Eddy, tu es formé au FC Nantes, pourrais-tu nous raconter tes années de formation ?

Je suis arrivé à une période où il y avait plein d’internationaux au centre de formation, certains d’entre eux étaient déjà aux portes de l’équipe première. Je me suis senti un peu paumé parce que je n’avais aucune sélection en équipe de France et j’arrivais de la région parisienne. J’étais vraiment choqué par le niveau et l’exigence que demandait le fait de vivre dans un centre de formation. Mais arriver à Nantes, c’était mon rêve, je n’y croyais même pas sur le coup. Quand je mettais le maillot jaune j’avais l’impression de me retrouver gamin, 5-6 ans auparavant dans ma banlieue parisienne.

Mon intégration a été difficile parce que j’ai eu du mal à assimiler le rythme et les exigences. J’ai vécu une première année très compliquée. Malgré tout, le club a su me garder. J’avais un niveau moyen, mais ils ont plutôt vu en moi un potentiel, une marge de progression importante plutôt que le joueur que j’étais à l’instant T. Ils ont peut-être décelé ça, alors chapeau et surtout merci à eux ! 

 

À cette époque-là, on parle beaucoup de Nantes pour sa philosophie de jeu, le fait de jouer un beau football… comment cela se matérialisait-il au centre de formation ?

On travaillait sur des bases axées sur le collectif et le mouvement, sur du jeu à une ou deux touches de balle, le ballon circulait vite. C’était aussi une grosse capacité à défendre ensemble. Il fallait utiliser le ballon assez vite. Mine de rien, on avait des attaquants qui avaient ce don de pouvoir jouer et se montrer de manière simple mais très efficace, sans être des champions du dribble. Notre jeu se basait sur le fait que l’on se déplace au bon moment, au bon endroit et avec des automatismes qui se créaient entre nous à l’entraînement.

 

Tu es lancé chez les professionnels en 1990 face à Sochaux, quels souvenirs gardes-tu de cette première ?

Je n’en ai pas trop de souvenirs, mais c’était déjà un rêve d’arriver à Nantes. M’entraîner avec les pros, c’était juste inimaginable. Le match en lui-même, je ne m’en rappelle pas vraiment, ça s’est enchainé tellement vite. Maintenant, l’actualité me pousse à en parler (ndlr : son club, Sautron, vient d’officialiser sa montée en National 3), mais je dis à mes joueurs de savourer chaque instant, ce que je n’ai pas pu faire à ce moment-là par exemple. 

 

Cette première saison n’est pas facile, le coach Miroslav Blazevic est limogé. Il est remplacé par Coco Suaudeau qui effectue son grand retour… comment avez-vous vécu ce changement, qu’est-ce qu’a apporté Coco Suaudeau à ce moment-là ?

Ce que nous demandait Coco Suaudeau, c’est ce qu’on nous demandait au centre de formation. Il a récupéré un groupe de joueurs qui avait déjà la culture du jeu nantais. Je ne vais pas être tendre avec le coach qui était en place avant, mais lui était à l’opposé de ce que demandait le centre de formation. Notre intégration du centre à l’effectif pro sous l’ère Blazevic a été plutôt compliquée dans le jeu. Mais Coco Suaudeau a réussi à remettre les choses en place et être en relation avec le travail fait au centre.

 

Ensuite, il va y avoir cette fameuse crise financière au club au terme de la saison 1991-1992. Le FC Nantes est obligé de refondre son effectif… c’est là que tu as réussi à vraiment te faire une place dans l’équipe ? 

Oui, carrément ! On a, moi comme certains autres, profité involontairement de ce plan de redressement de la DNCG qui a fait que le club devait dégraisser la masse salariale. Ça nous a permis de nous mettre en avant, et si ça se trouve, sans tout ça, on n’aurait jamais connu tout ce que l’on a connu après. Je ne sais pas si on peut appeler ça le destin, mais ça fait partie des coups de pouce de la vie.

 

On parle souvent de ce collectif formé ensemble et de ce fameux « jeu à la Nantaise » qui a marqué la saison 94-95… comment vois-tu cette équipe aujourd’hui, 25 ans en arrière ?

