Les relations entre la Coupe de France et le FC Nantes n’ont pas toujours été idylliques et si les Canaris ont ramené trois fois le trophée à La Jonelière, il leur avait fallu endurer précédemment de rudes déceptions, notamment en 1966 et 1973, alors que le doublé leur tendait les bras.

Leur désillusion avait été d’autant plus grande qu’ils subirent des défaites assez injustes, contre le cours du jeu, et face à des adversaires qui leur étaient inférieurs mais n’hésitèrent pas à utiliser la manière forte, bénéficiant de la mansuétude, pour ne pas dire la complicité, d’arbitres excessivement complaisants ou trop sûrs d’eux.

En 1966, pour la première des huit finales de son histoire, le FC Nantes subit ainsi un revers inattendu face à Strasbourg. Pourtant, le club ligérien avait largement dominé le championnat de France, enlevant son deuxième titre d’affilée et partait nettement favori. Il l’était d’autant plus que les Alsaciens, qui comptaient parmi leurs plus farouches adversaires, n’avaient pas fait le poids lors des confrontations directes. Aussi, en dépit des exhortations à la méfiance de José Arribas, les Canaris eurent tendance à prendre l’affaire à la légère.

Le coach nantais faillit s’arracher ses cheveux, il en avait encore, lorsqu’avant le dernier entraînement, programmé juste avant le départ en train pour Paris, il s’aperçut que Robert Budzynski et Georges Grabowski, ses deux "Polonais", manquaient à l’appel. Le président Jean Clerfeuille, aussi inquiet que lui, se rendit aux nouvelles et il poussa un ouf de soulagement en se rendant compte que les deux retardataires avaient tout simplement été victimes d’une panne d’oreiller. Ousmane Dembélé serait peut-être contrarié s’il lisait ces lignes et découvrait qu’il n’a rien inventé à Barcelone, il reste qu’à l’époque, cette décontraction proche de la désinvolture, à quelques heures d’un grand rendez-vous, ne parut pas de bon augure aux yeux du sourcilleux coach canari.

Ramon Muller blessé, Nantes à 10

Ce contretemps n’était cependant pas de nature à gripper la belle mécanique nantaise. Ce sont les  Strasbourgeois qui se chargèrent de glisser les grains de sable fatals. Adeptes d’un marquage à la culotte outrancier, ils refusèrent le jeu et se massèrent en défense, misant tout sur la contre-attaque. Si bien que ce furent deux écoles, deux philosophies qui s’affrontèrent, le béton alsacien faisant obstacle au football panache des Canaris. D’un côté la force, la destruction, presque la violence, de l’autre la construction, l’intelligence, la technique…

Les Nantais butèrent sans trouver la faille sur une défense ultra-renforcée, ne donnant pas dans la fioriture, quitte à confondre le ballon et les chevilles. L’arbitre, M. Tricot, cheminot dans le civil (de nombreux arbitres travaillaient à la SNCF, bénéficiant ainsi de billets gratuits dont ils demandaient le "remboursement") ne sut pas prendre les décisions qui s’imposaient. Il n’était pas courageux, et s’était déjà "illustré" en abandonnant un match à mi-parcours (un Rouen-Nantes…) sous prétexte qu’il en avait perdu le contrôle et que des joueurs le menaçaient. Il s’était éclipsé discrètement durant la pause, laissant le sifflet à l’un de ses assistants. Cette mésaventure lui avait laissé un goût amer, elle l’avait surtout incliné à penser que moins un arbitre prend de décisions, moins il est critiqué. Alors il préféra fermer les yeux sur les exactions strasbourgeoises, persuadé que c’était une bonne méthode pour ne pas provoquer trop de remous. Les Nantais se retrouvèrent du coup devant des problèmes plus difficiles à résoudre que prévu, leur tâche se compliqua davantage quand, au bout d’une demi-heure, leur maître à jouer, Ramon Muller, par ailleurs ennemi juré des Strasbourgeois, stoppa net sa course, victime d’un claquage. Il s’accrocha, revint sur le terrain, s’exila à l’aile droite. La douleur était trop forte et bientôt, en larmes tant il se sentait impuissant, il lui fallut se résigner : c’est sans lui que le sort de cette finale dont il avait tant rêvé allait se sceller.

Nantes poursuivit donc la rencontre à 10 car le changement de joueurs n’était alors pas autorisé. À cet handicap s’ajouta un but concédé au début de la seconde période sur coup franc. La suite fut un incessant déferlement des vagues de l’attaque nantaise sur la digue de la défense alsacienne. Cette dernière repoussa tous les assauts, multipliant les actes d’antijeu et les dégagements dans les tribunes.

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L’antijeu de Strasbourg

Le public prit fait et cause pour les Canaris tant leurs efforts et leurs talents auraient mérité une récompense et c’est sous les sifflets que les Strasbourgeois reçurent le trophée. Il s’en suivit une véritable bataille médiatique entre les journalistes adeptes du résultat à tout prix, même quand il est obtenu avec des méthodes s’apparentant à un vol à main armée, et les partisans d’un football où la victoire n’est pas belle quand elle est entachée par les tricheries, l’irrespect du spectacle, l’amoralité. Les Strasbourgeois furent ainsi beaucoup plus critiqués que louangés, sauf évidemment par quelques folliculaires en mal d’opportunisme.

