Guy Scherrer, maître de la renaissance des années 1990

En ce début de saison 1992-1993, peu d’observateurs misent sur la survie du FC Nantes parmi l’élite du football français. L’échec de la « Canarimania » initiée par Max Bouyer laisse le sentiment d’un champ de ruines : le club vient d’éviter de justesse la relégation administrative en Division 2 et l’équipe professionnelle se voit amputée des deux tiers de son ossature après les départs de Marcel Desailly, Joël Henry, Thierry Bonalair, Thierno Youm, Jean-Jacques Eydelie et Jorge Burruchaga. Pour les remplacer, confiance est donnée à la jeune génération issue du centre de formation de la Jonelière composée des Ouédec, Pedros, Loko, Ziani, Karembeu, Makélélé, Guyot, Capron et consorts.

Un accord entre les collectivités locales, dont la mairie et le conseil général, des chefs d’entreprise de la région, des banques et compagnies d’assurance, des créditeurs divers et des particuliers permet cependant à la nouvelle entité FC Nantes Atlantique, transformée en SAOS (Société anonyme à objet sportif), de repartir de l’avant, avec, à sa tête, un président fraîchement intronisé : Guy Scherrer. PDG de la célèbre Biscuiterie Nantaise (BN) à laquelle il a redonné le sourire depuis 1981, ce diplômé de HEC étranger au milieu du sport professionnel prend les commandes d’un club que beaucoup jugent à l’agonie.

Pour le plaisir du jeu

Après une intersaison agitée qui augure de temps très sombres, Guy Scherrer impose d’entrée sa méthode, cette méthode qui coule dans l’ADN d’un club dont il entend respecter les principes de fonctionnement immuables initiés par ses illustres prédécesseurs Clerfeuille et Fonteneau. Il confie l’ensemble du secteur sportif aux techniciens de la Maison Jaune sans empiéter un seul instant sur leurs attributions. Jean-Claude Suaudeau, Georges Éo et Raynald Denoueix sont entièrement libres de leurs mouvements à condition de souscrire au précepte fondamental prôné par le président : procurer du plaisir aux spectateurs qui se rendent au stade et paient une place afin de venir supporter les Canaris. Cette approche se veut simple mais hautement symbolique de la vision du nouvel homme fort du FC Nantes. Surtout, elle tranche de manière très nette avec ce que l’on est en mesure d’observer aujourd’hui dans la philosophie entrepreneuriale appliquée au football postmoderne, notamment du côté de Nantes… Ainsi, au micro de Canal+, juste avant le Nantes-Auxerre retransmis en direct le vendredi 21 août 1992, Guy Scherrer déclare : « Je préfère voir les joueurs courir et donner du plaisir, quitte à perdre, plutôt que d’assister à un match où tout le monde s’emmerde et où le FCNA gagne 1-0. »

Un pied monumental !

Si Guy Scherrer fait figure d’ovni dans le paysage footballistique hexagonal dès sa prise de fonction, cette impression est confirmée par ses saillies savoureuses envoyées à la presse aux aguets, autant de phrases fameuses dont les journalistes raffolent et font leur petit beurre. Par exemple, le 8 août 1992, après le match inaugural du championnat conclu par un score de 0-0 face au FC Metz, le président nantais se contente de ces mots qui interpellent : « J’ai pris un pied monumental ! » Il est pourtant dans le vrai car l’équipe de jeunes joueurs promus et titularisés chez les grands par nécessité pratique déjà un football attrayant qui va rapidement être validé par des résultats probants. Lors de la deuxième journée qui se solde par une victoire du FCN 2-0 en terre lyonnaise (buts de Patrice Loko et Christian Karembeu), une voix derrière le micro tendu demande si la jouissance a été la même que la semaine précédente. La réponse fuse : « Oui, j’ai même pris les deux pieds, cette fois-ci ! »

Une vision respectueuse de l’histoire du club

Derrière un manager atypique qui détonne parfois par son comportement dans le panorama des dirigeants français de l’époque se cache pourtant un homme d’une intelligence pragmatique particulièrement respectueux des valeurs qui ont fondé la grandeur du FC Nantes. À l’occasion du match Nantes-Lens disputé le samedi 19 septembre 1992 au stade de la Beaujoire, Guy Scherrer se contente d’un rapide tour dans le vestiaire, avant la rencontre, en n’oubliant pas d’inscrire sur le panneau Velleda à l’ordinaire utilisé par l’entraîneur pour la description technique des schémas tactiques : « Ils sont venus, faites leur plaisir. »

Dans le kop au milieu des fans !

Ils, ce sont bien entendu les supporters jaune et vert qui garnissent les travées du stade. Ils sont venus au nombre de 30.000 aujourd’hui. Et ils vont assister à un match fantastique ponctué par une victoire sur le score de 3 buts à 2 face aux Artésiens, avec un triplé du « Sorcier » Japhet N’Doram à la clé ! C’est soir de fête et Guy Scherrer est heureux. En plein milieu de la deuxième période, il descend sur le terrain et longe la ligne de touche de la tribune présidentielle pour venir saluer le kop de la tribune Loire. Puis il demande même à ce que la sécurité lui ouvre les grilles afin de pouvoir pénétrer dans la tribune, au milieu de la foule. La tête recouverte de son élégant chapeau, son emblématique écharpe jaune sur les épaules, il y restera pendant un bon quart d’heure, parmi les supporters comblés qui n’en croient pas leurs yeux et chantent de plus belle pour pousser les Canaris vers leur cinquième victoire en sept rencontres !

L’opération n’a rien de calculé, elle s’avère simplement spontanée de la part d’une personne qui vit sa fonction au plus près de la passion qui l’entoure. Une passion source de réussite, comme en atteste un parcours bref mais flamboyant. En un peu plus de quatre ans aux commandes du FC Nantes, de juin 1992 à octobre 1996, Guy Scherrer aura offert au club un titre de champion de France (1995) ainsi que trois magnifiques campagnes européennes ponctuées par une demi-finale de Ligue des Champions face à la Juventus Turin (1996).

Une parole de référence

Plus que de longs discours, ces mots de Raynald Denoueix rapportés il y a quelques années par Ouest-France, au lendemain de la disparition de Guy Scherrer prennent valeur de reconnaissance éternelle pour un homme intègre et altruiste qui restera à jamais associé à la riche histoire du Football Club de Nantes : « C'était le président parfait compte tenu des circonstances dans lesquelles il est arrivé. C'était quelqu'un de très intelligent. Il avait super bien analysé le club. Il a su s'adapter, nous faire fonctionner. Il avait décidé de laisser le champ libre aux techniciens. Il nous avait donné un objectif : que l'équipe fasse plaisir aux supporters, qu'il y ait du spectacle à la Beaujoire. L'attitude des joueurs comptait beaucoup pour lui. On ne pouvait pas trouver mieux comme président. »

Crédit photo : Alain Gadoffre / Icon Sport