Ça paraissait super facile de jouer au football avec des gars aussi talentueux autour de soi ! On parlait le même football, c’était les termes de Coco Suaudeau, on jouait la même partition. C’était un énorme avantage d’avoir ces mêmes intentions au même moment. C’est tout le travail réalisé par les coachs de l’époque qui a porté ses fruits.

 

Qu’est-ce qui te vient en tête lorsque l’on évoque cette saison 94-95, marquée d’une unique défaite en championnat à la 32ème journée (contre Strasbourg) ?

La défaite (rires) ! Mais bon, elle devait arriver à un moment ou à un autre, c’est sûr. Mais plusieurs choses me viennent à l’esprit. Déjà, on enchainait les matchs sans se préoccuper du record, on jouait avec une insouciance, une légèreté… on n’était pas focalisés sur ce genre de choses. En tout cas, moi je les enchainais sans me prendre la tête sur le fait que l’on était invaincus. 

Cette équipe, pour moi, c’est surtout le fait d’avoir évolué avec des gars avec qui j’ai grandi, avec qui on mangeait au centre de formation, avec qui on jouait au ping-pong... C’était vraiment une bande de jeunes qui a évolué de manière insouciante !

 

Cette saison-là, un autre match est resté dans les annales, c’est le retour contre Leverkusen en Coupe d’Europe avec notamment un gros problème de gardiens…

Oui, je me rappelle… de tête, ce n’était pas très longtemps après avoir joué Paris. On perd Casagrande suite à un choc contre Weah. Après, c’est au tour d’Eric Loussouarn de se blesser, David Marraud était déjà à l’infirmerie. Du coup, on était en difficulté, on a dû jouer avec Jean-Louis Garcia, l’entraîneur des gardiens ! Trois gardiens blessés, c’est quand même énorme… ce n’est pas courant !

 

L’année suivante, le FC Nantes va écrire l’une de ses plus belles histoires en Coupe d’Europe avec la demi-finale de la Ligue des Champions contre la Juventus. Tu as joué les deux rencontres… quels souvenirs en gardes-tu aujourd’hui ?

Au match aller, on a été un peu surpris… on est tombés dans le piège turinois : la provocation. Ils avaient le vice que nous n’avons jamais eu. On est un peu sortis de notre match et on perd 2-0 là-bas. Ensuite, on gagne 3-2 à la maison. Le match retour était totalement différent, on a essayé de mettre un peu de folie, on a pris un maximum de risques. On ne méritait peut-être pas d’aller en finale, mais la victoire au retour était largement méritée. C’est dommage d’avoir pris deux buts… ça nous faisait trop de retard pour espérer nous qualifier.

Personnellement, ça reste un bon souvenir, parce que même si mon nom n’est pas inscrit, je marque un but. C’était un moment spécial parce que je sortais d’une grosse opération du dos. J’étais resté quasiment quatre mois sans jouer. C’était une période difficile, je refaisais surface… mais après, ça a été le néant pour moi. J’ai joué l’intégralité des quarts et des demies. Ces événements ont été un objectif, un moteur pour revenir. J’ai réussi à les jouer grâce à une préparation physique et mentale au top. Mais après, je suis tombé… mon dos ne tenait plus, je n’avais plus de jambes, mentalement c’était dur… j’étais cuit. J’étais conditionné pour ces évènements-là.

 

On imagine que la suite a été très compliquée ?

Ah oui ! Mon dos me faisait super mal, je n’avais plus de puissance dans les jambes… je ne disais rien, mais je pense qu’après mon opération, je ne jouais qu’à 60% de mes capacités réelles. Je m’adaptais aux situations… je subissais. Il y a très peu de personnes qui sont au courant de ça. Cette opération m’a vraiment pénalisé. Ensuite, je suis parti dans d’autres clubs, et même là-bas je trainais la patte. 

Je me suis fait opérer début septembre après le titre. Du coup, je n’ai pas pu jouer la première partie de la Ligue des Champions contre Porto, Panatinaïkos, ect…. Je suivais tout ça sur mon lit d’hôpital. C’est de là que je me suis dit que je voulais faire cette Ligue des Champions, et je me suis conditionné pour arriver à goûter à ça. Au final, j’ai réussi à le faire.  