Les hasards du calendrier firent que trois jours plus tard les Nantais devaient disputer un match de championnat à Strasbourg. Une partie sans importance car le titre était déjà joué. Ils demeurèrent à Paris, s’accordèrent de menues libertés avec la discipline qui sied à la préparation d’un match puis ils mirent le cap vers l’Alsace où ils furent reçus comme des rois par leur équipementier Adidas, désireux de les remercier d’avoir fait triompher ses couleurs tout au long de la saison. La charcuterie locale, arrosée par des bouteilles des meilleurs crus de la région, permit aux Nantais de noyer en partie la déception provoquée par leur échec en finale. Mais leurs jambes étaient lourdes et leurs poumons encrassés quand ils se présentèrent à La Meinau, à l’heure du coup d’envoi.

Les Strasbourgeois, qui avaient mal digéré les huées du public parisien et la volée de bois vert journalistique s’en étant suivie, leur rentrèrent joyeusement dans le lard. Ce fut une boucherie, dans une ambiance haineuse ("enthousiaste" prétendirent les Alsaciens), où la principale victime fut Gilbert Le Chenadec dont un mollet fut labouré par un crampon acéré. Les Nantais avaient imaginé une partie de rigolade, ils furent victime d’un jeu de massacre…

L’arbitre était aveugle

Sept ans plus tard, de nouveau champions de France, le FC Nantes disputa sa troisième finale de Coupe, face à Lyon cette fois. La troisième, oui, car entretemps, il avait perdu celle de 1970, jouée à Colombes. Le match n’avait pas laissé une trace durable, tant il n’y avait pas eu photo avec les Stéphanois qui s’étaient imposés 5-0. Les Canaris avaient fait illusion durent le premier quart d’heure, ensuite ils avaient pris l’eau et été submergés.

En 1973, ce fut une autre histoire, ce fut aussi, hélas, presque un copier-coller du scénario de 1966, les fantaisies de l’arbitre en plus. Ce dernier était Robert Wurtz, un Alsacien jouissant alors d’une très bonne réputation, ne serait-ce que parce qu’il affichait une condition physique très au-dessus de la moyenne de ses collègues.  Il se targuait même de courir aussi rapidement que les joueurs et il le prouvait, parfois, en prenant l’un d’eux de vitesse. Au moins possédait-il l’avantage de suivre les actions de près. L’ennui est qu’il avait fini par se prendre pour une vedette, ce qui n’est jamais recommandé pour un arbitre, les meilleurs d’entre eux étant souvent ceux qui réussissent à se faire "oublier". Ce n’était certes pas le cas de Wurtz qui se vantait aussi de "laisser beaucoup jouer", attitude qui a tendance à provoquer un pourrissement du match, les joueurs plaçant sans cesse la barre de coupe plus haut en constatant la mansuétude de l’arbitre, dont le premier travail consiste tout de même à faire respecter les règles. Pour ce qui est de la psychologie, réclamée par certains témoins, il existe des cabinets spécialisés, il ne faut pas se tromper de métier.

Toujours est-il que Wurtz laissa le Lyonnais Trivic chatouiller d’un peu trop près les chevilles nantaises, celles d’Henri Michel notamment. Ce laxisme énerva Hugo Bargas, réputé pour avoir le sang chaud. L’Argentin, que Trivic venait de bousculer en toute impunité, se surprit à penser que si l’arbitre se montrait incapable d’accomplir sa mission, il allait s’en charger en rappelant à ses adversaires qu’il pouvait au besoin, lui aussi, utiliser la manière forte. Mal lui en prit. Il bouscula le Lyonnais Serge Chiesa à l’entrée de la surface. À l’intérieur, la position était plus manifeste que la faute, mais tout à coup Wurtz se rappela que son sifflet n’était pas uniquement un objet de décoration.  Compte-tenu de son "tableau de chasse" depuis le coup d’envoi, ce fut un peu paradoxal : il n’empêche que c’est Trivic qui se chargea de transformer le penalty.

Deux buts entachés d’une faute de main

Les Nantais accusèrent le coup et, dans le Parc des Princes, véritable étuve en cet après-midi de juin, leur jeu ne trouva jamais sa fluidité habituelle. Leur attaque bafouillait et ne parvenait pas à inquiéter Chauveau, le gardien des Gones. On venait de dépasser l’heure de jeu quand se produisit un nouveau coup de théâtre. Bernard Lacombe contrôla le ballon de la main et s’en alla tromper Jean-Paul Bertrand-Demanes. La faute était manifeste mais Wurtz, qui n’avait rien vu, valida le but. Henri Michel se précipita vers le juge de touche Achille Verbecke qui, lui, était face à Lacombe lors de son geste illicite. Il ne pouvait pas en principe s’en tirer à si bon compte. L’ennui est qu’il joua les autruches : « Mon rôle, c’est de signaler les hors-jeu, pas le reste, ce sont les ordres de M. Wurtz », rétorqua-t-il au capitaine nantais. À croire qu’il n’entretenait pas les meilleurs rapports avec son collègue et ne voulait pas l’aider. À cette époque, les trios d’arbitres n’existaient pas et pour une finale de Coupe ce sont des arbitres habituellement dans le champ qui officiaient à la touche, il pouvait en résulter de la rancœur.

Cette fois, c’en était terminé des espoirs nantais, bien que Didier Couecou ait ramené le score à 2-1 à cinq minutes de la fin, dans des conditions rocambolesques qui valurent à Wurtz de boire le calice jusqu’à la lie. C’est en effet de la main que l’ancien Bordelais fit mouche. Il n’avait pas trouvé d’autre moyen pour tromper une défense rugueuse où Domenech et Mihajlovic faisaient le ménage à grands coups de bottes et de balais.

Le FC Nantes en était à trois finales et trois défaites.

La quatrième allait être la bonne, nous vous la raconterons dans un prochain article.