José Arribas était-il attentif à la cohésion de l’équipe ?...

La cohésion était pour lui un élément essentiel. Pratiquer un jeu comme le nôtre oblige à bien s’entendre et c’était vraiment le cas. L’ambiance était excellente. On était une bande de copains. Au début, la grande majorité d’entre nous étaient célibataires puisqu’il n’y avait que trois joueurs mariés. Nous étions toujours ensemble. On logeait chez l’habitant et partagions les mêmes repas. Il n’y a sans doute pas de hasard au fait que beaucoup d’entre nous sont restés vivre dans la région.

Au sein de l’équipe, est-ce qu’il y avait des rituels particuliers ?...

Nous avions mis en place une cagnotte que l’on alimentait, au fur et à mesure, avec les amendes liées au non-respect des règles : les retards, les godasses mal cirées, l’attitude face à l’arbitrage. Une photographie dans le journal faisait aussi partie de la liste. C’était un système entre nous. Avec l’argent, on s’offrait un repas. En cas de besoin, Louis Fonteneau alimentait la caisse. Il est arrivé que José, suite à une mauvaise série de résultats, demande à Georges Bout le trésorier du groupe s’il y avait assez d’argent pour aller au restaurant. C’était l’occasion de se parler et de relancer la dynamique collective.

C’était une pratique fréquente ce type d’échange entre vous ?...

Chez nous, c’était une habitude. Après chaque match à domicile, nous allions tous ensemble dîner avec nos épouses ou amies dans un restaurant près du Champ de Mars. Les dirigeants et les coachs n’étaient pas présents. C’était un temps entre nous. José ne voulait pas que tout passe par lui. Chacun d’entre nous se sentait responsable.

En 13 ans, d’ailleurs je n’ai connu que trois capitaines : Daniel Eon, Robert Budzynski et Henri Michel. Le capitaine restait dans sa fonction jusqu’à la fin de sa carrière. Il n’y avait pas de raison que cela change.

On se parlait beaucoup hors du terrain mais dans le jeu nous n’avions pas besoin de le faire. Avec Coco, par exemple, on jouait sans se parler. Pas un mot entre nous. Jamais une engueulade non plus. Moi, je ne sentais pas trop le jeu… mais lui il avait une sacrée vista. Quand je montais, il couvrait immédiatement. J’avais le temps de revenir me repositionner en défense. On jouait en confiance.

Les déplacements jouaient-ils un rôle dans la cohésion du groupe ?...

Évidemment. Pendant longtemps, les déplacements se faisaient en train. Dans les années 60, on prenait deux jours pour aller à Monaco et sur une partie du trajet c’était encore des sièges en bois. Question confort, on pouvait faire mieux. Pour tuer le temps, on jouait aux cartes. Les parties de tarot c’était plutôt folklorique. Il y a des jeux de carte qui passaient par la fenêtre. Une fois c’est l’imperméable de Bernard Blanchet qui a pris le même chemin. Cela laisse d’excellents souvenirs !!!

Comment étaient vos relations avec les équipes adverses ? Avez-vous eu une relation privilégiée avec un adversaire ?...

Entre joueurs, il y avait du respect. On évoque souvent le comportement des Bordelais mais ce n’étaient pas des assassins. Certes, ils avaient un football plus engagé que le nôtre… mais moi personnellement ce jeu-là ne me gênait pas.

Mon adversaire préféré c’était Roger Magnusson. Un magnifique joueur mais aussi une très gentille personne. J’ai encore en souvenir le premier match que j’ai joué, en Espagne, contre lui. Avant la rencontre, Jean Eskenasi le journaliste de France Soir, m’alerte en me disant que je vais jouer le meilleur ailier européen.  Ce match a été un vrai cauchemar. Je n’ai rien compris à son drible et j’ai passé une partie de la rencontre sur les fesses. Il était d’une rapidité infernale avec en plus un physique de déménageur. Après entre nous, c’était toujours un match à part. Avant le match il me disait « Gaby je te préviens la première mi-temps est pour moi !!! ». Avec le temps, j’ai appris à le jouer. Il fallait inverser ses appuis pour ne pas se laisser prendre dans sa feinte. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer contre lui.

Le jeu pratiqué procurait-il un plaisir particulier sur le terrain ?...

Le plaisir c'est la base même du jeu. Réaliser en match ce que tu travailles à l’entraînement c’est formidable. Les changements tactiques cela nécessite du temps à se mettre en place. Lorsque nous sommes passés à la défense en ligne, il y avait entre nous une complicité incroyable. Robert était à la commande et les adversaires ne comprenaient rien à notre système. Je me rappelle d’un match, à Lille, où André Guy l’avant-centre a dû être hors-jeu 30 fois dans le match. Ensemble, on travaillait cela dans les petits jeux à l’entraînement. Cette manière de jouer était vraiment particulière, il fallait toujours être attentif à la position des autres.

Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?...

C’est le premier titre de champion en 1965. C’était fantastique pour moi car en plus c’était ma première saison comme titulaire. Le second titre n’a pas eu la même saveur parce que j’ai dû enchaîner avec la préparation de la Coupe du Monde comme plusieurs autres joueurs du club. Dans cette compétition Bud a vécu le martyr car le système retenu ne correspondait pas du tout à ses qualités. C’était très décevant car nous avions envie de prouver notre valeur et qu’il fallait jouer contre-nature.  

Toutefois, mes plus grosses déceptions restent évidemment les trois défaites en finale de Coupe de France, et notamment la première contre Strasbourg. Incapables de se transcender. Nous ne trouvions aucune explication à nos échecs. Faire autant d’efforts collectifs toute une saison pour si peu de récompense, c’était une frustration insupportable. Il a fallu que j’arrête de jouer pour que le club soit en mesure de décrocher enfin une Coupe de France.

Lorsque vous pensez à toutes ces saisons passées au club. Avez-vous une anecdote personnelle qui vous reste à l’esprit ?...

Je me souviens d’une rencontre à Marcel Saupin contre l’Olympique Lyonnais que je ne pouvais pas disputer. J’avais un arrêt de 21 jours pour une entorse. Le matin du match, j’étais passé déposer mon épouse à la clinique car elle avait des contractions. Ensuite, je suis allez rejoindre les copains car je m’ennuyais chez moi et j’ai participé avec mon plâtre à un tennis ballon. Ma blessure remontait seulement à huit jours. José surpris de me voir en train de jouer m’a demandé d’aller voir le toubib.  Comme je ne ressentais aucune douleur après un rapide contrôle il m’a autorisé à être sur la feuille de match. J’étais trop heureux de pouvoir jouer. Ce soir-là, au moment du coup d’envoi en public le speaker a annoncé la naissance de ma fille. C’est un moment inoubliable. Je peux dire que pendant le match je n’ai plus pensé un seul instant à ma blessure. Le plus beau dans l’histoire… c’est qu’en plus nous l’avons gagné ce match !!!   

Un grand merci à Gaby De Michèle pour sa gentillesse à faire vivre, pour nous, avec une grande humilité cette belle page d’histoire. Il incarne avec force ce qu’est l’attachement d’un joueur à son club.