A 28 ans, Robert Budzynski est devenu un joueur incontournable et il peut jouer, au plus haut niveau, encore quelques années. C’est malheureusement une blessure à répétition qui l’oblige à une reconversion prématurée. Une nouvelle vie commence pour lui : au sein du club, elle va en faire le champion de la longévité : 42 ans de présence dont 35 comme directeur sportif.

La proposition de Louis Fonteneau                                                                                                 

Louis Fonteneau vient juste d’arriver à la direction du club. Il a conscience de l’obligation de professionnaliser les structures. La blessure de Bud va être une première opportunité pour passer des intentions aux actes. Il lui propose de créer un poste à sa mesure : celui de directeur sportif. Le président voit bien qu’une coordination s’impose entre les différents acteurs du club : staff technique, administratifs et dirigeants. Dans les faits, un tel poste n’existe pas encore en France même si l’appellation apparaît dans quelques organigrammes. L’activité des intéressés porte principalement sur le repérage des joueurs à recruter et l’administratif lié au domaine sportif. La négociation des contrats reste l’entière responsabilité du conseil d’administration. Preuve de sa confiance, Fonteneau conseille à Budzynski de prendre le temps de la réflexion. Il l’incite à aller voir ce qui peut se faire dans d’autres clubs, notamment à l’étranger.

Cette proposition répond aux aspirations de l’ancien demi-centre. Le monde du football est en pleine transformation. Le voyage effectué à Houston, en 1966, a été en ce qui le concerne un puissant révélateur. Bud a apprécié l’efficience des clubs de baseball et de football américains. Un modèle économique et sportif qui préfigure les changements à conduire. Toutefois, il sait bien aussi que la culture locale n’est pas prête à un tel changement. En bon stratège, il va mener une réflexion globale sur ce que le club doit devenir à moyen terme : structures, installations, stratégie de recrutement, formation. Le stade Marcel Saupin est devenu trop petit et vétuste pour accueillir le public. L’argent devient de plus en plus central dans le domaine du recrutement. Quelques courts déplacements effectués en Angleterre, Italie et Allemagne suffisent à le convaincre de l’obligation de repenser en profondeur le fonctionnement du club.

Le pacte avec José Arribas

Bud implique étroitement José Arribas dans cette réflexion. Il sait que ce dernier n’est pas étranger à la proposition faite par le président. Leur complicité représente un atout appréciable mais il est vital de se mettre d’accord sur le cadre de leur collaboration. Ils sont conscients que ce nouveau poste expose leur relation, en cas de mauvais résultats, à des risques de tension. Le nouveau directeur sportif va, par exemple, appartenir au conseil d’administration et accéder à des prérogatives plus larges que celles de l’entraîneur. La confiance entre eux doit donc primer sur le statut.   Afin de dédramatiser l’enjeu José précise « si tu recrutes un très bon joueur tous les trois recrutements, cela m’ira ».

L’entraîneur fait beaucoup de choses au sein du club car l’effectif technique n’a rien de pléthorique. Il aspire à être libéré de certaines sollicitations et contraintes. Il sait que la performance oblige à se recentrer sur son équipe.

Tous les deux s’accordent sur le positionnement à adopter. L’entraîneur doit rester seul maître à bord dans le domaine technique. Charge au directeur sportif de recruter en fonction du profil identifié par le coach.  Bud doit aussi assurer un rôle de « tampon » entre le staff technique et les dirigeants afin d’éviter les risques d’ingérence. Les administrateurs dirigent sur le plan financier et administratif mais c’est bien l’entraîneur (et lui seul) qui manage son équipe. Un principe que Bud va parvenir à faire respecter avec un certain talent.

Une lettre de mission pour trouver sa place

Aujourd’hui encore, les missions de directeur sportif incarnées par Robert Budzynski sont souvent méconnues par le grand public.

L’ouvrage de Jean-Marie Gautier « FC Nantes : Dans les Yeux du Bud » permet d’en savoir plus sur le contenu de la lettre de mission qu’il va transmettre pour validation au président Fonteneau :

  • Additionner les compétences   
  • Harmoniser les intérêts opposés
  • Créer un sentiment d’appartenance pour que le joueur donne tout au club
  • Mettre en symbiose l’ambition et les finances
  • Trouver les moyens financiers pour construire l’effectif du club obligatoirement à partir de la formation
  • Mettre en évidence la nécessaire dimension commerciale pour développer l’attractivité du club

Nous voyons à travers cette formulation un peu surprenante que les éléments liés au fonctionnement interne du club sont au moins aussi importants que la contribution attendue dans le domaine du recrutement. Un rôle de facilitateur qu’il saura accomplir avec une maestria remarquable et qu’il va développer au fil du temps.

