C'est l'histoire d'une simple visite amicale, loin de toute médiatisation, qui est devenue au fil des années l'une des plus célèbres parties d'entrainement de l'histoire. Seulement commentée dans la presse locale à son époque, cette rencontre du 2 juillet 1980 fait aujourd'hui l'objet de recherches. Les témoignages sont parfois imprécis ou un peu contradictoires. Il est temps de faire un point.

Que s’est-il vraiment passé à la Jonelière le 2 juillet 1980 ?

Alors que les joueurs du FC Nantes en terminent avec leur entraînement sous les ordres de Jean Vincent, ils voient débarquer à la Jonelière un bus d'où descendent Bob Marley et ses Wailers. La tournée mondiale du groupe jamaïcain pour l’album “Uprising” passe par le Cité des Ducs pour un concert au Palais de la Beaujoire. Les Wailers sont à Nantes depuis la veille. Ils ont dormi à l'hôtel Frantel, à côté de l'hypermarché Casino, à Beaulieu.

Les joueurs nantais ne sont qu’à moitié surpris par l’arrivée du pape du reggae à la Jonelière, car le bruit courait qu’il souhaitait les rencontrer. Le chanteur en avait fait part à son manager, qui a transmis à Daniel Nedzela, l’organisateur du concert, lequel s’est approché du journaliste Alain Garnier qui a arrangé le coup auprès de Jean Vincent. Deux équipes sont constituées, avec les musiciens d’un côté et les joueurs du FCN de l’autre.

Qui était Bob Marley ?

En plus d'être un artiste de renommée mondiale, Bob Marley était un passionné de football. Il vouait une admiration sans borne au Brésilien Pelé, considéré comme le plus grand joueur de tous les temps, et à Osvaldo Ardiles, le milieu de terrain argentin champion du monde 1978, joueur du Tottenham Hotspur et qui a plusieurs fois suscité l’intérêt de Robert Budzynski.

Bob Marley et ses musiciens jouaient au football dès qu’ils en avaient la possibilité : entre deux concerts en tournée, entre deux sessions d'enregistrement, entre deux répétitions. On prête à Marley de nombreux propos sur le beautiful game : “Le football est tout un monde, un univers à lui tout seul”, “J’aime le football parce qu'il faut suffisamment d'adresse pour y jouer”, “Football is freedom !".

Les joueurs nantais étaient-ils fans de Bob Marley ?

Henri Michel : “C’était Bob Marley, quand même, le mec était déjà une star, une icône. Je connaissais, on savait ce qu’il faisait et qui il était. Bien sûr que j’étais à son concert le soir, attends, il nous avait invités…

Loïc Amisse : “Bob Marley, je le connaissais sans plus, quelques chansons c’est tout. Je n’accrochais pas forcément au reggae. Disons que ce n’était pas trop le style de musique que j’aimais. Mais il était très connu et c’était un plaisir”.

Qui furent les joueurs du 5x5 ?

Le petit match se dispute sur un bout de terrain stabilisé de la Jonelière, opposant deux équipes de cinq hommes. Bob Marley est venu avec ses musiciens Al Anderson, Junior Marvin et Carlton Barrett. Certains écrits mentionnent également la présence de Alan Skill Cole, homme de confiance de Marley et ancien footballeur professionnel, connu pour être le plus jeune joueur de l’histoire de la sélection jamaïcaine et le premier à avoir joué à l’étranger. Ses expériences aux Atlanta Chiefs en 1968 et au Clube Náutico Capibaribe de Recife en 1972 ont toutefois été plutôt courtes puisqu’il n’a joué qu’une seule rencontre aux États-Unis et trois au Brésil, d’où il sera viré pour avoir refusé de couper ses dreadlocks.

A la Jonelière, Bob est vétu du maillot jaune Europe 1 que lui ont offert les joueurs nantais, d’un bas de survêtement et d’un bonnet de laine pour contenir ses dreadlocks. Côté nantais, on reconnaît sur les photos Henri Michel (maillot Pérou ou River Plate), Gilles Rampillon (maillot Dukla Prague), Loïc Amisse (maillot Argentine), Fabrice Picot, Patrice Rio, Thierry Tusseau… Jean-Paul Bertrand-Demanes et Bruno Baronchelli revendiquent également leur présence, tout comme Jean-Marc Desrousseaux, deuxième gardien, qui a joué avec les Wailers. Alain Garnier ajoute dans Presse-Océan que Jean Vincent a tenu un rôle mi-joueur mi-arbitre.

