Il est impossible de citer, en quelques lignes, le palmarès de Gérard Houllier. Il a vécu plusieurs vies dans le football en tant qu’entraîneur en France et en Angleterre, DTN du football français à deux reprises, sélectionneur de l’équipe de France, Directeur de la Filiale sport Monde chez Red Bull. Faut-il préciser qu’il a décroché dans sa carrière 3 titres de champion de France avec le PSG et l’Olympique Lyonnais ainsi que plusieurs trophées avec Liverpool dont une Coupe de l’UEFA.

 

En tant qu’entraîneur, tu as eu l’occasion de jouer de nombreuses fois le FC Nantes. Qu’est-ce que tu gardes en mémoire ?

À la fin des années 70 et au début de la décennie suivante, le FC Nantes c’était ce qu’on appelle le jeu à la nantaise. Le père de cette philosophie c’était José Arribas. Toutefois, Jean-Claude Suaudeau  a ensuite contribué à le faire évoluer. Notamment à travers le pressing et le jeu de possession. Son objectif c’était d’avoir le ballon plus que l’adversaire. Avec l’idée que l’on pose à l’adversaire plus de problème lorsqu’on possède le ballon. Mais attention, la conception de Coco ne se limitait pas seulement à cela.  Il cherchait la profondeur, l’espace. Il aimait faire jouer dans le dos de l’adversaire.

 

Est-ce que pour toi le club avec le « jeu à la nantaise » laisse une trace dans l’histoire du football ?

En matière de football, Nantes a été indéniablement un précurseur. Pour moi, il est clair que la manière de jouer de Barcelone à partir de 2005 s’inspire du jeu à la nantaise. Guardiola s’inscrit dans cette philosophie, même s’il y a des particularités. Il y avait davantage de pressing chez Coco car il avait été influencé dans ce domaine par Arrigo Sacchi. En conclusion, mon sentiment c’est que Nantes apporte les semences d’un style du jeu qui s’est ensuite pleinement épanoui quelques années plus tard avec Barcelone et l’équipe d’Espagne.

 

Jean-Claude Suaudeau et toi vous avez été adversaires pendant plusieurs saisons. Est-ce que tu entretenais de bonnes relations avec lui ?

Je l’ai bien connu. Jean-Claude a pris la succession de Jean Vincent en 1982. Je me souviens très bien d’un match amical, en début de saison, car nous étions tous les deux dans la même situation. Il débutait avec Nantes et moi j’étais dans le même cas avec le Racing Club de Lens. Dès le départ, entre nous il y a eu une complicité professionnelle. Coco est souvent présenté comme quelqu’un de difficile dans la relation. Je tiens à dire, qu’avec moi, il a toujours été dans l’échange et le partage. On parlait foot avec la même passion. Ce que j’appréciais chez lui c’était sa force de conviction. La qualité de son discours. Cette vision du foot qu’il était capable de transmettre avec force à ses joueurs. Elle a été ensuite reprise par Raynald Denoueix. C’était un ami et un adepte du travail de Jean-Claude. Manifestement, il y avait beaucoup de complicité entre eux. Raynald a eu le mérite de poursuivre dans la même direction avec un contexte devenu très difficile à gérer.

 

En quoi, la situation de Raynald Denoueix était-elle vraiment devenue plus compliquée à gérer ?

Le FC Nantes s’est retrouvé, lors de son arrivée, avec des difficultés financières et l’obligation de se séparer de plusieurs joueurs clés. Il a été dans l’obligation de faire jouer un grand nombre de jeunes. En même temps, c’était l’entraîneur idéal pour le faire. Il avait été préalablement leur éducateur au centre de formation. En 2001, l’année du titre, Raynald a été formidable.  Personne n’attendait son équipe à ce niveau-là. À ce propos, lorsqu’on parle du « jeu à la nantaise » cela serait une erreur de croire qu’il s’agit seulement d’une philosophie du beau jeu. Au bout, il y a aussi de l’efficacité et des résultats. Avec Raynald comme entraîneur les principes du jeu à la nantaise sont restés les mêmes, même s’il avait ses propres options dans le domaine de la construction. Il a dû aussi composer avec l’évolution du football.

 

L’évolution du football dont tu parles, c’est quoi au juste ?

Il y a des cycles dans le foot. Ensuite, on a bien vu que la possession n’était plus aussi déterminante dans la réussite. L’approche privilégie alors le contre avec attaque rapide. Elle consiste à mettre des défenses plus serrées et à exploiter le jeu de transition. À l’inverse donc de ce que pouvait être, au départ, le jeu à la nantaise. L’entraîneur qui est à l’origine de cette manière de jouer c’était Valeri Lobanovski. Les joueurs de Kiev, puis de la Russie, étaient capables de se projeter très vite. Avec une grande verticalité. En 3 passes, ils étaient devant le but adverse. L’équipe la plus dangereuse peut-être, alors, celle qui n’a pas le ballon. Actuellement, c’est l’Equipe de France qui incarne ce style de jeu. C’est la seule équipe nationale qui gagne la Coupe de Monde en ayant moins le ballon que l’adversaire. Tout en étant, au bout du compte, un brillant champion du monde.

 

Il y a d’autres évolutions à prendre en compte ?

C’est clair que l’évolution du football elle est, aujourd’hui, surtout physique. C’est la combinaison du physique avec les qualités techniques et tactiques qui fait la différence. Le physique se traduit à travers la vitesse et la puissance. Le Bayern et les clubs allemands illustrent parfaitement cette évolution du jeu. Dans un match, ils ont la capacité à renouveler les actions à haute intensité. C’est pour cette raison que tous les clubs de haut niveau disposent maintenant de plusieurs spécialistes dans le domaine physique, ce qui n’était pas le cas à l’époque de Suaudeau et Denoueix.

 

Est-ce que dans le contexte actuel, une équipe comme celle du FC Nantes peut encore gagner des trophées ?

Je considère que pour le club la bonne décision c’est, déjà, d’avoir fait venir Christian Gourcuff. Il est, quelque part, l’héritier de Suaudeau et Denoueix. C’est un retour aux valeurs techniques du club. Sans parler des résultats, je trouve que l’équipe actuelle produit un jeu qui est plus en phase avec l’histoire du FC Nantes. Quant à savoir si Nantes, à l’avenir, peut prétendre gagner des trophées, je peux prendre l’exemple du RB Leipzig. La démonstration est, aujourd’hui, faite que sans investir des moyens financiers considérables ce club est parvenu à atteindre le haut niveau. Toutefois, pour gagner des trophées, au plan européen, c’est sans doute insuffisant. Il y a quelques grosses cylindrées qui sont au-dessus du lot.