Bud sait mettre de l’huile dans les rouages et il va être en mesure d’accroître progressivement son influence dans la détection des talents, le recrutement des nouveaux joueurs, la gestion des contrats, la supervision de la vie du centre de formation.  Il est au cœur du fonctionnement du club en relation avec les entraîneurs, les joueurs, les parents, les dirigeants, les administratifs, les supporters et les élus.   

Le directeur sportif manifeste clairement son leadership dans les moments difficiles. C’est lui qui va notamment contribuer au rapprochement entre Jean Vincent et Jean-Claude Suaudeau lorsque les résultats sportifs obligent à un recentrage technique. Tout cela avec la discrétion qui sied à l’efficacité. Il sait être présent sans être omniprésent. A l’intérieur du club, on lui donne alors le surnom du Shériff. Une manière qui se veut respectueuse et humoristique pour rappeler son influence.    

L’importance accordée à la formation

En matière de formation, Robert et José partagent la même vision. Ils savent que le FC Nantes ne disposera pas à terme des moyens financiers nécessaires pour s’offrir des grands joueurs. Le club doit pouvoir s’appuyer sur une filière de formation performante. Ils imaginent déjà, à l’époque, un lieu unique regroupant l’entraînement, l’enseignement et l’hébergement. En 1970, le FC Nantes met en place « un foyer de jeunes » embryon de ce que sera plus tard le Centre de formation de la Jonelière.  

Michel Tronson va être un acteur-clé de ce projet de formation et il apporte un éclairage édifiant sur ce qui a été fait « Bud a été la pierre angulaire de la construction du centre de formation, sous tous ses aspects. Il a compris très vite l’importance de la formation pour bâtir dans la durée. Il a suscité, accompagné, encouragé les initiatives, les évolutions, autant par conviction personnelle que par pragmatisme. C’est le créneau dans lequel le FCN pouvait s’affirmer, installer son excellence et séduire pour le recrutement des talents. Tant à dire sur ce grand monsieur… » 

Cette quête de l’excellence éducative va connaître différentes évolutions. Le FC Nantes a un temps d’avance sur la Fédération et sur les autres clubs. Il restera la référence ultime pendant de nombreuses années. Ce n’est pas par hasard si Didier Deschamps, en 1983, natif de Bayonne voulait venir à Nantes et nulle part ailleurs.  En 1988, L’Institut Privé Nantais de l’Elite Sportive (IPNES) va naître et s’ouvrir volontairement à d’autres sports. L’enjeu consiste alors à concilier sport et étude en proposant un projet innovant. La pédagogie proposée dans l’école est en phase avec l’apprentissage de la discipline. Bud a toujours été attentif à la qualité de la formation, l’appropriation des valeurs et la cohérence du projet global. Tout est dans tout et réciproquement. C’est pour cette raison qu’il est fait aussi appel à un nutritionniste. Les parents font confiance au club parce qu’il y a des structures adéquates et que les enseignants et éducateurs sportifs sont en phase avec le projet éducatif.

La discrétion pour gagner la confiance

Très peu de communication a été faite lors de sa prise de fonction. Seul le président et José étaient dans la confidence. Bud va prendre progressivement sans trop la pleine mesure de ce nouveau métier et lui donner l’ampleur que l’on connaît. Il y a aura bien évidemment quelques réticences au sein du club mais il saura faire au mieux pour gagner la confiance de tous.

C’est une personne discrète qui aime travailler dans l’ombre. Il a joué un rôle important dans la stratégie du club et la professionnalisation des structures. Sans tambour, ni trompette. A l’image du FC Nantes, il a peu communiqué sur son rôle et ses résultats. Une culture qui privilégie le savoir-faire plutôt que le faire savoir.

Au bout de 35 ans, cette confiance qu’il savait cultiver n’est plus présente dans sa relation avec les dirigeants. Il quittera son poste sans exprimer la moindre rancœur. Bud c’était l’élégance sur le terrain mais aussi hors de celui-ci.

Lors d’un prochain article nous aurons l’occasion de faire le bilan de cette longue et brillante carrière au service du club.