Bob Marley était-il un bon footballeur ?

Les footballeurs nantais sont quelque peu surpris par l’engagement des musiciens jamaïcains et surtout par le niveau de jeu très élevé, notamment leur leader qui inscrit deux buts. Après 45 minutes de jeu, les joueurs nantais s’imposent 4-3, non sans avoir dû déployer leurs talents.

Gilles Rampillon : “On s’est aperçu qu’il avait le football dans les veines. Il avait une certaine adresse balle au pied. Il mettait aussi beaucoup d'engagement. Il était venu jouer parce que le football lui plaisait tout simplement. Il aimait l'inspiration, la liberté du joueur avec le ballon, la créativité".

Henri Michel : “Il jouait bien, ce Bob Marley ! Et il avait une bonne petite équipe, avec son cuisinier et quelques mecs de son groupe. On a voulu gagner et on n’a pas trop rigolé. Au début, on les avait pris un peu par-dessus la jambe et puis on s’est vite rendu compte que les mecs n’étaient pas maladroits et pas mauvais.

Thierry Tusseau : “Je peux vous dire qu’on a vite été surpris et il a fallu s’employer pour gagner. Nous étions un peu trop décontractés et il valait mieux ne pas trop les laisser jouer parce que c’était des joueurs très techniques, de sacrés manieurs de ballon.”

Jean-Paul Bertrand-Demanes : "Bob Marley jouait très bien. Il était avec quelques musiciens, et il était très bon. Je ne sais plus si on a gagné, si on a perdu, le score importe peu. Mais lui et ses quelques musiciens, ils avaient une très bonne équipe."

Loïc Amisse : “Bob était plutôt habile dans le jeu. Il ne faut pas s’enflammer non plus, il n’avait pas le niveau pour intégrer le centre de formation, mais bon, il maniait assez bien le ballon.”

Quels souvenirs en gardent les joueurs du FC Nantes ?

Thierry Tusseau : “Je m’en rappelle très bien, on a eu le plaisir et cette joie d’avoir tapé dans le ballon avec Bob et ses musiciens. C’était vraiment un bon moment, très convivial. C’était un cinq contre cinq mais on a tourné et j’ai joué quelques minutes.”

Henri Michel : ”Pour nous, c’était un moment de joie, et pour eux aussi d’ailleurs, je pense qu’ils se sont bien régalés. À la fin, j’ai posé avec Bob. Beaucoup de gens m’en parlent encore. On avait échangé nos maillots. J’ai celui du Pérou et lui porte celui de Nantes.”

Jean-Paul Bertrand-Demanes : "Je crois que sur le moment on ne s’est pas rendu compte qu’on venait de jouer au foot avec l’un des plus grands musiciens de l’histoire, quelqu’un qui a marqué la musique de façon incroyable. Bob Marley était une star mondiale, c’est lui qui a fait découvrir le reggae. C’était un super souvenir."

Gilles Rampillon : “Ça reste un souvenir inoubliable. Ce qui a fait aussi le charme de ce match, c'est une forme de simplicité incroyable. Ce match n’a pas eu l’impact médiatique qu’il aurait mérité…et c’est tant mieux."

C’était en effet un petit foot tranquille, entre passionnés de ballons ronds, avec quelques journalistes amusés sur le bord du terrain. On imagine mal aujourd’hui une star du rock se rendre chez les champions de France sans caméras, sans protocole, sans gardes du corps, sans accréditation de part et d’autre. Le souvenir du passage de Bob Marley reste présent dans la mémoire nantaise grâce à sa simplicité.

Le concert du soir, au Palais de la Beaujoire, est joué devant 8000 spectateurs, parmi lesquels quelques joueurs nantais. Sur scène, Bob Marley portait fièrement le maillot du FC Nantes.

Les propos des joueurs proviennent d'interviews publiés dans différents articles :