 

Deux ans après la Juventus, tu pars à Rennes. À l’époque, c’est un transfert que l’on voyait assez régulièrement. Comment as-tu vu la rivalité entre les deux clubs en passant de l’un à l’autre ?

Sincèrement, j’étais très loin de tout ça. J’ai pris le club le plus proche de Nantes qui s’intéressait à moi… (rires…) ! Il fallait que je me relance, mon agent m’a dit que j’avais des touches à l’étranger, mais j’étais avec quelqu’un qui était enceinte de mon premier enfant, donc je ne voulais pas partir loin. En plus, je venais juste d’acheter une maison à La Chapelle-sur-Erdre. Je suis attaché à Nantes… donc je suis parti à Rennes pour rester dans le coin.

 

Tu ne voulais pas partir trop loin… mais tu es quand même allé à Sedan ! Là-bas, tu es devenu le premier buteur de l’histoire du Stade Louis-Dugauguez, qu’est-ce que ça t’a fait d’inscrire ton nom dans l’histoire du club ?

Alors, ce n’est pas le plus beau des buts… (rires…) ! Mais ça reste un beau souvenir ! Ça a marqué des gens… je resterai un petit peu dans l’histoire du football sedanais. Mais ça n’a pas changé grand-chose pour moi. Si j’avais marqué d’une volée en pleine lucarne, ça m’aurait marqué… mais là, c’était un but de raccroc ! J’ai poussé la balle au fond des filets… (rires…) !

 

Aujourd’hui, tu es l’entraîneur de Sautron en Régional 1, l’année prochaine en National 3… comment se passe ta carrière d’entraîneur ?

Oui, ça va faire 14 ou 15 ans que je suis à Sautron. J’ai commencé sans formation, avec les équipes de jeunes. Le club m’a aidé à passer mes diplômes d’entraîneur. Donc je dois leur rendre ce qu’ils m’ont donné, ça fait maintenant beaucoup d’années que je suis là. Ça s’est très bien passé avec les jeunes. Ma première année avec l’équipe senior aussi, ensuite on est descendus en PH. Mais depuis, on a enchaîné les remontées et nous voici en National 3 ! Il y a eu beaucoup de chemin de fait dans ce club qui ne m’a jamais mis la pression. Ils m’ont toujours aidé, toujours écouté… il y a de très bonnes personnes dans ce club.  

 

Sautron a récemment accueilli Oswaldo Vizcarrondo, ancien joueur du FC Nantes, tu le côtoies, quel est l’objectif de sa venue ?

Oswaldo m’a envoyé un mail en me questionnant par rapport à son envie de passer les diplômes d’entraîneur. J’avais vraiment à cœur de l’aider. On s’est rencontrés, je lui ai dit de venir avec moi sur le terrain pour qu’il puisse prendre la température, savoir s’il voulait vraiment devenir entraîneur. Au fur et à mesure, il s’est intégré, je lui ai demandé des choses les jours de match. Il n’avait pas sa licence, il devait rester autour du terrain donc je lui ai demandé de prendre des statistiques sur certains de nos joueurs. Il faisait des retours, on en parlait ensemble avec les joueurs concernés. On lui a pris une licence pour la suite, il devrait avoir la possibilité de passer son diplôme donc il sera mon adjoint la saison prochaine ! Il va nous amener de nouvelles choses tout en se faisant sa propre expérience. J’espère pour lui qu’il pourra ensuite continuer et apprécier ce qu’il fait.

 

Comment vois-tu l’évolution du FC Nantes depuis ton départ il y a 20 ans ? 

C’est compliqué… J’avoue que je suis hyper loin de tout ça, même si je suis les résultats parce que Nantes est mon club de cœur. Mais je m’y reconnais de moins en moins, de par la philosophie du club… le logo qui change en est un exemple… Je suis triste que les étoiles aient disparu, car c’est la marque de l’histoire. Dans le jeu je ne m’y reconnais pas, même si j’ai vu quelques matchs cette saison qui étaient pas mal du tout. Après, ce n’est pas vraiment récompensé par le résultat, je pense qu’il manque encore des choses. Mais c’est sûr que Nantes peut avoir des résultats. Pour cela, je pense qu’il faut que le club retrouve une identité de jeu, y croie et s’appuie dessus. Les différents changements d’entraîneur ne permettent pas d’avoir de la stabilité. Les entraîneurs que j’ai eus à Nantes étaient là depuis des années, on leur a donné l’occasion de se tromper, de tester, et de réussir. Aujourd’hui, il faut pouvoir accepter les échecs parce que ça construit.

