ensemble en Division 1 en 1963

José Arribas s’installa à Nantes en affichant clairement son plaisir, contrairement à son prédécesseur, il était heureux d’entrainer une équipe de 2è Division. Trois ans plus tard, les deux clubs, se retrouvèrent enfin parmi l’élite. Mais sans Karel Michlowski qui s’était fait virer du SCO entre-temps et avait été remplacé par Antoine Pasquini.

L’histoire entre les deux clubs commençait donc vraiment, elle n’était pas acharnée et personne ne s’offusqua quand Arribas fit venir Guelzo Zaetta d’Angers afin d’en faire son adjoint puis le responsable de la formation des jeunes. Si un responsable du SCO, quelques années plus tard, s’est hasardé à établir la liste des joueurs qui, détectés par Zaetta, ont fait carrière à Nantes, il est possible qu’il ait attrapé des boutons… Peu de joueurs ont fréquenté les deux clubs, Claude Arribas, l’un des fils de José, est cependant de ceux-là et bien qu’habitant à Angers il continue de fréquenter assidûment La Beaujoire. Loïc Amisse, Nantais pur beurre, alla de son côté terminer sa carrière de joueur sur les bords de la Maine alors que, beaucoup plus tard, en 2005, Guillaume Norbert, fils de l’un des présidents du SCO, vint à Nantes où il fut entraîné par Serge Le Dizet qui, de son côté, a effectué ensuite un long séjour à Angers, le temps de revoir Nicolas Gillet et Claudiu Keserü qu’il avait côtoyé à La Jonelière et de faire connaissance avec David De Freitas, autre ancien Nantais.

Guillou contre Henri Michel, des matches dans le match

Le Dizet n’était pas encore né (il est de 1964) quand le FCN et le SCO s’affrontèrent pour la première fois en Division 1, le samedi 19 octobre 1963. Sur la pelouse de Marcel-Saupin, on disait encore Malakoff, les Canaris s’imposèrent 1-0, but de Jacky Simon. Le match retour fut beaucoup plus prolifique puisque 6 buts y furent marqués, 3 de chaque côté. Simon fit mouche cette fois à deux reprises, Gondet signa un autre but à un quart d’heure de la fin et les Nantais s’embrassèrent avec d’autant plus de joie que leur avant-centre venait de leur permettre d’égaliser et qu’ils revenaient de loin car le SCO avait mené 3-0.

C’est seulement quelques années plus tard et après un quart de finale de Coupe de France qui avait permis à Marcel-Saupin d’établir le record d’affluence de toute son histoire que les confrontations entre les deux clubs constituèrent des affiches de haut de tableau. Nantes avait été champion de France en 1973 et Angers, sous la houlette Jean-Marc Guillou et d’Albert Poli, deux milieux de terrain de grands talents, pratiquait un football offensif et léché tel qu’on n’en avait jamais vu et qu’on n’en revit plus en Anjou. Guillou se surpassait toujours contre Nantes, peut-être parce que jeune il s’était fait recaler lors d’une session de repérage de jeunes régionaux au Parc de Procé (originaire de Bouaye, il jouait à Saint-Nazaire) et ses face à face avec Henri Michel  s’apparentaient à des matches dans le match, de véritables morceaux d’anthologie où tous deux rivalisaient d’adresse technique et d’inspiration, sans oublier les principes du jeu collectif car ils savaient mettre leur extraordinaire virtuosité au service des autres.

Leur duel était pimenté par les polémiques entourant le sélectionneur de l’équipe de France, un certain Georges Boulogne, esprit rigoriste et conformiste que les chantres du football offensif critiquaient vertement alors qu’ils louangeaient Guillou. Or, Boulogne dédaignait superbement et bêtement le meneur de jeu angevin tandis que celui de Nantes était considéré comme l’un de ses chouchous. Il n’est pourtant pas sûr du tout, au contraire, qu’Henri Michel, même s’il ne le disait pas, cautionnait les options boulognesques.

En tout cas, quand ils s’affrontaient, tout le monde se régalait. Eux, leurs partenaires et, bien sûr, le public. Les Nantes – Angers de ces années-là sentaient à la fois le soufre, car on ne s’y faisait aucun cadeau et le génie tant les acteurs s’évertuaient à élaborer des offensives et des mouvements séduisants.

De nouveau en Ligue 1 mais loin des premiers rôles

Et puis Guillou s’en alla à Nice, Poli prit la direction du Paris Saint-Germain, le buteur Marc Berdoll accepta les offres de Sarrebruck et le SCO rentra dans le rang. Pire, il redescendit en 2è Division en 1975, il remonta, redescendit encore mais il n’était plus de taille à lutter avec le FC Nantes qui en 1980 remporta au stade Bessonneau, pardon Jean-Bouin, c’est fou comme cet endroit change de nom, à trois journées de la fin, un succès le rapprochant d’un cinquième titre de champion de France. Angers détenait alors un ailier, Patrice Lecornu, qui semblait en mesure de faire le bonheur du FC Nantes où il fut transféré en 1981. Sauf qu’l fréquenta plus souvent l’infirmerie de La Jonelière que la pelouse de Marcel-Saupin.

En tout cas, la route des deux grands clubs ligériens était désormais dissociée, les Angevins firent même un détour par le National. Ils s’y morfondaient quand, en 2005, le FCN refit le plein à Jean-Bouin à l’occasion d’un match de Coupe de France face à… Saumur. Et puis arriva 2007, avec descente de Nantes d’un côté, la première depuis son accession en 1963, promotion d’Angers de l’autre : le FCN et le SCO habitaient de nouveau au même étage, en 2è Division. Comme au temps des vaches maigres.

Ce n’est qu’en 2015 qu’on les revit, enfin, conjointement parmi l’élite. Ils n’y tiennent cependant plus les premiers rôles, il s’en faut même de beaucoup. Alors, quand il leur arrive de fournir un derby de bonne tenue, comme ce fut le cas le 19 septembre 2021 quand Nantes s’imposa à Angers 4-1, il paraît difficile de faire la fine bouche. Les Angevins, eux, préfèrent sans doute retenir la date du 21 décembre 2019 quand ils vinrent s’imposer à La Beaujoire, 2-1. A les entendre, et on aurait pu le faire si le match n’avait pas été aussi triste, c’était presque historique. Il est vrai que le dernier succès du SCO en D1 à Nantes remontait à la saison 1967-68. Ce jour-là, l’un de leurs jeunes avait effectué ses débuts sous leurs couleurs. Prévenu au dernier moment car l’un de ses partenaires s’était blessé à l’échauffement, il avait foncé dans le vestiaire pour chausser ses crampons. Et là, stupeur, il s’était aperçu qu’il les avait oubliés. Il n’avait pas paniqué, ce n’était pas son genre, il avait emprunté une paire de chaussures et il avait joué son match, tranquillement, sereinement, affichant une technique et une maîtrise qui avaient impressionné tout le monde. Il s’appelait Jean-Marc Guillou.