Je reprends mon cas, à Sautron on est descendus au plus bas échelon régional, aujourd’hui on accède au National 3. On m’a permis de me tromper, d’essayer… on m’a donné de la confiance. C’est le monde professionnel qui veut ça aujourd’hui, mais je crois que c’est possible de laisser la chance de se tromper… de terminer une saison 17e mais d’espérer pouvoir se rattraper l’année suivante. C’est possible. Le problème c’est qu’aujourd’hui, si tu termines 17e, tu es viré. 

 

Pour toi, il faut avant tout que le Club gagne en stabilité ?

Bien sûr ! Il faut apporter de la stabilité, de la continuité. Comment font le Bayern, le Barça ? Ils appellent des gens de la maison, des gens qui ont la philosophie du club. J’ai adoré Vahid Halilhodzic comme joueur, j’ai adoré le travail de Gourcuff, mais ce sont deux personnes totalement différentes. C’est extrêmement compliqué de passer de l’un à l’autre, il n’y a aucune continuité. Les entraîneurs que j’ai eus au FC Nantes, avant tout, c’était des formateurs. C’est un travail sur de nombreuses années. 

 

Si tu en avais l’opportunité, est-ce que tu aimerais réintégrer le club avec une place dans le staff ?

Bien sûr ! C’est mon rêve. Je ne serais pas resté dans la région si je n’aimais pas le FC Nantes. J’aime la ville, j’aime la région, mais mon repère c’est le FCN ! Je suis fier d’avoir joué sous les couleurs du Club. Même en étant à Paris pendant ma jeunesse, j’étais fan du FC Nantes, j’ai acheté trois années d’affilée le maillot Europe 1 alors que c’était le même tous les ans… (rires…) ! 

C’est ce club qui m’a permis d’être ce que je suis aujourd’hui, d’avoir une vie de rêve, parce que même si j’ai connu des moments difficiles, j’ai une belle vie grâce à l’éducation que m’a donnée le FC Nantes. C’est une famille. Un jour, quelqu’un m’a écrit sur Facebook, c’était la fille de la femme qui nous servait au centre de formation. On a fait une visio, on s’est vu, et ça lui a fait hyper plaisir ! C’est plus qu’un club tout ça ! La vérité, c’est les relations humaines. Le FC Nantes était un club familial avec des repères emblématiques comme Suaudeau, Denoueix, Amisse, Budzynski…. Ce sont des gens qu’il faut respecter, il ne faut pas les toucher. J’ai tellement de respect pour ces gens-là… j’étais fan d’eux, et quand je me suis retrouvé en face d’eux, c’était un rêve. Aujourd’hui, je pense qu’il n’y a plus ça pour les jeunes qui arrivent au Club.

Quand je jouais, on servait le Club. Aujourd’hui, les joueurs se servent des clubs. Je suis redevable du FC Nantes, ce n’est pas le contraire. Et si j’avais pu faire toute ma carrière à Nantes, je l’aurais fait.

 

Pour finir, est-ce que tu aurais un petit mot à dire aux supporters qui ont lu cet article ?

Si je devais leur dire quelque chose, c’est qu’à ce jour, je suis agréablement surpris par la ferveur et l’ambiance qu’il peut y avoir à la Beaujoire. Je pense que Nantes fait partie des meilleurs publics de France. Il y a une belle organisation. C’est malheureux à dire, mais je pense qu’aujourd’hui on va plus parler des supporters que de ce qu’il se passe sur le terrain. Si on pouvait avoir les deux, ce serait superbe. Aujourd’hui, ce n’est pas vraiment le cas, même si je pense que Gourcuff va enchaîner. J’espère pour lui qu’il va trouver de la stabilité auprès des dirigeants et de ses joueurs. Mais pour moi, aujourd’hui, ce sont surtout les supporters qui ont fait parler du club de par le dynamisme ! Et voilà… comme eux, je serais jaune et vert toute ma vie !